Shakespeare de fracas et de furie, adaptation et mise en scène de David Fauvel
Jean Lambert-wild, le nouveau directeur de la Comédie de Caen a invité une jeune compagnie de la région: Le théâtre des Furies, à venir présenter son nouveau spectacle pendant deux semaines. Ce qui est généreux et pas si fréquent… Quand on pense que Le Théâtre national de Strasbourg n’a jamais voulu programmer le Théâtre de l’Unité, pourtant son proche voisin de Franche-Comté qui a promené son Vania à la campagne un peu partout en France comme en Europe et qui existe, lui, depuis quarante ans! Cela donne une haute idée des rapports entre les théâtreux puissants et les autres, même reconnus et subventionnés depuis longtemps. Passons sur ce système de forteresses à la française…
David Fauvel a donc imaginé un spectacle en deux parties d’une heure qui peut être considéré comme une sorte de condensé/adaptation à forte connotations d’art contemporain de deux des pièces les plus connues de Shakeapeare: d’abord Desdémone, d’après Othello puis après un entracte, Ophélie d’après Hamlet, mais en gardant que les personnages les plus essentiels du drame et des morceaux de texte tels quels.
Antoine Vitez avait un jour proposé comme exercice à ses élèves de l’école de Chaillot: jouez-moi Hamlet en quelques minutes. Sans préparation, sans costume, sans texte à la main. Dans cette espèce de réduction/concentration à l’essentiel qui était avant tout un exercice sur la mémoire des personnages, il y avait parfois des éclairs merveilleux de lucidité et de fraîcheur.
Bien entendu, il ne s’agit pas ici d’un exercice d’apprentis-comédiens mais il y a chez David Fauvel cette même volonté de se battre avec deux textes qu’il admire mais avec lesquels il ne se sent tout de même plus en phase…On n peut n’être pas d’accord avec beaucoup de choses de son spectacle mais au moins, il y a chez lui, le plaisir de s’emparer d’un plateau et d’y projeter ses envies ,et cela, ce n’est plus si souvent le cas, comme ce le fut dans les années 70/ 80 quand les metteurs en scène voulaient absolument en découdre avec le théâtre dit classique et avec le monde qui les entourait.
Donc mais sans vouloir couvrir David Fauvel de roses rouges, les univers imaginés par David Fauvel font penser à ceux de créateurs américains du siècle précédent: le grand John Vaccaro avec ses comédies musicales délirantes, Richard Foreman, Jo Chaikin, Le Living Theater de Julian Beck et Judith Malina et Bob Wilson, bien sûr. (Je vois d’ici le regard effaré de David Fauvel (qui a quand même 38 ans) protégé par son bonnet de laine: « Ce du Vignal, avec tous ses ancêtres, il en voit des choses, tant mieux pour lui mais, moi, je m’en fous ». Et il a sûrement raison mais le dire est plutôt flatteur pour lui qui sait diriger ses acteurs: Stéphane Fauvel, Fabienne Guérif, Sandra Devaux et lui- même.
Il a aussi voulu décomposer/recomposer le texte, casser les effets de diction, imposer la nudité du plateau et mettre les éclairages rasants au pouvoir: il y a de la naïveté dans cette construction théâtrale qui obéit trop souvent à des poncifs contemporains; c’est là où David Fauvel devrait faire attention: l’eau partout utilisée et à n’importe quel moment, les corps nus dans des films plastiques, les fumigènes bien immondes utilisés à outrance, les maquillages grossiers, etc… Une provoc qui ne date pas d’hier et usée jusqu’à la corde…
David Fauvel a voulu nettoyer ces deux textes à la vapeur, pour retrouver les motivations des personnages, en les transposant dans le monde d’aujourd’hui; ce qui l’intéresse avant tout: le rapport à la sexualité et au costume-en particulier au vêtement et au sous-vêtement féminin ( petit corsets, bas, chemisiers vaporeux et à l’érotisme tel que l’on peut le vivre en 2009, quand on a une vingtaine d’années…
.
Il a donc imaginé une Desdémone tout à fait contemporaine qui n’a absolument pas peur d’assumer ses fantasmes sexuels. Quant à la pauvre Ophélie, menacée du bordel par Hamlet, elle devient une sorte de déchet, ce n’est plus tout à fait la sainte païenne de la version officielle mais une sorte de réplique plus jeune de la pute qu’est devenue, à ses yeux, sa mère. Et cela donne souvent des images d’une grande beauté, comme cette longue table recouverte d’inox qui pourrait être à sa place dans un musée d’art contemporain, des tulles blancs flottant au vent et envahis de brume, des visages aux masques étranges.
Ce spectacle imprégné d’art conceptuel et minimal surtout est bien mis en valeur par une bande-son tout à fait remarquable signée Jean-Noël Françoise et Arnaud Léger avec, notamment du Chostakovitch et des morceaux rock étonnants et par une lumière très soignée de Stéphane Babi-Aubert , si bien qu’on en pardonne les maladresses et les naïvetés .
On admire l’énergie et le rythme qui restent efficaces tout au long du spectacle. Bien sûr, il faut décrypter et mieux vaudrait connaître son Shakespeare mais, après tout, il n’est pas vraiment essentiel de tout comprendre et il y a un signe qui ne trompe pas: la bande de lycéens qui était à la première, ont bien vu qu’il s’agissait d’un travail d’une grande honnêteté , (à cent kilomètres d’une création « répondant aux exigences du public » qui ravirait le petit Nicolas)… Ils étaient très attentifs et n’ont à aucun moment boudé leur plaisir.
Ce type de spectacle ne peut sans doute être érigé en modèle -disons qu’il est un peu tendance en ce en ce moment -mais, c’est un exemple intéressant de la jeune création théâtrale en France. A voir? Oui, si vous n’avez pas de rhume, de bronchite ou d’allergie, à cause de ces foutus fumigènes…) et si vous avez encore des envies de découverte. Et ces deux heures, malgré quelques longueurs, passent encore plus vite qu’un bon film.
On peut sans doute faire la fine bouche et pourtant c’est du théâtre, enfin ce que nous appelons du vrai théâtre, au sens étymologique du terme. Et nous avons un faible pour ces spectacles remplis de défauts mais aussi de promesses…Vous pouvez toujours laisser des commentaires désobligeants, si vous n’êtes pas d’accord, mais… voyez d’abord. Enfin, vous avez peu de chances de le voir, à moins de miracle avignonnais ou parisien, sait-on jamais?
Philippe du Vignal
Comédie de Caen, (Calvados) jusqu’au 6 février, puis à La Chapelle Saint-Louis à Rouen ; en mars à Flers, à Alençon et en mai, au Préau-C.D.R. de Vire.