Shakespeare – Christian Schiaretti – Coriolan par Christine Friedel.
Dialectique impeccable : en trois heures et demie, et sans gras, Shakespeare pousse dans leurs retranchements toutes les contradictions de la République romaine et donc, puisqu’il est le génie irréductible du théâtre, de la question de la république et de l’État, non pas en général, mais en particulier pour chaque époque, dont la nôtre. Comme toujours, avec lui, c’est saisissant d’actualité, c’est dire de vérité en actes.
On ne racontera pas l’histoire de ce général vainqueur trop raide pour briguer humblement les suffrages du peuple, banni pour cela par une imparable manœuvre des tribuns. Retournements, obstinations, re-retournements, plaidoyers et plaidoiries : on connaît la force et la virtuosité de notre grand Will en ces matières. Encore faut-il les mettre en scène. Christian Schiaretti le fait à la juste démesure d’un opéra, où le rythme serait la première musique. Jeu concentré sur l’essentiel, sur de grandes lignes ultra précises, avec par-ci par-là le détail qui tue et qui fait vivre l’humour shakespearien. Distribution parfaite, avec Roland Bertin en éternel conciliateur usé mais pas désabusé (Menenius Agrippa), Hélène Vincent en Volumnia, Mère majuscule, Romaine majuscule, qui préfère voir son fils mort que déshonoré, mais prête à toutes les combinaisons extrêmes de l’intelligence et des tripes pour le sauver, et sauver Rome. Wladimir Yordanoff donne un Coriolan enragé d’orgueil et d’entêtement, enragé de sentiments contradictoires aussi, lui qui prétend ne rien accorder au sentiment, drôle, insultant pour le peuple, insupportable de mépris… Rien n’est simple, mais tout est direct.
À part ça, ils sont trente sur l’immense plateau, et c’est beau : « ça, c’est du Théâtre », dit un spectateur en sortant. Et même du National (on en a bien besoin par ces temps de politique plus que confuse) et du Populaire (et on en a tout autant besoin).
Christine Friedel.
Nanterre, Théâtre des Amandiers, jusqu’au 19/12. Production TNP