Scènes de novembre du Teatro Astillero
Scènes de novembre du Teatro Astillero à Madrid par Irène Sadowska Guillon
Alors que le Festival d’Automne de Madrid, vitrine théâtrale nationale et internationale (on pouvait y voir des spectacles des stars depuis Peter Brook à Krystian Lupa, etc.) s’achevait avec Les bonnes de Genet mise en scène de Luc Bondy, s’ouvrait la deuxième édition des Scènes de novembre (du 17 au 21 novembre) consacrées aux découvertes des dramaturgies actuelles européennes. Initiative de ce type unique en Espagne, proposée et organisée par un groupe d’auteurs du Teatro Astillero. Teatro Astillero, fondé et animé au départ par un noyau de jeunes auteurs : Luis Miguel Gonzalez Cruz, Juan Mayorga, José Ramon Fernandez, Raul Hernandez Garrido et Guillermo Heras, est devenu une structure d’essai, d’échanges, de réflexion et de création vouée uniquement à l’écriture contemporaine, qui s’est dotée d’une édition et s’est ouverte depuis plusieurs années aux auteurs d’autres pays européens.
Plus qu’une ouverture, l’échange, la rencontre, la promotion et la diffusion des dramaturgies d’aujourd’hui sont à la base des Scènes de novembre qui pour cette deuxième édition ont accueilli des traducteurs de France, Angleterre, Italie, Allemagne, Portugal, Slovaquie, Hongrie mais aussi des traducteurs traduisant vers l’espagnol. La dramaturgie espagnole et française avec des auteurs français invités : Enzo Cormann, Rémi de Vos, David Lescot, Jean René Lemoine, ont été à l’honneur. Du Portugal est venu Armando Rosa dont la pièce L’eunuque d’Inès de Castro a été présentée en lecture. Des lectures et des spectacles en espagnol de L’enfant froid de Marius von Mayenburg pour l’Allemagne, de Genova 01 de Fausto Paravidino d’Italie et le spectacle Glengarry Glen Ross de David Mamet pour la dramaturgie anglophone, donnaient un panorama à la fois des tendances dominantes et des parcours particuliers, personnels de certains auteurs.
Un programme très riche qui aux lectures, mises en espace et spectacles présentés au Centre Culturel El Torito et à l’Institut Français, associait une partie plus théorique organisée en collaboration et à l’Université Carlos III : exposés, études sur les dramaturgies contemporaines européennes, rencontres avec les auteurs et un atelier de traduction vers d’autres langues sur la pièce De putas de Luis Miguel Gonzalez.
Des pièces d’auteurs espagnols rendaient compte de la diversité des formes dramatiques, des problématiques abordées ainsi que de la recherche de nouveaux langages scéniques dans l’écriture théâtrale actuelle en Espagne.
Le rapport à la mémoire et à l’histoire récente de l’époque franquiste était abordé différemment dans Raccord (Puzzle) de Rodolf Sirera (tentative de reconstruire l’histoire à travers des fragments de mémoire et de vies de personnages appartenant à trois générations différentes) et dans Todos los que quedan (Tous ceux qui restent) de Raul Hernandez Garrido (recherche de la vérité sur la disparition d’un père, républicain espagnol interné au camp de Mauthausen, par sa fille, qui rejoint ici la mémoire collective).
Questionnement de la déshumanisation des rapports dans notre société contemporaine basés sur l’offre et la demande à travers la métaphore de la prostitution dans De putas (De la putasserie) de Luis Miguel Gonzalez. La relation avec la terre, la famille, l’environnement, l’immigration et l’identité sont autant de thèmes d’actualité brûlant que le très jeune auteur Paco Bezera traite dans Dentro de la Tierra (À l’intérieur de la Terre).
Quant aux auteurs français, on restait dans « je me souviens « traité avec un regard pertinent sur un certain conditionnement de la jeunesse communiste dans la France d’après-guerre dans La commission nationale de l’enfance de David Lescot interprété avec finesse et grâce par l’auteur, ou dans un certain nombrilisme dans Face à la mer de Jean René Lemoine, l’éternel conflit avec la mère sur fond de bouleversements en Afrique. Music-hall de Jean-Luc Lagarce dans la mise en scène inventive de Luis Miguel Gonzalez Cruz, qui nous plonge encore dans l’intimité de la vie d’artistes de music-hall, n’est pas loin de l’obsessionnelle auto contemplation qui hante les auteurs français.
Loin d’être seulement une vitrine des propres auteurs du Teatro Astillero les Scènes de novembre se sont affirmées comme un espace de partage et d’émulation.
La prochaine édition du 21 au 29 novembre 2009 s’articulera particulièrement sur la dramaturgie allemande tout en restant ouverte aux écritures dramatiques des autres pays européens.
Irène Sadowska Guillon