Festival franco-ibérique et latino-américain « Les Translatines » 2008 à Bayonne Biarritz par Irène Sadowska Guillon

 

 

aff2008.jpgFestival franco-ibérique et latino-américain « Les Translatines » 2008 à Bayonne Biarritz.

Le « mini festival » 2008 ( du 23 aux 25 octobre) marquait la transition des « Translatines » vers des éditions biennales à partir de 2009. Ce changement de périodicité s’étant imposé face aux difficultés budgétaires insurmontables auxquelles le festival se confronte depuis des années. On sait à quel point la pérennité des festivals en province et en particulier de ceux qui ont affirmé une spécificité identitaire, dépend du jeu de l’échiquier politique local et national.
Les Translatines est en effet depuis un quart de siècle l’unique carrefour en France des théâtres français, espagnols et latino-américains.
En attendant les Translatines 2009 qui donnera un coup de projecteur à la création artistique actuelle théâtrale, plastique, musicale en Argentine, pour répondre aux attentes d’un nombreux public fidélisé, le festival a proposé en 2008 une programmation plus réduite et néanmoins très forte.
Rencontre et dialogue avec Florence Delay de l’Académie Française, écrivain et traductrice, autour de l’œuvre de José Bergamin (1895 – 1983) une des figures majeures de la littérature espagnole contemporaine.
Découverte d’une jeune auteur chilienne Ana Hancha Cortés qui dans son écriture novatrice, très condensée, réinvente une structure dramatique et spatiale tissée de paroles adressées parfois directement aux spectateurs interpellés et entraînés dans le jeu, de silences, de mouvements, d’actions surprenantes, provocantes. C’est ce qui se passe dans Lulu d’Ana Hancha Cortés, mise en scène par Jean-Marie Broucaret et interprétée avec fougue par Viviana Souza. Lulu, une jeune femme en recherche d’elle-même, dont le cerveau est agencé comme un CD, par pistes, par plages numérotées, livre ses multiples facettes cherchant à rétablir le contact, à renouer les liens qui l’unissent aux autres et à elle-même. Elle tente de se retrouver, de se comprendre elle-même, à travers un discours intermittent, désordonné, parole intime adressée à nous, à quelqu’un en particulier, déconcertante, provocante, violente et transgressive, assassine par son humour féroce. La comédienne Viviana Souza s’investit totalement dans le personnage multiple, attachant de Lulu à la fois naïve, vulnérable, fragile, impuissante et rebelle face à la société égoïste, conformiste, dominée par le plaisir immédiat, matériel. Quelques objets très concrets : mixeurs, cafetières, tabourets, bols, cuvette, légumes et fruits, servant à des actions surprenantes, ancrent ce vagabondage mental dans le réel du quotidien.
Enfin une création de la Comédie-Française Yerma de Federico Garcia Lorca dans la mise en scène et avec une musique originale de Vicente Pradal qui restitue à cette œuvre toute sa substance poétique et musicale, sa force passionnée, sauvage, son enracinement profond dans la terre andalouse et en même temps sa contemporanéité.
La tragédie de Yerma, son désarroi, sa solitude et son enfermement dans la tradition étouffante et la tyrannie du devoir, résonne comme une métaphore du poids des valeurs morales, de l’immobilisme conservateur, paralysant nos sociétés. L’appel de Lorca à se libérer de Dieu, des préjugés, à choisir et vivre librement sa vie, n’est-il pas toujours d’actualité ?
La musique interprétée au piano par Rafael Pradal intégrée dans la trame dramatique, tout comme le chant flamenco faisant irruption ou prolongeant certaines scènes sont autant de jaillissements de l’indicible, de la passion violente, du désespoir, de la douleur profonde. En relevant avec une absolue justesse la tension dramatique, les rythmes, les ruptures de ton, Vicente Pradal imprime à sa mise en scène une structure quasi musicale. L’harmonie du jeu tout en nuances des acteurs, tous remarquables et particulièrement Coraly Zahonero (Yerma) et Évelyne Istria (une vieille femme) est une des qualités de ce spectacle qui incarne sublimement la poésie de Lorca et touche à cette grâce du duende.
On pourra encore voir Lulu de Anna Hancha Cortés au festival Mira à Bordeaux le 8 novembre à 18 h au Studio de création du TNBA et Yerma de Lorca par la Comédie-Française en tournée.

Irène Sadowska Guillon

 

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