Qui sommes nous?

Le Théâtre du Blog a été créé en 2008 par Edith Rappoport et Philippe du Vignal; depuis onze ans,  7.400 articles ont été publiés sur le théâtre, la danse, les arts de la rue, les performances, le cirque, la magie, les livres, revues et expositions spécialisées, que ce soit en province et en région parisienne mais aussi à l’étranger…

Adresse: philippe.duvignal@gmail.com

L’équipe du Théâtre du Blog:

Rédacteur en chef: Philippe du Vignal a longtemps dirigé l’Ecole du Théâtre National de Chaillot où il enseignait aussi l’histoire du spectacle contemporain. Il a été responsable de la rubrique Théâtre aux Chroniques de l’Art Vivant dirigées par Jean Clair puis à artpress  dont Catherine Millet était la rédactrice en chef. Il a été, entre autres, critique dramatique aux Nuits magnétiques d’Alain Veinstein à France-Culture et au quotidien La Croix. Il a aussi été professeur à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, département scénographie.

Collaborateurs :

Sébastien Bazou, ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts de Dijon, s’est spécialisé dans l’installation multi-médias. Il a cofondé l’association et le magazine Artefake qui publie des articles sur l’histoire de la magie dont il est spécialiste en Europe et aux Etats-Unis.

Jean Couturier est spécialisé dans la critique de danse, et assistant du rédacteur en chef.

Mireille Davidovici, assistante du rédacteur en chef, est dramaturge et traductrice. Elle a dirigé pendant quinze ans l’association Aneth consacrée aux auteurs contemporains et a écrit dans des revues. Elle a aussi participé au Dictionnaire du Théâtre de Michel Corvin et à la rubrique Théâtre dans Créatrices aux éditions des Femmes.

Christine Friedel, critique dramatique, notamment à Réforme où elle a débuté, a aussi été conseillère artistique. Elle a aussi collaboré aux mises en scène du Théâtre du Campagnol, dirigé par Jean-Claude Penchenat et a fait partie du groupe d’experts pour le théâtre à la D.R.A.C.-Île-de-France. Et elle a aussi été la rédactrice de la revue Plaisir(s) éditée par le château de la Roche-Guyon et est l’auteure de La Roche-Guyon le château invisible.

Elisabeth Naud, docteure en esthétique théâtrale,  est enseignante à l’Université Paris VIII.

Béatrice Picon-Vallin, directrice de recherches au C.N.R.S. et auteure d’ouvrages sur le  théâtre russe. Elle dirige les collections : Mettre en scène  à Actes Sud-Papiers, Arts du spectacle aux éditions du C.N.R.S. et Th. XX aux éditions de L’Age d’Homme.

Edith Rappoport, critique de spectacles et spécialiste du théâtre de rue, a été directrice des théâtres de Choisy-le-Roi, puis de Malakoff (Hauts-de-Seine). Elle a aussi été longtemps conseillère pour le théâtre à la D.R.A.C. -Ile-de-France.

Bernard Rémy a fondé la revue Empreintes, écrits sur la danse et a collaboré jusqu’en 2012 à la Cinémathèque française de la danse. Il a écrit de nombreux articles sur Merce Cunningham, Pina Bausch, Hijikata mais aussi sur le mouvement chez Samuel Beckett, Charlie Chaplin et Buster Keaton.

Nicolas Villodre a participé entre autres  à la Coopérative des Cinéastes  et a soutenu en 83 une thèse en arts plastiques consacrée à Christian Schad, Man Ray et Laszlo Moholy-Nagy. Spécialiste de danse contemporaine, il a été jusqu’en 2013 l’assistant du directeur de la Cinémathèque de la Danse et a publié des textes dans La Revue d’esthétique, Pour la Danse, La Cinémathèque Française

Correspondants:


Gérard Conio est professeur émérite de l’Université de Nancy et spécialiste de la civilisation russe et des pays de l’Est.
Nektarios G. Konstantinidis, traducteur et critique de théâtre notamment francophone, à Athènes et en Grèce.
Alvina Ruprecht, professeur émérite du département Théâtre à l’Université d’Ottawa, est une spécialiste du spectacle canadien de langues anglaise et française, mais aussi caraïbéen.

(Tous les documents et archives sont publiés sauf avis contraire des ayants-droit et dans ce cas, seraient aussitôt retirés).

Articles récents

Les cérémonies d’ouverture et clôture des Jeux Paralympiques

Les cérémonies d’ouverture et clôture des Jeux Paralympiques


Comme l’a dit Olivia Leray, journaliste à France-Télévision, «Il va falloir la reprendre cette vie dans ce qu’elle a de plus quotidien et d’un peu moins magique…» Quoi que l’on espère du spectacle actuel, les cérémonies des Jeux Olympiques, comme celles des Jeux Paralympiques sont une réussite.

©x

©x


Les professionnels du théâtre ou de la danse arrivent rarement à atteindre cette communion totale entre un événement éphémère et son public. La plupart des structures et compagnies ne fédèrent pas de tels sentiments, de tels bonheurs, de telles joies surtout sur  une période aussi longue.

 

©x Western du Royal d Luxe

©x Rue de la Chute, une parodie de western par le Royal de Luxe

Dans notre passé de spectateur, un «théâtre élitaire pour tous», comme disait Antoine Vitez, est un phénomène assez rare…  Et un théâtre inscrit dans la cité pourrait bouleverser le quotidien comme les spectacles « de rue » dans les années quatre-vingt avait apporté une vrai bonheur au public.
Comme c’est encore le cas aux festivals de Chalon ou Aurillac où la jauge est souvent doublée… quand l’entrée est libre! Ainsi le Royal de Luxe a-t-il soulevé en France mais aussi dans le monde entier, des passions et une joie que l’on n’imagine pas aujourd’hui, avec des spectacles comme, enter autres, La véritable Histoire de France créé au festival d’Avignon, ou Rue de la Chute…

 

©x

©x Le Réveillon des boulons

De même, le Théâtre de l’Unité, d’abord avec Le Carnaval des Ténèbres à Saint-Quentin-en-Yvelines, puis chaque fin d’année avec Le Réveillon des boulons à Montbéliard, ou Noce et Banquet. Et plus récemment avec  La Nuit unique, un peu partout en France. Ou encore son remarquable Kapouchnik, un cabaret mensuel à Audincourt (Doubs) qui a fêté son vingtième anniversaire avec plus de cent représentations !
Et cela a changé le quotidien de nombreux habitants de l’hexagone et ailleurs (voir pour tous ces spectacles Le Théâtre du Blog).

Mais il faut aussi continuer à fréquenter les salles pour y découvrir de nouvelles œuvres. Est-ce le paradoxe du plus bel été que l’Hexagone ait jamais connu? C’est le metteur en scène de théâtre Thomas Jolly qui a pensé et organisé ces cérémonies, aidé par de nombreux collaborateurs.
Le fameux Panem et circenses (Du pain et des jeux) du poète Juvenal ( fin du I dr sicèle après J.C.) accablé par la décadence du peuple romain qu’il voyait toujours occupé à s’amuser, a  toujours eu chez nous un sens péjoratif. Mais on peut espérer que ces Jeux paralympiques vont changer notre monde. Deux millions cinq cent mille billets ont été vendus, grâce au formidable fédérateur qu’ont été les Jeux Olympiques.
Le regard du public a-t-il changé sur le handicap? Sur celui visible, peut-être, mais sur celui, invisible? Les institutions sont, toutes et toujours, en retard et un gouvernement, quel qu’il soit, est-il capable de prendre en compte ce vaste problème? Rien n’est moins sûr.

En attendant, le public a découvert que les cérémonies d’ouverture et clôture des Jeux paralympiques avaient une réelle valeur artistique. Place de la Concorde-une des plus belles scènes du monde-Thomas Jolly et le chorégraphe Alexander Ekman (voir Le Théâtre du blog) ont tout fait, pour que, durant cette trop longue cérémonie, ait lieu un métissage entre danseurs valides, et danseurs handicapés.

© J. Couturier

© J. Couturier

À une course-poursuite des artistes en fauteuil roulant autour de l’Obélisque, ont succédé des portés acrobatiques avec des interprètes valides.
Quand tous les athlètes furent arrivés sur la place de la Concorde, Lucky Love, à trente ans enflamma le public avec sa chanson, My Ability, nouvelle version de son  tube Masculinity.
Né sans bras gauche, ce chanteur mais aussi mannequin, égérie des grandes maisons de couture, a joué avec Béatrice Dalle et Joey Starr dans Elephant Man mise en scène de David Bobée (2019). Cette soirée, ouverte par les avions de la patrouille de France, s’est terminée avec la renaissance du feu dans la vasque olympique, au jardin des Tuileries.

 

 © Jean Couturier

© Jean Couturier

La cérémonie de clôture au Stade de France, a eu lieu  sous la pluie incessante qui avait déjà accompagné l’ouverture des Jeux Olympiques! Quelques grands standards de la chanson française interprétés par l’orchestre de la Garde républicaine, ont été repris en chœur par le public.
Puis, devant la vasque des Tuileries qui s’est éteinte doucement, les chanteurs Amadou et Mariam ont entonné Je suis venu te dire que je m’en vais de Serge Gainsbourg.
Et Aurélie Aubert, championne paralympique de boccia, a soufflé sur la petite flamme de sa lampe de mineur (ci-dessous). De grands musiciens ont aussi clôt cette cérémonie.comme  Jean-Michel Jarre et Martin Solveig, sous un feu d’artifice éblouissant.

©x

©x Aurélie Aubert


Les spectateurs dans le stade de France ou les sept millions sept cent mille autres devant leur écran, auraient souhaité que cette période enchantée, presque irréelle, ne s’arrête pas. Quand nous avons regagné la station de métro Saint-Denis-Porte de Paris, une bénévole nous a indiqué, avec le sourire, la direction : Los Angeles, juillet 2028 …

Jean Couturier


La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (clap de fin)

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques  (clap de fin)

Nous passons d’un ciel à un autre, de la vasque en suspension à un lointain point blanc au premier étage de la Tour Eiffel. Un mouvement de caméra assure l’approche:  Céline Dion apparait en longue robe blanche perlée et chante aussitôt. Elle simplifie à l’extrême sa présence et cela accentue l’émotion. Quelques gestes…  mais elle chante de tout son corps, modulant ainsi la voix dans les hauteurs et dans l’intime, frôlant parfois le silence. 

©x

©x

La cérémonie s’est déroulée sur la Seine mais aussi sur  les monuments et les toits de Paris. Elle s’achève, grandiose, avec la voix immense de Céline Dion qui fait vibrer la nuit.  Avec L’Hymne à l’amour, elle lance « le bleu de l’immensité ». Ainsi l’espace musical infini enveloppe l’espace fini du ballon et de la vasque en suspension dans le ciel. L’infini peut se replié dans le fini mais le feu de la vasque est virtuellement infini: il exprime le courage, l’élan, la prise de risque dans la vie, mais aussi l’amour, la passion, l’art à travers la couleur, l’or jaune de la vasque répondant au bleu de l’immensité.
Et l’Hymne à l’amour lui-même vit de ce battement entre le fini et l’infini : cette  chanson évoque l’histoire d’une femme qui sacrifie tout à son amant et qui se soumet en tout . « Si tu me le demandais. »
Elle élève cette soumission à la reconnaissance de l’amour. Son malheur ? Chercher une justification à l’amour. « Le ciel bleu sur nous peut s’effondrer. Et la terre peut bien s’écrouler Peu m’importe si tu m’aimes Je me fous du monde entier. Je renierais ma patrie. Je renierais mes amis  Si tu me le demandais »

Cet amour créé le désert et réduit l’espace  des amants à presque rien. Il y a deux amours. Celui qui se définit par ce qu’il n’a plus, un amour sans monde, sans patrie, sans amis, limité à deux pauvres points. Et un  amour  qui s’ouvre à l’infini, d’où la nécessité d’une voix grandiose qui, en se modulant, s’égale à l’espace.

©x

©x Marguerite Monod

Edith Piaf, la parolière et la compositrice Marguerite Monnot (1903-1961) qui a signé entre autres la musique d’Irma la Douce, et maintenant Céline Dion qui interprète cette chanson…Comment nait cet amour délivré de la soumission, des clichés des sentiments ? Par le filtre de la mort : « Nous aurons pour nous l’éternité, Dans le bleu de l’immensité. » Avec cette phrase splendide, le contenu de la chanson et la voix se réconcilient. Et tous les amants du monde frissonnent. Pourquoi doit-on prouver son amour (et à qui ,sinon à soi-même, en devenant son propre juge), par le sacrifice qui noue celui-ci à la violence? « La terre peut  bien s’écrouler. » J’échangerais  la continuité de mon amour contre la fin du monde ? Mais que devient-il sans ce monde ? Pas grand chose. Cet amour révèle un dépendance: désirer être aimé, soit le contraire de l’amour. Désirer être aimé, c’est à dire, se retirer de la passion, conduit à la bêtise: voir les clichés de l’amour comme un absolu!

Mais la voix ici dément le contenu de la chanson. Une voix puissante qui sonorise un grand espace. Mieux:  cette chanson s’adresse à ceux qui s’aiment et qui frissonnent à son écoute… Amour devient un paysage fluctuant où habitent un grand nombre. Et Céline Dion, malade mais courageuse, sait admirablement moduler ces deux amours avec parfois des mouvements abrupts et des abondons mais toujours avec un grande économie de moyens. Elle a changé sa manière de chanter, retenant ses forces, en donnant d’autres. Elle finit en larmes. Emotion,  gravité. Le monde est venu à Paris et L’Hymne à l’amour s’adresse à tout le monde.

©x

©x Edith Piaf et Marcel Cerdan

La compositrice Marguerite Monod se serait inspirée d’un lied de Schumann et cette chanson fait partie de la vie d’Edih Piaf qui a rencontré le boxeur Marcel Cerdan en 48 à New York. Elle crée L’Hymne à l’amour l’année suivante au Versailles, un cabaret de new yorkais. Peu de temps après, le 29 octobre 1949, Marcel Cerdan meurt dans un accident d’avion. Après l’avoir appris, Edith Piaf décide pourtant le soir même de chanter cet Hymne à l’amour et le lui dédien. Mais la chanson change de sens et c’est l’amour infini qui l’emporte au prix de la mort. Et chaque soir, grâce à la voix elle rejoint son amoureux « dans le bleu de l’immensité ».

Il existe un autre Hymne à l’amour où un monde et les amants résonnent dans L’Amoureuse en secret qu’écrivit René Char en 1947 donc juste à la même époque: « Elle a mis le couvert et mené à la perfection ce à quoi son amour assis en face d’elle parlera bas tout à l’heure; en la dévisageant. Cette nourriture semblable à l’anche d’un hautbois. Sous la table, ses chevilles nues caressent la chaleur du bien-aimé, tandis que des voix qu’elle n’entend pas, la complimentent; Le rayon de la lampe emmêle, tisse sa distraction sensuelle.Un lit très loin, sait-elle, patiente, tremble dans l’exil des draps odorants, comme un lac de montagne qui ne sera jamais abandonné. »

 

©x

©x

Athlètes de tous les pays, danseurs, ingénieurs, musiciens, entre autres ceux de la Garde républicaine, chanteurs, policiers, pilotes  de bateaux-mouche, inventeur de la vasque et de cette flamme aérodynamique, menuisiers, charpentiers, couturières, bénévoles, cameramen, commentateurs de télévision, danseurs, ouvriers sur le chantier de Notre-Dame, stylistes, jeunes créateurs et créatrices de mode, acrobates, fabricants de décor, photographes, vérificateurs de pont, historiens,militaires, électriciens, ingénieurs du son, pompiers, pilotes d’hélicoptère… Hommage à eux  à Thomas Jolly, le metteur en scène de la Cérémonie et à  toutes ses équipes. »Voilà la France moderne qui s’avance avec ses alliés substantiels » écrivait aussi René Char.

Bernard Rémy

 


Festival de l’Hydre III par la compagnie K-Simon Falguières et les Bernards-L’Hermite


Festival de l’Hydre III par la compagnie K-Simon Falguières et l’association des Bernards L’Hermite

 Nous avons découvert cette fabrique théâtrale installée à Saint-Pierre d’Entremont (Orne) en rase campagne, dans un ancien moulin pour son deuxième festival (voir Le Théâtre du blog). Depuis, le chantier a bien avancé et se poursuit. L’ancienne usine rénovée a maintenant ses espaces de répétition,  montage et stockage de décors. Elle compte sept chambres, deux salles de bain et un dortoir pour accueillir les artistes en résidence.

©x

©x

Cette année, vingt-trois compagnies, pour moitié implantées en Normandie, sont venues y répéter. En face, les anciens bureaux du moulin, transformés en lieu d’habitation, abritent six personnes en permanence dont Simon Falguières et le directeur technique de la compagnie K. Ce collectif d’«artistes-bâtisseurs» mène de front la création de spectacles et la construction, à terme, d’un théâtre, ouvert hiver comme été. Simon Falguières le rêve, ouvrant sur les falaises, la rivière et la forêt de ce vallon. Parallèlement, la réfection de la roue motrice du moulin pour produire de l’électricité, nécessite de gros travaux comme entre autres, la mise en eau de l’ancien bief menant à la turbine. La vente du courant à E.D.F. permettra de couvrir les frais de chauffage. L’inauguration de cette fabrique réunissant les différents corps de métiers du spectacle est prévue vers 2029, le temps de trouver les fonds nécessaires…

 La compagnie K n’est pas en marge de l’institution théâtrale et est associée aux Centres dramatiques Nationaux de Vire, Caen et Nanterre. Mais elle entend bien préserver son autonomie artistique: «La seule façon de repenser la décentralisation, dit Simon Falguières, est de vivre localement. » Depuis son installation au moulin, sa compagnie organise des ateliers d’écriture et pratique théâtrale amateur, avec l’appui des communes avoisinantes: Cerisy-Belle-Étoile, Saint-Pierre d’Entremont et Flers, la ville la plus proche. Écoles et collèges y participent aussi.
Nombreux sont les habitants des villages alentour qui adhèrent au projet et se réjouissent de voir naître un bar associatif, là où tous les bistrots ont fermé, et de participer aux stages de théâtre, un week-end par mois. Certains collaborent au chantier pour construire un muret ou donner un coup de main lors des manifestations. Quatre-vingt bénévoles assurent aussi cette année la bonne marche du festival: accueil, manutention, cuisine, parking, bar… Cette fois-ci, le festival a lieu en extérieur et sur deux scènes. Le prix d’entrée libre vaut adhésion à l’association des Bernards-L’Hermite. Pour une somme modique, on peut manger sur place: bar et crêperie ne désemplissent pas…
Les six membres permanents de la compagnie déterminent ensemble le programme des festivités et veillent à la mixité, en accueillant «des femmes avec des paroles relatives à leur combat ». Au programme : spectacles, concerts et Molière, la nouvelle pièce de Simon Falguières.


Sillages


© Mireille Davidovici

© Mireille Davidovici

Quentin Beaufils et Léo Ricordel, acrobates trampolinistes, accompagnés par la violoniste Zoé Kammarti, bondissent sur une piste circulaire. Avec élégance, ils se croisent, grimpent sur les épaules l’un de l’autre. Des voix viennent donner sens à leurs déambulations : réflexions d’adultes sur le sens de l’existence, et d’enfants enregistrées à l’école élémentaire de Cerisy.
Quand la musicienne rejoint les circassiens sur leur agrès, la navigation se complexifie entre opposition et échappées solitaires… Ce premier spectacle de trente minutes sera étoffé en une forme plus longue pour la scène.

Va Aimer !

 

©Xavier Tesson

©Xavier Tesson

Eva Rami convoque son double: Elsa Ravi. Au rythme effréné des aventures de cet alter ego, elle incarne père, mère, grands-mères mais aussi l’institutrice et ses meilleures copines. Elsa Ravi remonte ainsi vers les traumatismes de son enfance, trop longtemps enfouis. L’autrice et comédienne excelle à changer de corps et de voix. Avec énergie et drôlerie, elle dénonce le viol et l’inceste qu’elle a subis, lors d’un faux procès qui fait écho à toutes celles qui osent aujourd’hui prendre la parole. Après un Molière et le festival d’Avignon cette année, Va aimer est repris cet automne au théâtre de la Pépinière à Paris.

Danube

 

©Xavier Tesson

©Xavier Tesson

Mathias Zakhardonne corps et voix à son Journal de voyage écrit en 2017, pour les Croquis de voyage à l’École du Nord où il était élève-comédien. Suivant le cours du Danube, il remonte aussi le fil de son histoire familiale. (voir Le Théâtre du blog). Un mois durant, il traverse l’Europe, en train, bateau, stop… de la source, à l’embouchure du fleuve (« Le petit robinet est devenu une bouche où le Danube se perd. »Au terme du parcours, arrivé au kilomètre zéro, paradoxalement là où le fleuve se jette dans la mer après 2.882 kilomètres, il conclut : «Le voyage est une longue quête vers un moi qui ne m’appartient pas.»
À l’heure où l’Europe vacille, l’histoire des peuples meurtris par les totalitarismes passés et à venir, a nourri une nouvelle version de Danube. A partir d’un texte initial, Mathias Zakhar a pris des chemins de traverse un peu hasardeux et surtout n’a pas trouvé le juste rythme. Mais il aura le temps de peaufiner ce solo pour le jouer en tournée organisée par le Théâtre des Amandiers à Nanterre.

Molière (titre provisoire) texte, mise en scène et scénographie de Simon Falguières

©Compagnie le K

©Compagnie le K

En une heure vingt, « La vie glorieuse et pathétique du célèbre Molière. Une vie romancée, inventée, mensongère sur ce que nous inspire le plus connu des chefs de troupe français. Nous ne sommes pas Molière mais notre art est le même.» Six interprètes-«pour donner la sensation de troupe», dit Simon Falguières, jouent sur d’étroits tréteaux, sans effets de lumière, en costumes de tout style, puisés par Lucile Charvet dans les stocks de la compagnie. Les rideaux de scène blancs flottant au vent sont les voiles d’un radeau imaginaire.

Dans la première partie, Farce rêvée sur la vie et la mort de Molière, l’auteur reconstitue l’enfance du dramaturge et ses douze ans de vie théâtrale errante et dans la seconde, il récapitule, devant le dramaturge mort en scène dans Le Malade imaginaire, les épisodes de sa carrière parisienne, avec les aléas dûs à sa condition de courtisan. «Finie la liberté, l’artiste de théâtre mange dans les mains du Pouvoir.»
Quand Molière se rêvait tragédien, il reste condamné à la comédie, son terrain d’excellence. Simon Falguières réécrit en saynètes L’Étourdi ou les contretemps, premier succès de la troupe et le met en scène, façon commedia dell’arte avec masques et perruques. Victoire Goupil, grimée en Mascarille, mène un train d’enfer à ses partenaires et sera, tout au long de la pièce, l’éternel valet impertinent, tenant tête à ses maîtres sur scène, et à Molière, à la ville.

Quand Jean-Baptiste Poquelin dit Molière chasse «ses masques » pour monter Nicomède de Pierre Corneille-un fiasco- il les rappelle à l’entracte, pour sauver, grâce au rire, ce spectacle donné devant le Roi et toute la Cour.
Simon Falguières s’en donne à cœur joie dans cette version burlesque où il tourne en ridicule la fable politique de Corneille. Il convoque aussi Panoramix pour une brève leçon d’histoire de France façon B.D., où Dupont (Antonin Chalon) et Dupont (Charly Fournier) se font les historiographes de Molière.
Ces transfuges de Tintin nous dévoilent les intrigues de palais, depuis Henri lV. Anne d’Autriche (Manon Rey) se métamorphose en Louis XIV. Louis de Villers est Marie de Médicis, Victoire Goupil, Richelieu. Et Antonin Chalon, Philippe d’Orléans. En supplément à cette farce, Simon Falguières donne quelques petits coups de griffe aux puissants d’hier et d’aujourd’hui, comme Molière savait déjà le faire.

Les changements de rôle et costume ne ralentissent pas un rythme trépidant et, aux côtés de ses partenaires multicartes, Anne Duverneuil est un Molière dynamique, ambitieux mais est aussi le mari jaloux de la jeune Armande (Charly Founier). Il se moque aussi de lui-même en vieillard dans L’Ecole de femmes et est l’homme émouvant qui restera fidèle à Madeleine (Victoire Goupil), son inspiratrice, jusqu’à son dernier souffle. Ses déboires amoureux et politiques se traduisent par une courte tirade du Misanthrope…

Cette pièce courte, enjouée, impertinente à la Molière, a été conçue pour l’itinérance comme celle de son modèle. La compagnie K envisage une tournée par les villages, et, au printemps, ira à pied, du Moulin de l’Hydre jusqu’à Caen, décor et costumes mis sur une charrette tirée par des chevaux. Les saltimbanques joueront à toutes les étapes, en plein air ou à couvert en cas de pluie, et  organiseront des ateliers d’écriture.

Avec Molière (titre provisoire), la compagnie K entame un nouveau cycle dans l’esprit de la décentralisation: «Molière sera la première pierre, dit Simon Falguières. (…).  Le rêve serait de monter, entre 2025 et 2027, un feuilleton de quatre pièces où Sganarelle aurait le rôle principal, celui que jouait toujours Molière. (…) Une tragicomédie sur le chemin pathétique du personnage comique le plus célèbre du théâtre français.
En attendant, l’auteur-metteur en scène poursuit l’écriture d’un prochain spectacle qu’il annonce plutôt sombre, comme l’air du temps… La troupe répète déjà, au fur et à mesure de l’avancée de l’écriture. Il verra le jour, l’année prochaine au Théâtre de la Cité à Toulouse.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 6 septembre, au Moulin de l’Hydre, au lieu-dit Les Vaux, Saint-Pierre d’Entremont(Orne). Jusqu’au 14 septembre, représentations autour du Moulin de l’Hydre, dans le cadre de l’été culturel.

Du 23 au 29 septembre, à Transversales-Scène Conventionnée de Verdun (Meuse). Et de novembre 2024 au printemps prochain, dans l’Orne, l’Eure, à Flers Agglo, Bernay, SNA 27, et à la Comédie de Caen (Calvados). A suivre…

Pour soutenir la construction de la Fabrique théâtrale : helloasso.com/assocations/les-bernards-l-hermite

 Danube, du 27 janvier au 2 février, tournée itinérante organisée par le Théâtre des Amandiers à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Va aimer, du 23 septembre au 11 novembre, Théâtre de la Pépinière, Paris ( II ème).


Un Conte d’hiver de William Shakespeare, mise en scène de Julie Delille

Le Conte d’hiver de William Shakespeare, traduction et adaptation de Bernard-Marie Koltèes, mise en scène de Julie Delille

 

©x

©x

Julie Delille, directrice du Théâtre du Peuple succède à Simon Delétang et est la première femme nommée à la tête de ce lieu légendaire qui fêtera ses cent trente ans l’an prochain! Niché dans les Vosges et classé Monument historique depuis 76, il a été fondé en 1895 par l’écrivain Maurice Pottecher.  Avec, pour devise inscrite sur le cadre de scène côté cour: Par l’art, et côté jardin: Pour l’humanité». La metteuse en scène a découvert cet endroit féérique après en avoir longtemps rêvé.

C’est sa première création ici, et dans le répertoire classique. Julie Delille nous avait surpris et fascinés par ses adaptations d’œuvres littéraires ou/et poétiques contemporaines: Je suis La Bête, d’Anne Sibran ou récemment, Le Métier du Temps -La Jeune Parque et La très Jeune Parque (abordable dès 6 ans) d’Aix Fournier-Pittalugal autour d’œuvres de Paul Valéry.

Réfléchir sur la société, la culture d’aujourd’hui, son rapport à la nature et sur l’avenir : «Toutes ces questions qui traversent notre monde sont très prégnantes à Bussang, comme la relation au vivant, les enjeux écologiques, la ruralité. » Sa pensée artistique s’est nourrie des lectures de la philosophe Arne Naess et de poètes comme Edouard Glissant, Paul Valéry…  « Je voudrais que ce théâtre, dit-elle, soit un lieu de pensée et un espace poétique préservé, un abri où il est possible de prendre le temps, d’avoir une relation avec des œuvres de l’esprit, comme une réponse éventuelle aux crises que nous traversons. »Faire vivre le Théâtre du Peuple sous le signe du partage entre le public, les artistes et techniciens, cette volonté socio-politique est devenue réalité. 

 « Le Conte dhiver, dit-elle, a été une évidence pour ce lieu et pour moi; on le monte avec des professionnels et des amateurs, on l’accompagne et l’objet va se finaliser avec le regard et l’âme du public. » Les répétitions lui sont étaient ouvertes, ce qui est rare  dans une création ! Pour Julie Delille, c’est une manière de faire relation avec soi,  les autres, la nature et l’œuvre : « La résonance, c’est un chant de mésange qui nous va droit au cœur. (…) C’est être ensemble en petit peuple dans le silence et dans le lieu. »  A la fin de spectacle, moment rituel, splendide et unique, l’ouverture du fond de scène sur la forêt marque bien le lien incontournable et vital, pour la metteuse en scène, entre Culture et Nature.

 

©x

©x

Cette tragi-comédie, (1610), une des dernières pièces de William Shakespeare, n’est pas la plus jouée. Leontes et Hermione sont roi et reine du royaume de Sicile. Ils ont un premier fils Mamilius et attendent un second enfant.
Polixènes, roi de Bohème, lui, a un fils: Florizène. Ces monarques, frères de cœur, ont grandi ensemble mais les responsabilités de l’âge adulte les ont éloignent. La pièce commence avec le retour de Polixènes en Sicile où, depuis neuf mois la fête bat son plein, mais elle va bientôt  s’assombrir .. Polixènes annonce qu’il va retourner dans sa Bohême mais ses hôtes le pressent pour rester. En même temps, un doute s’insinue chez  roi Léontes. Que signifient les gestes spontanés d’Hermione envers Polixènes, son invité : des mains se touchent légèrement et il y a des regards et rires complices…
Léontes : «Et le pied qui chevauche le pied ? Les cachotteries dans les coins? Vouloir que l’horloge aille moins vite, que les heures soient des minutes, que midi soit minuit. Vouloir que le monde entier soit aveugle, sauf soi-même, afin de pouvoir faire tranquillement le mal à l’abri des regards ? Tout cela n’existe pas? Alors l’univers et tout ce qu’il contient,  n’existe pas, le ciel qui nous recouvre, n’existe pas, Bohême n’est rien, ma femme n’est rien et il n’y a rien dans ces riens, si ça n’est rien.

 Bref, la jalousie s’empare du roi et ne le lâchera plus. Qui est le père de l’enfant qu’attend Hermione ? La démence du souverain provoque la fuite de Polixènes. Mais Leontes ordonne au fidèle seigneur sicilien Camillo, de retrouver et d’éliminer son frère de cœur.
Suivront des actes innommables : le jeune prince de Sicile, Mamilius est arraché à sa mère qui, elle-même, est aussitôt emprisonnée et la petite fille dont elle accouche dans sa cellule, est abandonnée sur une plage.

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Rien ne vient apaiser la rage et l’aveuglement de Léontes. Face à son délire destructeur,  un oracle d’Apollon proclame l’innocence de la reine: «Hermione est chaste, Polixène irréprochable et Camillo est un sujet loyal, Léontes, un tyran et son enfant innocente est légitime. Le roi vivra sans héritier, si ce qui est perdu, n’est pas retrouvé. » Mais cet oracle restera vain. Et Ceux qui sont frappés par la folie de Leontes seront tués! Comme son épouse la Reine et son fils Mamilius.
Dans une solitude extrême, le roi verra son existence anéantie, conscient d’être le seul coupable de sa ruine! Mais le Temps, comme un magicien, opère. Seize ans plus tard en Bohême, Perdita l’enfant abandonnée, a été recueillie par un berger et son fils. Ravissante, la jeune fille ignore tout de sa royale naissance.

Le beau et jeune Florizel, fils du roi de Bohême, se fiance à elle. Polixène, fou de colère que son fils soit amoureux d’une bergère, promet de terribles châtiments à Perdita et à sa famille et ordonne à son fils de plus jamais la revoir. Les jeunes gens sont effondrés.
Heureusement, Camillo, à nouveau là, organise leur fuite en Sicile. La puissance de l’amour et l’envie, coûte que coûte, de vivre son idéal, trait merveilleux de la jeunesse, vont triompher. Après l’hiver, le printemps ! L’éternel retour. ..

 La metteuse en scène a choisi la traduction et l’adaptation de Bernard-Marie Koltès, comme Luc Bondy en 88. «J’avais peur d’aborder Shakespeare. Je tenais à la traduction (apocryphe) de Bernard-Marie Koltès. Il y a là, un geste sensible et singulier d’écrivain et c’est aussi pour cela, qu’elle a été mal reçue à l’époque.» La prose et le chant de cet écrivain produisent chez le lecteur et le public, une réception sensible, plus directe et charnelle et le texte, allégé, conserve toute la poétique de William Shakespeare dans sa profondeur et ses énigmes.

Le vivant et la théâtralité naissent ici à la source de la sève des mots et des multiples possibilités de signification. Le lieu entre aussi en parfait dialogue avec cette tragi-comédie. La scénographie de Clémence Delille, pleine d’esprit s’inscrit en complicité esthétique avec l’espace intérieur et extérieur du Théâtre du Peuple et l’écriture de la pièce. Des châssis de bois mobiles pour figurer en trompe-l’œil les façades du Palais, sont ensuite un dédale où le roi s’égare, emporté par la folie !

La metteuse en scène a fait du personnage de Leontes, roi de Sicile, interprété merveilleusement par Baptiste Rellat, le point central de cette histoire. Elle en offre au public une réception claire en imposant la puissance tragique, à partir du seul personnage de Leontes. La roue de la fortune, si chère à Wiliam Shakespeare, est en marche ! 

L’imaginaire et la recherche poétique du beau prennent ici racine dans l’intériorité. Cet espace poétique nous ouvre une réflexion intime, complexe et pulsionnelle de l’être humain et du texte. Le beau monologue de Leontes, au début, en est le reflet : « Je vais à la pêche mais vous ne voyez pas l’hameçon. Allez-y, allez-y. La manière dont elle lui tend son bec, son museau; elle l’allume, exactement comme une femme ferait avec son mari.  (…) Plutôt réconfortant de savoir que d’autres que moi possèdent des chambres, dont les portes s’ouvrent sans leur permission. Si tous ceux que leur femme trompe désespéraient, un homme sur dix serait pendu. Pas de remède, pas de remède : cette planète est une maquerelle, elle nous tient, elle nous possède de l’Est à l’Ouest, et du Nord au Sud. Conclusion : il n’existe pas de verrou pour le ventre d’une femme. »

© Jérôme Humbrecht

© Jérôme Humbrecht

Direction du jeu hors pair et il y a ici un choix esthétique d’orienter la sensibilité du public et des interprètes vers une écoute intérieure de la langue shakespearienne, au plus près de la création. Les professionnels comme les amateurs de la troupe permanente sont tous remarquables.
Laurence Cordier joue brillamment à la fois Hermione et Perdita. Incroyable de sincérité à tel point qu’on a du mal à voir qu’une seule actrice les interprète. Laurent Desponds (Polixènes) met magnifiquement en lumière les personnalités opposées des deux rois.

Elise de Gaudemaris incarne Paulina qui a un sang-froid et une force de tempérament au risque de sa vie et nous admirons son courage.  Baptiste Relat (Léontes fou de jalousie et blessé à mort) est extraordinaire de sensibilité et bouleversant. Le Berger, est joué par celui qui, a plusieurs années, dirigé le bar du théâtre et qui a eu envie de monter sur les planches. Il nous ravit dans une scène ludique où les moutons sont aussi  d’excellents acteurs ! 

Julie Delille a  fabriqué avec ingéniosité, cinq «bulles », un terme trouvé, pendant les  répétitions, où elle met en relief des situations cruciales dans la fiction et sa représentation. Dès l’entrée des spectateurs, a lieu « la bulle de la fête » en l’honneur de l’invité, le roi de Bohême. Sur une composition remarquable pour orgue de Julien Lepreux, la séquence se répète trois fois et  retient l’attention par sa beauté et son côté festif.
La répétition de cette  » bulle » agit ici sur notre concentration et notre émotion. Le spectacle à peine commencé, nous nous sentons, aussitôt pris à témoin par ce qui s’y passe. Lors d’une crise violente de Léontes, une « bulle de la jalousie» est un des moments forts cette création. Sous une lumière à la fois sombre et irréelle, Léontes erre dans son château labyrinthique, perdu en lui-même, fou de rage et jalousie.
Le monde des ténèbres rôde en silence et laisse jaillir chez  Léontes, de terribles hallucinations. Ou encore dans cette «bulle de la chambre de la reine »,  avec ses suivantes et son fils Mamilius, Et la « bulle de la tristesse » où il fait boire à son fils, jeune Prince de Sicile, le breuvage mortel.
Puis la « Bulle de l’accouchement» dans la prison-contexte atroce-du second enfant de la Reine, et enfin, celle du voyage sur le navire du retour en Sicile… Julie Delille a eu pour ces Bulles, l’idée pour en marquer l’espace théâtral, de le faire jouer dans une loge de théâtre). 

La création sonore et la musique de Julien Lepreux sont d’une invention remarquable. Ils semblent comme venus du plateau mais leur source en est invisible, créent ainsi un effet dramatique  concentré et fascinant. La musique acousmatique difficile à intégrer dans la pièce, est là  tout au long du spectacle, sauf dans les moments de folie de Léontes. Elle se manifeste de façon sourde ou violente comme un fragment existentiel venu du fond des âges et qui explose.
La musique à l’orgue est en parfaite communion avec le mystère, le sacré, l’angoisse ici admirablement mis en vie. Le traitement du temps est aussi d’une grande subtilité et le public se trouve  dans une autre dimension où le Temps semble en permanence sous tension et comme dilaté. Le texte dialogue avec la lumière ingénieuse d’Elsa Revol, l’espace, le son, la musique… Ils se répondent et s’harmonisent en grande intelligence et sensibilité. Le public fasciné, ne voit pas le temps passer…

Un souffle dyonisiaque puissant traverse la création de cette artiste qui veut  rassembler diverses sensibilités humaines et esthétiques et laisser surgir l’humanité dans ses plus grandes folies. Julie Delille rappelle le sens du titre: Conte dhiver: « Une histoire qu’on arrive pas à croire» ! Pari réussi. Ce spectacle crée le trouble et met en valeur la lutte entre l’irrationnel et la raison, mais aussi l’art du théâtre. Inoubliable,  comme le Théâtre du Peuple !    

Elisabeth Naud 

 Spectacle vu au Théâtre du Peuple, à Bussang (Vosges) et joué du 20 juillet au 31 août.

 

Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (suite et fin définitives))

Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (treizième épisode avant le quatorzième:suite et fin définitive du feuilleton!)

La vasque se place sous le signe d’Héraclite d’Ephèse (544-480 av. J.C) sous le signe des quatre éléments: l’Eau (la Seine), la Terre (les Tuileries), puis le Feu (la vasque embrasée) et enfin l’Air avec l’envol du Feu. La Seine sera restée le personnage essentiel de la cérémonie. « Pour des baigneurs entrant dans les mêmes fleuves, d’autres et d’autres eaux couleront dessus. » écrivait Héraclite.

©x

©x


Mais le fleuve change sans cesse, même s’il reste le même par son seul nom qui assure  une permanence. »Paris change, qu’est-ce qui reste le plus semblable à soi-même ? Evidemment, la Seine.
Il restera aussi longtemps, que nous continuerons à appeler la Seine par son nom. » Mais y a-t-il un rapport entre le nom et la chose, entre le devenir et la permanence ?
Le fleuve puissant est un flux, et pour survivre, il faut naviguer, choisir des directions  à  travers la masse des courants. Comme les bateaux des athlètes, ou le cheval mécanique qui, lui, a été  dirigé à la corde.

Le fameux : « Je est un autre » d’Arthur  Rimbaud pourrait se prolonger en « l’autre est sans cesse autre ». L’individu et le fleuve participent du même flux. Et la tempête concerne à la fois l’individu: devenir autre est une tempête au ralenti) et les courants impliquent des tempêtes basses. « Fluctuat nec mergitur », devise de la capitale (elle est ballotée mais ne coule pas) le dit bien: on résiste à la tempête pour mieux en tirer bénéfice. Cela concerne les Parisiens mais aussi l’humanité toute entière. Vivre est dangereux et la tempête du fleuve envahit le parquet des danseurs, les secoue, les soulève, les épuise, avant de les jeter au sol.

©x

©x

Au Trocadéro, un bateau s’apprête à fendre raverser le chaos du fleuve, avec des passagers légendaires. Zinedine Zidane, tout sourire,  réapparait comme si de rien n’était. Comme le porteur masqué de la flamme qui lui, revient à la surface et donne la flamme à Zinedine Zidane. Rafael Nadal, radieux en veste rouge, se dirige vers lui. Ils s’étreignent. Un simple mais très  grand moment. Rafael Nadal repartira avec la flamme vers le quai…

©x

©x Carl Lewis

©x Rafael Nadal

©x Rafael Nadal

Soudain des inventions lumineuse jouent sur la Tour Eiffel avec des figures autonomes  non figuratives… Des flammèches noires montent et descendent de la Tour qui disparait un moment sous des lignes vertes s’entrecroisant. Puis un bouquet de lignes bleues semble en sortir… Cela ressemble aux œuvres du réalisateur canadien Norman McLaren (1914-1987) qui a utilisé de nombreuses techniques de création sans caméra : grattage de pellicule, peinture sur pellicule, pixilation, stop motion, dessin animé…

Une vedette fonce dans la nuit venteuse, avec à son bord, quatre personnages légendaires: Carl Lewis (saut en longueur), Serena Williams et Rafael Nadal (tennis), Nadi Comenaci (gymnastique). Tant de gloires dans un aussi petit espace…. Le passé des uns rejoint en flèche le présent des autres et l’illumine.

©x

©x Serena Williams

©x

©x Nadia Comenaci

Comme un relais de flamme d’un type particulier: mezzo voce, Céline Dion prolonge Piaf et au volume que traverse le ballon, correspond celui de sa voix. « Le ballon qui soulève la vasque, dit Ariane Dollfus, journaliste, n’est pas une montgolfière mais un ballon à gaz, inventé par le physicien Jacques Charles (1746-1823) et son premier envol eut lieu en 1783…

La flamme olympique passe de main en main et les relais deviennent plus rapides, comme des battements de cœur. Les Gadeloupéens, Marie-Jo Perec championne olympique il y a trente ans, et maintenant le judoka Teddy Riner allument le feu de l’immense vasque reliée à la montgolfière par de nombreux filins. Le feu d’abord jaune, vire à l’or.

©x

©x


Cette vasque que Mathieu Lehanneur, designeur, a créée, s’envole lentement en majesté dans la nuit de Paris.  Plus de cent ingénieurs, techniciens, spécialistes de l’acier recyclé et des systèmes de brûlage participèrent à sa fabrication.
Il a conçu également la torche et selon lui  » la couleur très douce résulte de la fusion de l’or, de l’argent et du bronze ». Je me sers de connaissances sur la composition de l’air et la transformation des matériaux. Un objet n’est pas quelque chose de statique. »
Pour cet inventeur « héraclitéen », la vasque associe le feu, l’air, l’eau et la terre. Et selon le philosophe grec, la circulation de ces quatre éléments rythme la vie.

©x

©x


La voix humaine module l’air et nous entendons L’Hymne à l’amour interprété par Céline Dion.
Empédocle parlait ainsi de l’amour: »C’est pour Aphrodite qu’ils entretiennent des pensées d’amour et qu’ils accomplissent des œuvres de solidarité, la nommant du nom de la Joyeuse, ou encore : Aphrodite.
Elle les entraîne dans sa danse, et pourtant nul ne l’a connue, nul homme mortel. »


Bernard Rémy


 

 


Livres et revues Le Masque en jeu, une école de l’acteur de Guy Freixe

Livres et revues

Le Masque en jeu, une école de l’acteur de Guy Freixe

Cet acteur, metteur en scène et pédagogue, a été formé par Jacques Lecoq, grand spécialiste du masque. Il a joué longtemps au Théâtre du Soleil, dans la série  Shakespeare : Richard IILa Nuit des RoisHenry IV puis dans L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d’Hélène Cixous. Metteur en scène, il dirige depuis 88 le Théâtre du Frêne, compagnie conventionnée par le ministère de la Culture, et a mis en scène une trentaine de spectacles en France et à l’étranger dont entre autres, Triptyque O’Neill, Kroum l’ectoplasme d’Hanokh Levin et un remarquable Soif d’amourTrois Nô modernes de Yukio Mishima avec les jeunes acteurs de la dernière promotion de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot. Mais aussi Dom Juan de Molière, à Grignan, Danser à Lughnasa de Brian Friel, au Théâtre du Soleil.

©x

©x

Il dirige régulièrement des stages professionnels sur le jeu de l’acteur masqué et intervient dans plusieurs Écoles nationales supérieures de théâtre. Il a aussi écrit La Filiation Copeau-Lecoq-Mnouchkine. Une Lignée du jeu de l’acteur. Et surtout Les Utopies du masque sur les scènes européennes du  siècle. «Cet ouvrage comme il le dit clairement, ne se veut pas une méthode d’apprentissage technique du jeu masqué , parce que je ne pense pas que le masque soit une technique de jeu parmi d’autres. Je le considère comme un instrument,infiniment précieux, qui donne accès aux jeux fondamentaux du jeu de l’acteur. (…) Avec ce livre, je cherche à faire partager mes trente-cinq années d’engagement dans une pédagogie de l’acteur qui se rattache à cette voie française de la scène européenne et qui passe Jacques Copeau, Charles Dullin, Louis Jouvet, Jean Vilar, Jacques Lecoq, Ariane Mnouchkine. Le masque comme école de jeu.»
Dans cet ouvrage passionnant, il relate l’apprentissage des techniques de jeu masqué et souligne l’importance qu’a la préparation du corps et le mouvement, à plusieurs ou seul dans l’espace. Une chose maintenant évidente et qu’ont réussi à imposer depuis environ trente ans, les pédagogues d’expression théâtrale confirmés. Déjà, au Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne (qui était une sorte d’école sans en porter le nom) et auquel nous avons appartenu, cette exigence était apparue. Et il nous souvient que, dans son spectacle-culte, Les Perses qui fut joué avant la dernière guerre et après, un peu partout en France et en Europe, la vieille reine Atossa, en grande robe noire, avait un masque gris cendre. Un personnage remarquablement joué par un jeune acteur amateur de vingt-neuf ans, petit et maigre, à la voix un peu cassée. S’opérait alors un véritable dédoublement: les codes habituels de mouvement avaient disparu, comme s’il y avait eu  un transfert de personnalité : bref, le grand écart entre ce petit employé à la Sécu… et cette grande reine perse, épouse du roi Darios, imaginée par l’immense Eschyle il y a vingt-quatre siècles.
Le temps d’une heure sur un plateau, c’était pourtant la même personne que le public regardait absolument fasciné…et encore plus au moment des saluts quand on enlève les masques… Dessiné par le peintre Jean Bazaine en 1936 pour le metteur en scène Maurice Jacquemont, il offrait à l’acteur mais après bien des répétitions exigeantes, la possibilité de percevoir et d’exprimer toute la dignité et la douleur d’un mère. Et sans doute en partie cette voix si particulière.  Ce qu’une actrice ayant eu l’âge du rôle, n’aurait pas réussi aussi bien à faire. Quelle leçon de théâtre quand on a vingt ans! Quel fabuleux miracle du jeu masqué grâce à un pauvre carton moulé, ou à un morceau de bois sculpté! Guy Freixe a horreur du plastique et on le comprend. Avoir joué avec, Les Sept contre Thèbes d’Eschyle, même en plein air était une rude épreuve!
Ensuite, le masque a eu droit de cité dans les écoles supérieures: Saint-Etienne, Conservatoire national, Ecoles du Théâtre National de Chaillot et du Théâtre National de Strasbourg, ENSATT à Lyon et bien entendu, dans les stages dispensés par Ariane Mnouchkine.

©x

©x

Le corps, rappelle justement Guy Freixe, est l’instrument premier de l’acteur et indispensable au jeu masqué. Respiration correcte, détente, analyse du mouvement: tout ce que les théâtres d’Extrême-Orient exigent de leurs interprètes depuis longtemps. Des pratiques qu’on trouvait rarement en Europe, même sur les grandes scènes des établissements officiels où régnait la parole… Et dont les services d’enseignement au Ministère de la Culture qui n’ont jamais brillé par leur sens de la pédagogie, se souciaient peu.

Guy Freixe insiste sur l’expérience psychologique capitale que représente le choix, puis et surtout le port d’un masque masculin ou féminin par un interprète de l’un ou l’autre sexe. Et il pose aussi une question troublante : qu’est-ce qu’une voix masquée ? Il relate comment John Arnold (qui va bientôt jouer L’Avare de Molière au Théâtre de la Tempête dans la mise en scène de Clément Poirée) découvrit sa «nouvelle» voix. Il allait jouer-à dix-huit ans-Jean de Gand dans Richard II de Shakespeare, avec un masque de vieillard. « J’étais tout à fait incapable de l’avoir sans le masque. Et je le suis toujours. »

Il y a aussi un bon chapitre sur l’expérience pédagogique de Guy Freixe en 2022, au Pôle culturel Djaram’arts au Sénégal en pleine brousse au Sud de Dakar. Avec une réflexion de haut niveau sur la tradition du masque en Occident où l’église catholique en avait strictement interdit l’usage, et un pays comme Bali où le masque est l’équivalent du rôle. Masques balinais, rappelle Guy Freixe, que Peter Brook utilisa pour sa fameuse Conférence des Oiseaux au festival d’Avignon en 79. « Après l’entraînement du matin, les improvisations ont permis d’aborder plusieurs scènes d’auteur en y faisant souffler un vent de fantaisie et un grain de folie. »: merci Molière Alfred Jarry Bertolt Brecht… Guy Freixe cite aussi la fameuse phrase de Meyerhold disant que, grâce au masque, l’acteur devient auteur. Et avec une fabuleuse collection de masques, Guy Freixe aura permis avec ce stage, à de jeunes interprètes d’en découvrir la puissance inégalée et d’en libérer le rire…

Ce livre est richement illustré avec des séries de photos (dont de nombreuses réalisées  par Christophe Loiseau) sur ce stage au Sénégal.  Toutes significatives, notamment celles de demi-masques et masques entiers balinais absolument étonnantes! Ou celle du Veilleur dans l’Agamemnon d’Eschyle, avec un masque conçu par Francis Debey,qu’on peut voir  sur la couverture. Comme le masque neutre, devenu historique, réalisé en papier mâché par Marie-Hélène et son mari  Jean, Dasté au début du XX ème siècle pour l’école du Théâtre du Vieux-Colombier où ils furent élèves et que dirigea Jacques Copeau (1879-1949) le père de Marie-Hélène. Un masque que reprit le grand Jacques Lecoq (1921-1999) qui suivit les cours de Jean Dasté. Et à côté, le célèbre masque neutre en cuir d’Amleto Sartori en 1951, grand sculpteur italien (1915-1962). Il  conçut aussi celui d’Arlequin, serviteur de deux maîtres, pour la pièce éponyme de Carlo Goldoni, dans la mise en scène-culte de Giorgio Strehler.

© Masiar Pasquali

© Masiar Pasquali


L’auteur apporte ici sa pierre à une histoire vivante du théâtre contemporain, surtout celui de la fin du XX ème siècle.
La filiation théâtrale avec entre autres, l’histoire de la transmission du jeu masqué,  ici nettement mise en valeur.
Elle fait partie d’un enseignement bien compris du théâtre, dans la mesure où elle permet aux élèves d’avoir  une réflexion sur le temps et de l’espace scéniques, absolument irremplaçables..
.

 

Philippe du Vignal

Editions Deuxième époque, collection Les Voies de l’acteur dirigée par Patrick Pezin. 28 €.


La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ( suite et fin)

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ( suite et fin)

 

©x

©x


Morgan Suqart, la cavalière du cheval mécanique, tire deux cordages pour le faire passer correctement sous les ponts et diriger « cette féérie », encouragée par les spectateurs partageant un commun enthousiasme et ce rêve à plusieurs donne un surcroît de réalité.

Le cheval arrive et ralentit. En arrière, deux grandes ailes lumineuses accrochées sur le pont et dans l’axe de sa trajectoire, donnent l’impression, un instant, d’un cheval ailé.

Comme Pégase… Mais il vole à ras de l’eau, porté en l’air par le trimaran..Nous pensons bien sûr, aux études du galop faites par le Français Jules-Etienne Marey (1830-1904) et l’Américain Edward Muybridge (1830-1904). Ils montrèrent qu’un cheval au galop n’a jamais les quatre fers en l’air en extension et quitte seulement le sol quand il regroupe ses jambes sous lui.

©x

©x

Pour son expérience avec le chrono-photographe, en 1882. Marey, déjà, avait muni l’animal de points réfléchissants sur les bras et les jambes, Et la philosophie prendra le relais de la science avec Henri Bergson (1859-1941), pour qui il s’agissait  de prélever sur un être en mouvement, ses lignes de corps, Et au fond de la mémoire ,il évoquait des « points brillants » : le temps pur. Lignes de corps et points brillants vont de pair. Et cette année, des ingénieurs en donnèrent une possible incarnation à cette jonction avec cet automate aux mille lucioles. Les essais techniques eurent lieu à Quiberon.
Il y a déjà plus d’un demi-siècle les établissements JAF (Automates de France) dirigé par Daniel Accursi, fabriquaient toute l’année et plus spécialement pour Noël, des automates pour les vitrines des grands magasins: Le Printemps, le Bon Marché… qui enchantaient les enfants et les adultes…

©x

©x

Un vrai cheval  blanc et noir, suit au pas sans transition, la trajectoire du cheval mécanique, avec une autre cavalière: Floriane Issert, sous-officier de gendarmerie. Dans la clarté constante des lumières électriques, jusqu’au mât où sera hissé le drapeau olympique. Tout change, des masses noires de la Seine, au chemin lumineux du Trocadéro. Sérénité et solennité puis arrive un moment alliant simple beauté et émotion.

©x

©x

Peu avant l’arrivée du cheval sur l’esplanade du Trocadéro, des bénévoles portent à un rythme soutenu et avec le sourire les 205 drapeaux des Nations. Et ils font une haie d’honneur au passage du drapeau Olympique, Seulement deux cavaliers de la Garde républicaine accompagnent le cheval blanc et noir avec derrière, les porteurs de drapeaux.C’est poignant. Seules les couleurs jaune, vert, bleu, blanche, rouge miroitent les unes sur les autres. Mais la cérémonie mis en scène par Thomas Jolly ne s’appesantit jamais.

La cavalière descend de cheval et marche sur le double de la Tour Eiffel tracé au sol, drapeau replié. Elle avance lentement sur ce vaste proscénium. En cet instant solennel, les athlètes en contrebas vibrent, se déplacent en suivant la cavalière dans un joyeux désordre… Ils viennent de la Seine et le fleuve est en eux. Ils flottent sur la terre. La cavalière s »arrête au pied du mât et remet à un militaire le drapeau qui est hissé.

©x

©x

Pour la première fois dans l’histoire des Jeux Olympiques, l’institution militaire participe à la levée du drapeau et à toutes les cérémonies de remise de médailles. Des militaires d’active et de réserve, des jeunes du service volontaire et des élèves bénévoles des lycées des trois armées constituent un bataillon, le BATCEREM. L’armée républicaine protège un territoire, ses citoyens et leur mode de vie. Ici elle protège la beauté et le simple fait d’exister. Et la cavalière porte une armure…Gloire aux forces de protection mais gloire aussi aux citoyens qui réfléchissent à l’avenir de la France..

Bernard Rémy

 

 

.


La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (douzième épisode)

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (douzième épisode)

©x

©x

Philippe Katrine en Dionysos achève sa fantaisie antique et son théâtre commence en chantant: Et je remet le son sous les vivats d’un public… invisible. D’une manière abrupte, un drame, tout aussi joué, succède à la fantaisie. Que se passe-t-il quand la jeunesse abandonnée se dirige,  sous une apparence d’énergie maximum, vers un malheur rythmique. Sur un parquet en contrebas, les danseurs aux costumes bariolés, frappent le sol, croisent les bras, baissent les mains et relèvent la tête sur un tempo effréné, toujours à la crête, sans différence de potentiel…
A cette hauteur, l’asphyxie menace. On croit voir la vie qui danse mais on sent un danger et la mort à l’œuvre. Une tension maximum vide les corps en proie à un croyance frénétique : « tout danser ». La vitesse absorbe toutes les forces de ces artistes qui s’arrêtent net, s’écroulent et ne se relèvent pas… Mais les vibrations de lumière n’y changeront rien.

Friedrich Nietzsche affirmait dans La Naissance de la tragédie (1872): « Il ne faut pas tout danser ». La danse associe  force… et réserve qui doit accompagner tous les degrés d’énergie et s’opposer au mouvement à la frontière de la vie et de la mort. Dans l’épisode des danses à Notre-Dame de Paris (voir épisode précédent dans Le Théâtre du Blog) par les quatre cent vingt danseurs de nombreuses compagnies françaises, vitesse et lenteur alternaient. Puis tout changea à nouveau et l’idée de la mort céda la place à une figure brillante dans la nuit. Comme si la cérémonie opérait en boucle et recommençait au pont d’Austerlitz.

©x

©x

Avance en effet à vive allure sur la Seine, un cheval mécanique dont la cavalière porte le drapeau olympique flottant au vent, brillant de lumière avec ses feuilles dorées sur le col, le poitrail, les sabots. A la fois rayonnement du cheval et de l’armure de la cavalière. Sur le fleuve sombre, ce  cheval mécanique est emporté par un trimaran sous-marin de quatorze mètres.  Le noir reste intact le temps du trajet mais la clarté survole. Le cheval fonce, et c’est une merveille, vers un but précis. Il ne laisse plus de place à des événements adjacents.

©x

©x

Une ligne pure  progresse vers un événement essentiel, grandiose et humain à la fois. Ce mécanisme devient presque un organisme et cette image provoque l »émerveillement de tous! Cela  nous entraîne vers une célébration  unique, celle de la naissance des jeux olympiques. Le miroitement des feuilles dorées du cheval mécanique traverse le temps, les années… Et  l’idée de première fois se répète, infuse les dates des jeux Olympiques passés et toujours à venir.  Par le truchement de simples photos d’athlètes de tous les jeux, ceux-ci reviennent et comme par un tour de force, naissent plusieurs fois. Antonin Artaud parle dans Le Théâtre et son double (1938) de « l’athlétisme affectif, de l’athlétisme du cœur, de la  musculature affective », liés à la « localisation physique des sentiments ».

©x

©x

Les modestes photos de Paavo Nurmi, Suzanne Lenglen,  Zatopek, Carl Lewis, athlète américain de soixante-trois ans (sprint et saut en longueur) a notamment remporté en tout dix médailles olympiques dont neuf en or, la gymnaste Nadia Comăneci (soixante-trois ans aussi) avec neuf médailles aux J. O. donc cinq en or,quatre fois médaille d’or aux Jeux de Séoul en 88, Alain Mimoun, premier vainqueur français du marathon à Melbourne en 56, Abbe Bikala, coureur éthiopien aux pieds nus, médaille d’or du marathon à Rome en 60 devant l’obélisque d’Aksoum volé à l’Ethiopie par Mussolini, Wilma Rudolf au 100 m à Rome à la plus belle allure de tous les temps, Nadia Comaneci à J.O. à Montréal en 76, avec quatre médailles d’or à quatorze ans, entre autres, aux barres asymétriques  et à la poutre.  Toutes ces grandes figures, dans le sillage du cheval mécanique, échappent  ainsi à leur passé et foncent vers notre présent.Carl Lewis et Comaneci  joueront aussi, merveilleuse surprise, un rôle dans la cérémonie.
Cet étrange cheval, conçu et fabriqué à l’atelier Blum à Nantes par une ingénieure est comme lâché dans la nature et  nous émeut durablement. La vitesse mécanique se confond ici avec celle du cœur. Le trimaran emporte  la cavalière masquée sur cet animal qui galope un peu au-dessus des flots.

©x

©x

Il est, dit Thomas Jolly le metteur en scène de toute la cérémonie: « l’incarnation de Sequana, déesse du fleuve ».Les Gaulois aimaient les sources et leur attribuaient des vertus thérapeutiques.A la fin du XIX ème siècle, Etienne-Jules Marey en France en même temps qu’Edward Muybridge aux Etats-Unis décomposèrent le galop d’un cheval. Marey parla de « machine animale » et  construisit aussi des « insectes artificiels ». Feuilles dorées, aluminium, tissus enveloppent ici le corps de la cavalière et de son cheval en métal.

 

© Musée archéologique de Dijon

© Musée archéologique de Dijon


Un sanctuaire où sera célébré  le culte de la déesse Seine (en latin Séquana) fut construit près de la source du fleuve a été souvent représentée en statue. La cavalière est ici Morgane Suquart ( trente-quatre ans), une Bretonne  à la tête de MM Process, une société spécialisée dans la conception de bateaux de course et foils. Elle  a imaginé ce trimaran motorisé de quatorze mètres de long sur cinq de large. Et la styliste Jeanne Frot a imaginé l’armure de la cavalière masquée. En route vers le Trocadéro avec un autre cheval… A suivre

Bernard Rémy

 


La Chute d’après Albert Camus, adaptation de Jacques Galaup, jeu et mise en scène de Jean- Baptiste Artigas

La Chute d’après Albert Camus, adaptation de Jacques Galaup, jeu et mise en scène de Jean- Baptiste Artigas

 Comment rendre la densité et la complexité d’une telle œuvre au théâtre, même si elle se prête à la mise en scène, grâce à sa forme orale et monologuée ? Ici, l’adaptation respecte la chronologie de ce court roman (publié en 1957, peu avant la mort accidentelle de l’auteur) et nous fait entrer dans les méandres d’un cerveau torturé qui expie, dans l’exil, une faute originelle. On ne saura le fin mot de l’histoire, que dans la deuxième partie du spectacle.

©Philippe Hanula

©Philippe Hanula

Un narrateur, Jean-Baptiste Clamence, prend à partie le client d’un bar d’Amsterdam, le Mexico City et se confesse à lui en cinq temps, sans laisser l’autre placer un mot.
Une posture qu’on trouvait déjà dans L’Étranger (1941) et qui nous enferme dans un récit univoque.
Seul en scène devant un fauteuil vide ( présence-absence de son interlocuteur), Jean-Baptiste Artigas se saisit de ce personnage inquiétant, un habitué de ce bar qui se dit « juge-pénitent ».


Il se met volontiers au piano pour ponctuer les épisodes de cette Chute, sur des airs de Thelonious Monk, Fats Waller, Duke Ellington, ou encore  de Jacques Prévert et Joseph Kosma avec Les Feuilles mortes

Jean-Baptiste Clamence, un ancien avocat parisien à succès, homme à femmes impénitent, est tombé de haut quand, un soir, une jeune femme croisée sur un pont de Paris, s’est jetée à la Seine, sans qu’il soit intervenu. Alors, commence son inexorable « chute » : il prend lentement conscience de l’inanité de son comportement passé et se réfugie dans les brumes nordiques, le monde interlope des bars à marins et les vapeurs de genièvre.

Le début de la pièce s’attarde trop sur les années glorieuses du personnage mais le comédien endosse avec brio son égoïsme bravache. Il faut attendre la deuxième partie pour entrer dans le vif du propos d’Albert Camus, teinté de culpabilité judéo-chrétienne et d’un âpre jugement sur l’indifférence générale aux souffrances du monde.
Dans sa mise en accusation de l’homme moderne, préoccupé de lui-même, Clamence, en « juge pénitent », clame dans le désert :
«Le portrait que je tends à mes contemporains devient un miroir. Couvert de cendres, m’arrachant lentement les cheveux et disant : “J’étais le dernier des derniers.” Alors, je passe du “JE” au “NOUS”. Plus je m’accuse, et plus j’ai le droit de vous juger.  » Derrière son héros, Albert Camus fustige ses« confrères parisiens», et les humanistes professionnels en réponse à leurs critiques mais au passage, chacun de nous, humains du XXI ème siècle, en prend pour son grade..

Jean-Baptiste Artigas accompagne son personnage jusqu’au bout de sa chute: du freluquet sûr de lui, au repenti cynique et il rend parfaitement l’humour glacial du texte où Camus allège le procès à charge de l’auteur contre lui-même et son milieu.
Nous entendons aussi la saveur de cette prose, en particulier les paysages qui reflètent les états d’âme du narrateur. Des rues de Paris au crépuscule où «  le soir tombe sur les toits bleus de fumées, le fleuve semble remonter son cours », au no man’s land du Zuyderzee : «  Une mer morte, perdue dans la brume, on ne sait où elle commence, où elle finit (…). Voilà n’est-ce pas, le plus beau des paysages négatifs ! Voyez à notre gauche, ce tas de cendres qu’on appelle ici une dune, la digue grise à notre droite, la grève livide à nos pieds et devant nous la mer couleur de lessive, le vaste ciel où se reflètent les eaux blêmes. Un enfer mou, la vie morte, l’effacement universel.»
Il viendra peut-être l’envie au spectateur de (re)lire cette perle de la littérature contemporaine…

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 6 janvier, Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard Paris (IV ème ) T. : 01 42 78 46 42.

 

 

 


Adieu Lakis Kouretzis

Adieu Lakis Kouretzis 

Éducateur, metteur en scène, écrivain et docteur honoraire de l’université d’Athènes, il vient de nous quitter à quatre-vint-quinze ans dans les bras de ses proches. Avec une vie riche en expériences, en sensations et connaissances qu’il a sagement transmises à ses collègues mais aussi à ses étudiants dans toute la Grèce.  Il a laissé une œuvre enviable, celle de toute une existence et qui restera dans l’histoire, aimée, honorée et reconnue par tous ceux qui ont eu la chance de le connaître.

©x

©x

Pionnier de l’éducation, il a dirigé pendant quarante ans l’école maternelle de la Banque commerciale et, l’été, la colonie des vacances Joyeux Village pour des milliers d’enfants et jeunes. Avec ses collègues de la colonie, il a fondé en 1976 le groupe artistique Parodos, qui a eu une action significative et qui avait une envergure nationale.
Créateur d’une méthode de jeu qui a donné naissance à une école, il a ouvert de nouvelles voies dans la pédagogie du théâtre, influençant par son esprit créatif,  les enseignants de tout niveau, les gens de théâtre mais surtout les enfants et adolescents. Ils ont eu ainsi l’occasion d’expérimenter et de comprendre le monde et eux-mêmes grâce au jeu théâtral.

En 1992, il fonda avec Andromaque Montzoli, metteuse en scène, scénographe, costumière et docteure en études théâtrales,  Le Theatro Imeras (Le Théâtre du Jour),  qui a eu aussi une activité pédagogique remarquable, et la Faculté d’éducation théâtrale-Jeu Théâtral à Athènes et en Crète.
Metteur en scène, il a monté plus de quatre-vingt pièces de théâtre en grec et en d’autres langues pour des compagnies professionnelles et il  a reçu le prix Dimitris Rontiris.
Il a aussi écrit des pièces jouées en Grèce et à l’étranger et des livres pour enfants : Avec Mado au soleilDans notre petit jardinLes histoires de Balos.
En pédagogie: Jeu théâtral, pratique théâtrale pédagogique et approche théâtraleLe théâtre pour enfants en GrèceL’éducation théâtrale (livre pour enseignants) pour le ministère de l’éducation-Institut pédagogique, Au début, une LETTRE… seulementLe Jeu théâtral et ses dimensionsLe Théâtre et le tissage. Il est aussi l’auteur de nombreux articles dans des magazines, journaux,  publications éducatives et théâtrales…
Membre de la Société des metteurs en scène grecs, de la Société des auteurs de théâtre grecs, de l’Institut international du théâtre; il était aussi l’un des membres fondateurs du Centre grec de l’A.S.S.I.T.E.J. (Institut international du théâtre pour l’enfance et la jeunesse).
 
« Vêtu de blanc disait Jacqueline Razgonnikoff, il parlait d’une voix douce, mais ferme. Il aimait la jeunesse, le théâtre et la vie, Il était psychologue, pédagogue et poète. Quand je l‘ai rencontré, il y a plus de quarante ans, sa force tranquille, son énergie, son intelligence des choses et des gens m’avaient impressionnée. Je ne parlais pas encore le grec à cette époque, mais nous arrivions à communiquer et à échanger au-delà des mots. Et c’est avec une formidable passion commune que nous avons monté, lui, Andromaque et moi, d’abord les beaux textes de George Sand, puis cette Moliériade qui a scellé notre amitié.
Ses séminaires étaient de véritables leçons de vie, et personne de ceux et celles qui ont eu la chance de les suivre, ne les oubliera. Le peu que j’en ai suivi moi-même resteront gravés dans ma mémoire, comme autant de moments d’apprentissage et d’émotion.
On ne pouvait pas lui résister, et la jeunesse lui rendait au centuple tout ce qu’il lui donnait avec générosité. Il a rayonné sur plusieurs générations et enseigné jusqu’au bout de ses forces. Qu’il repose en paix, ce merveilleux ami, avec lequel, pouvant enfin partager une conversation, j’ai encore, il y a quelques mois à peine, échangé des idées.
Merci d’avoir été ce que tu étais, d’avoir tant partagé, dans cette belle vie d’artiste et professeur, d’avoir fait lever parmi tes élèves, la liberté de créer, imaginer, et apprendre, et de m’avoir accordé ta précieuse amitié, par-delà les distances. »

En 1993, Lakis Κouretzis a été invité à représenter la Grèce au Carrefour international du théâtre pour enfants et adolescents organisé par l’UNESCO, l’UNICEF et le Théâtre collectif du Hainaut, à Valenciennes (France). Il y participa avec le Théâtre du Jour et un groupe d’enfants et d’animateurs.  Et moi le petit Nektarios, de treize ans, était parmi eux. Premier voyage en France! Je jouais le roi Tyndare, le père d’Hélène de Troie. Une expérience inoubliable, magique ! Je te serai éternellement reconnaissant pour tout ce que tu m’as appris…
Andromaque Montzoli, ses collègues, étudiants,  acteurs et employés du Théâtre du Jour, continueront à veiller chacun pour que sa grande œuvre pédagogique et humanitaire reste intacte et vivante.

Maître au sens plein du terme, mentor, père spirituel, animateur des animateurs, il sera enterré -en costume blanc- au cimetière de Vyronas à Athènes, le mercredi 4 septembre à 12 h 30.

 
Nektarios-Georgios Konstantinidis


Articles plus anciens

Qui sommes nous?

Les cérémonies d’ouverture et clôture des Jeux Paralympiques

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (clap de fin)

Festival de l’Hydre III par la compagnie K-Simon Falguières et les Bernards-L’Hermite

Un Conte d’hiver de William Shakespeare, mise en scène de Julie Delille

Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (suite et fin définitives))

Livres et revues Le Masque en jeu, une école de l’acteur de Guy Freixe

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ( suite et fin)

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (douzième épisode)

La Chute d’après Albert Camus, adaptation de Jacques Galaup, jeu et mise en scène de Jean- Baptiste Artigas

Adieu Lakis Kouretzis

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...