Amerika
Amerika, d’après le roman de Franz Kafka, adaptation et mise en scène de Vincent Colin.
Kafka , rongé par la tuberculose, est mort il y a déjà 85 ans et Amerika a été publié deux ans plus tard et juste après Le Procès et Le Château qui ont inspiré nombre de metteurs en scène de théâtre. Une adaptation d’Amerika avait été créée en 2007 par Nicolas Liautard à Nogent puis reprise l’an passé à La Tempête. Très précise, la mise en scène souffrait cependant d’indicibles longueurs.
Mais le propos de Vincent Colin est tout autre, et il y a dans son travail, comme une sorte de voyage incroyable, où l’on retrouve dans le personnage principal de Karl Rossman, un petit frère du Candide de Voltaire qui aurait rencontré Buster Keaton et Charlie Chaplin.
Amerika est l’histoire d’un jeune allemand Karl Rossman, qui, déjà père à seize ans, est chassé par ses parents et s’enfuit en Amérique; il rencontre sur le bateau son oncle Jakob mais , à cette chance incroyable, se succédera une série de malchances… Le pauvre Karl, semble attirer les ennuis comme un aimant, sans doute parce qu’il est encore assez naïf pour croire au rêve américain sans contrepartie, et il ne cesse de trouver sur sa route des personnages peu recommandables, comme ces employés d’hôtel minables et sans scrupules ou une cantatrice délirante. Kafka traite avec beaucoup d’humour et de dérision cette découverte du nouveau continent par un jeune allemand, et c’est d’autant plus étonnant qu’il n’ était jamais allé aux Etats-unis. Le jeune Karl semble s’enfoncer, au gré des rencontres dans une sorte de néant, incapable sans doute de s’intégrer à une société trop éloignée de lui, sans doute plus dure envers les faibles et les petits qu’il ne l’imaginait de l’autre côté de l’Atlantique… Mais lui-même semble entrer dans le moule et mettra moins d’ardeur qu’à son arrivée à défendre une victime désignée du patronat.
Vincent Colin a adopté, avec beaucoup d’intelligence, le parti pris d’une mise en scène épurée. Quelques sacs de jute comme accessoires, un rideau bleu pâle parsemé d’étoiles et un sol composé de huit panneaux noirs laqués . Vincent Colin a tout axé sur le jeu précis des comédiens et il a eu raison. Il n’y a rien sur scène et il y a tout, grâce à eux et à une bande-son formidable de vérité. Aucun temps mort; la mise en scène est exigeante et le jeu corporel de tout premier ordre qui, encore une fois, fait souvent penser à Keaton. Vous pouvez chercher: aucune faute sur ce petit plateau: les entrées et les sorties sont millimétrées, et cette sorte de mécanique bien huilée induit une étonnante crédibilité. C’est dire que le spectacle doit beaucoup aux comédiens: Roch Antoine Albaladéjo, Philippe Blader, Olivier Brodo, Cédric Joulie, Isabelle Kérésit, Anne-Laure Pons qui, en quelques secondes , avec un autre costume et quelques postiches, incarnent une vingtaine de personnages. C’est une sorte de commedia del arte d’une vérité sans faille qui s’introduit sur scène.
A voir sans aucune restriction, et, croyez-moi, ce n’est pas tous les jours que l’on vous le dira.
Philippe du Vignal
Théâtre du Lucernaire, jusqu’au 22 février.
j’ai beaucoup aimé votre critique de la pièce Amérika, je la partage entièrement, je voudrais juste ajouter que l’éclairagiste aussi aurait dû être mentionné… Souhaitons longue vie à cette pièce qui va être à l’affiche pour plus d’un mois et qui ne ne remplira la salle que par le bouche à oreille…
Amicalement
Anne