Gertrude ( Le Cri )
Gertrude ( Le Cri ) de Howard Barker, mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti.
Howard Barker est un dramaturge reconnu en Grande-Bretagne; issu d’un milieu populaire, il a cependant commencé à écrire très jeune et est l’auteur d’une cinquantaine de pièces. Il a aussi beaucoup écrit pour la télévision, la radio et le cinéma et a fondé une compagnie The Wrestling School ( école de la lutte) , pour produire ses pièces. Il a été assez souvent monté en France ( notamment par J.P. Wenzel, Patrice Bigel, et Agathe Alexis .aujourd’hui) .Il est également l’auteur de poèmes dont il fera le 7 février prochain une lecture ( en anglais) au Petit-Odéon.
Son théâtre est maintenant connu ici mais Gertrude ( Le cri) est une création. Il a été souvent cité comme « théâtre de la catastrophe », c’est à dire du bouleversement. » Ce n’est pas le réconfort d’un monde cruel, dit-il, mais la cruauté d’un monde rendue manifeste pour apparaître comme beauté ». Et Gertrude (Le cri) en est sans doute un des meilleurs exemples. Le sexe, à travers toutes ses composantes, est omniprésent, les personnages sont parfois nus, comme au cinéma, ce qui reste assez rare sur scène et le langage souvent trivial et violent, : on y parle de baise, d’ovaires, de con et de bite, sans aucun état d’âme… mais en même temps d’une grande richesse poétique.,
Et, c’est à prendre ou à laisser, nous prévient aimablement Barker; pour lui, la tragédie doit refuser les lois du discours ordinaire pour mieux parvenir à ses fins, et tant pis, s’il y a parfois des obscurités : cette exigence absolue fait partie de son éthique aussi bien que de son esthétique; le spectateur doit donc accepter les règles du jeu : ne percevoir qu’une partie du texte, souvent étrange et plein de méandres,et cela, pendant deux heures trois quarts . » Le théâtre, dit-il encore, doit cesser de raconter au public des histoires qu’il peut comprendre ». Cela a le mérite de la franchise mais c’est ce que lui ont reproché nombre de critiques anglais, lassés de ce qu’ils pensent être un véritable charabia. Gertrude ( Le cri) est une sorte de réécriture d’Hamlet dont le scénario a été revu ;Il y a bien les personnages de Shakespeare mais il en a imaginé d’autres ,comme Cascan le majordome, Ragusa la jeune veuve d’Hamlet, Albert, duc de Mecklenburg à qui Isola, mère de Claudius essaye d’offrir Gertrud sur un plateau pour essayer de sauver son fils. Cette Isola, que Gertrude, encore enfant, avait vu faire l’amour avec un homme devant son épouse aveugle et paralytique… Le plus étrange est sans doute ce nouvel Hamlet, qui possède une incroyable volonté d’anéantissement personnel et qui se retrouve à la fin devant sa mère absolument nue. Mais il faudrait des pages pour dire les sentiments complexes et les contradictions de ces personnages.
La pièce est un tissu d’intrigues compliquées, une sorte de grand jeu, où le pouvoir royal, la trahison, les relations sexuelles , voire la prostitution, et la souffrance font, si l’on peut dire, bon ménage, avec, pour fil conducteur, l’absolue nécessité, d’aller jusqu’au bout de la passion érotique. Les personnages ont beau être vraiment hors-norme, ce qui est tout à fait étonnant, c’est la calme logique de la fable qui nous est contée, comme s’il s’agissait d’une banale intrigue.
On est évidemment- on s’en doute- à des années-lumières des gentillesses sucrées de Plus belle la vie. L’univers , à la fois glauque et tragique,où rodent sans cesse le sexe et la mort, n’est pas celui d’une vérité proclamée mais d’un enchevêtrement de vérités dont le spectateur est gentiment prié de démêler l’écheveau, et Barker précise: « L’unique possibilité de résistance à la culture de la banalité se situe dans la qualité ».
C’est clair… et cela tombe bien, puisque que la mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti est d’une rare exigence, et l’univers dramatique qu’il a su créer, est d’une beauté exemplaire. Cela doit satisfaire Barker qui proclame volontiers que c’est la finalité d’une tragédie.Corsetti dit, avec raison, « qu’il faut épouser l’élan de ce langage pour se laisser gagner par son énergie« : et, en effet, il n’y a jamais, dans sa mise en scène, de dépenses corporelles inutiles, jamais de criailleries, comme chez nombre de ses confrères français. Toute cette histoire familiale agitée est dite avec le plus grand calme mais, dès la première scène où Gertrud et Claudius, absolument nus ,f ont l’amour près du roi agonisant , Corsetti arrive à installer un univers de catastrophe, où le fameux cri, à chaque fois superbement lancé, revient comme un leit-motiv de mort ,mais aussi de naissance , puisque Gertrud accouche à 42 ans d’une petite Jane… Comme si, malgré tout, il y avait dans ce paysage désespéré, une petite lueur d’espérance.
Rien n’est jamais rien de gratuit dans sa mise en scène, sans doute parce qu’il a réalisé en amont, comme on dit , un très solide travail dramaturgique. Corsetti a aussi signé la scénographie avec Cristian Taborelli, et cette collaboration donne des images superbes,sans aucun doute influencées par les créations de Boltanski, l’art conceptuel et l’arte povera: comme, par exemple, ces murs blancs sur lesquels on jette des pelletées de gravier noir qui inscrit les grandes lettres de CIMETIERE. Mais ces murs blancs laissent aussi apparaître de l’autre côté une bibliothèque et des armoires à à vêtements qui circulent , de façon obsédante, sur des rails disposés en huit,; il y a encore, à la toute fin, ce grand mur de fond qui s’abat d’un coup pour laisser apparaître sur le sol une facade d’immeuble 1900, dont un immense miroir tendu reflète le corps des comédiens qui semblent s’y balader, l’horizontal se reflétant magiquement sur le vertical. C’est parfois un peu gratuit et Corsetti s’est, à l’évidence,fait plaisir mais c’est tellement beau et fort qu’on lui pardonne volontiers. Monter Barker n’est pas chose facile mais le metteur en scène a su être aussi exigeant avec ses comédiens qu’avec l’exploration d’un texte comme Gertrude(Le cri) .
C’est en effet un excellent directeur d’acteurs , qui sait donner vie à cette incroyable galerie de personnages. Anne Alvaro, John Arnold, Francine Bergé, Cécile Bournay, Jean-Charles Clichet, Luc-Antoine Diquéro, Christophe Maltot, Julien Lambert font un travail remarquable,sans aucun doute aidés par la musique de Gianfranco Tedeschi que joue Baptiste Vay et qui ponctue cette curieuse saga où tout à la fin – terre et sang confondu- rentre dans le jeu,comme disait Valéry. Les images, on s’en doute, sont donc loin d’être innocentes et vous poursuivront bien après votre sortie de l’Odéon.
A voir? Oui, absolument, malgré quelques longueurs et si vous acceptez d’entrer dans cette espèce au délire à la fois verbal et visuel pendant deux heures trois quarts sans entracte; cela veut dire qu’on ne peut pas aller à reculons voir ce genre de spectacle… cela demande , même si on ne s’ennuie jamais, un certain effort, (mais tout se mérite dans la vie…) Sinon, ce n’est pas la peine d’y aller. En tout cas, merci à Olivier Py d’avoir fait naître en France cette Gertrude ( Le cri). Pardon d’avoir été un peu long mais on ne peut pas parler d’un spectacle comme celui-là en dix lignes…
Philippe du Vignal
P.S. Un petit message pour madame Albanel: essayez d »emmener votre copain Nicolas voir cette création qui n’entre sûrement pas dans les critères d’un spectacle devant « répondre aux attentes du public », comme il avait osé lui signifier dans sa lettre. Cela, sait-on jamais, lui donnera peut-être des idées plus futées….
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 8 février dans le cadre du cycle Howard Barker; à suivre Le Cas Blanche-Neige, 4/20 février; les Européens 12-25 mars et et Tableau d’une exécution 26 mars/11 avril.
Bonjour, je me permets de signaler que Gertrude(Le Cri) n’est pas née en France à l’Odéon en janvier 2009. Notre compagnie, Le Théâtre du Corbeau Blanc, porte cette pièce depuis au moins 3 ans, la difficulté étant de monter le budget de production de cette pièce à 7 comédiens, qu’il nous paraissait indispensable de proposer en France, et dont la langue nous avait fascinés dès la première lecture. La première nationale a eu lieu le 27 novembre 2008 au Théâtre Le Sémaphore, scène conventionnée d’Auvergne, à côté de Clermont-Ferrand. Nous recherchons activement des lieux en région parisienne pour présenter notre création en Ile de France, indispensable si on veut toucher les professionnels et au moins qu’on prenne acte de notre spectacle! Plus d’infos sur notre site theatreducorbeaublanc.com. Nous n’avons pas encore vu la production de l’Odéon, mais nous sommes très heureux de cette visibilité donnée à Howard Barker, avec des moyens conséquents.
Première fois que je me connecte sur ce blog… Grande déception
Je cite votre critique « les personnages sont parfois nus, comme au cinéma, ce qui reste assez rare sur scène »
La nudité frontale est omniprésente sur les plateaux : Rodrigo Garcia ou Romeo Castellucci, pour ne citer qu’eux, interrogent la représentation du corps, y compris dans ses limites et ses a-normalités.
Shakespeare et son Songe d’une nuit d’été avaient d’ailleurs inspiré à Thomas Ostermeier une vision cauchemardesque (à tous les sens du terme) où les acteurs, mi-homme, mi-bêtes, déambulaient nus sur la scène de Chaillot.
Ce qu’il faut retenir de ce spectacle ne se situe pas dans l’anecdotique -les « gros » mots, la nudité. » Ni dans le discours théorique de Barker sur le théâtre. Nul besoin de faire référence à ses essais pour comprendre le souffle -au sens physique de déflagration- de sa langue, l’exigence de son style et de sa dramaturgie.
Ce qu’il faut retenir, c’est un spectacle sensuel et monstrueux, hommage à la langue de Shakespeare qui, avant Barker, a su si bien jouer sur ces deux registres . C’est un voyage en eaux troubles, là où les arbres prennent leur racine dans un gravier noirci comme les consciences des personnages, ou les reines tanguent sur des talons trop hauts, où l’extase passe par la trahison. C’est un questionnement de la passion, qui depuis la psychanalyse, est intrinsèquement liée au désir sexuel. C’est un Hamlet si sage et si fou, hanté par le réel -sa mère « offerte »- plus que par le spectre de son père. C’est une scénographie flamboyante et démiurge, qui, comme Gertrude, peut se métamorphoser en un instant. C’est la justesse de l’interprétation de chacun des acteurs, qui, à l’image de la mise en scène dans son intégralité, savent incarner sans gratuité, dans le juste « excès » imposé par la pièce.
Le talent n’empêche pas de douter : C’est certainement par volonté d’être trop parfaits, trop pertinents, que la metteur et scène et son scénographe ont parfois rendu leur dispositif un peu trop voyant mais la virtuosité permet de pardonner -et largement- cette petite surdose de zèle qu’on aimerait retrouver plus souvent au théâtre.