Le théâtre de rue, Un théâtre de l’échange, Textes réunis par Marcel Freydefont et Charlotte Granger
Quelque 300 pages, donc une somme retraçant à la fois l’histoire du théâtre de rue en France avec une partie d’entretiens souvent passionnants ( Michel Crespin, le fondateur du Festival d’Aurillac qui a déjà vingt deux ans), Jean-Marie Songy qui a succédé à Crespin et retrace avec beaucoup de lucidité l’évolution de l’histoire du théâtre de rue, en particulier sous l’influence aussi discrète qu’efficace de Jean Digne. Il met notamment en garde les jeunes compagnies qui, dit-il, doivent penser à être avant tout à être pertinentes dans le fond et dans la forme, et surtout à ne pas s’empêtrer dans l’héritage. Et on le sent un peu inquiet contre une certaine institutionnalisation…. Au risque de le décevoir, comment ne pas voir que, malgré une fraîcheur certaine, Aurillac est déjà devenu, dans un tout autre style, le cousin du Festival d’Avignon, et en a vite reproduit les structures, avec un off qui aurait accueilli cette année quelque 400 compagnies; le Festival possède maintenant des lieux fermés comme des chapiteaux et s’est développé, mais plutôt dans le bon sens; heureusement, la ville n’a pas les possibilités d’accueillir un festival plus de quelques jours, ce qui le met à l’abri de propositions culturelles plus classiques et d’une inévitable main mise de l’Etat, puisqu’il y faudrait beaucoup d’argent. Il y a aussi un bon entretien de Freydefont avec Jean-Luc Courcoult, le metteur en scène du déjà presque légendaire Royal de Luxe qu’il a créé avec Didier Gallot-Lavallée et Véronique Loève, qui s’est baladé un partout dans le monde entier depuis les années 8O. ( Je me souviens de lui avoir donné des vêtements de 1900 pour un de leurs premiers spectacles).
Dans une deuxième partie,Marcel Freydefont a rassemblé nombre de témoignages qui permettent de se faire une idée plus juste ce de ce qu’on appelle le théâtre de rue, notamment à l’étranger avec un bon historique du Festival d’Aurillac par Charlotte Granger, deux articles sur le théâtre de rue en Allemagne, en Belgique, ou au Mali par Adama Traori. A retenir également , en fin de volume, une réflexion très riche, à la fois sociologique et esthétique d’Emmanuel Wallon qui rappelle avec raison que, si le monde a changé, les outils de discernement entre l’idée et ses imitations, la distinction entre des degrés de vraisemblance,des nivaux d’interprétation, des plans de représentation, tout cela n’a guère bougé depuis Platon et Aristote. Et les créateurs de théâtre de rue ne peuvent faire l’économie de ce genre de réflexion.Si le théâtre de l’Unité, dirigé par Jacques Livchine et Hervée de Lafond a eu un parcours aussi exemplaire, en particulier dans le théâtre de rue, c’est bien que toutes leurs créations ont fait l’objet d’une dramaturgie préalable très poussée.
Bref, on l’aura compris: ce numéro de la revue Etudes Théâtrales de Louvain-la-Neuve restera pendant encore de longues années un ensemble de réflexion incontournable; c’est un peu cher: 27 euros ,mais cela vaut largement le coup.
Philippe du Vignal