Je ne veux pas mourir en regardant Spiderman III
Je ne veux pas mourir en regardant Spiderman III dans le cadre du «Standard idéal » à la M. C. 93 à Bobigny
Au terme de la sixième édition du « Standard idéal » on peut s’interroger sur le sens de ce label : en quoi ce standard est-il idéal ? Quel est son contenu ? Qu’apporte-t-il de nouveau, de spécifique? D’après Patrick Sommier, directeur de la M. C. 93, l’enjeu de cette manifestation serait d’injecter dans le quotidien ronronnant de nos scènes des bouffées de modernité venue d’ailleurs, un ailleurs souvent allemand mais aussi plus lointain. Après Kastorf, Shilling, Ostermeier, etc., vus et revus, déjà banalisés, voici de nouveaux venus au sérail : Alvis Hermanis (Lettonie), Antu Romero Nunes (Allemagne), Kelly Copper et Pavel Liska (USA), Silvana Grasso et Licia Maglieta (Italie), Alexander Riemenschneider (Allemagne), Francesco Saponaro (Italie) Maja Kleczewska (Pologne).
L’objectif des programmations des Standards serait de bousculer les habitudes, les a priori du public, en montrant des démarches neuves, décoiffantes, déconcertantes. Soit. Curieusement le public attiré par ces nouveautés standardisées les avale sans problème, presque blasé, comme un nouveau produit divertissant. Qu’est-ce qui pourrait encore le secouer, le surprendre, l’atteindre aujourd’hui ? À quelle modernité se vouer ?
Celle du théâtre documentaire, photocopie nostalgique de la réalité la plus quotidienne et banale possible, façon Alvis Hermanis qui recycle imperturbablement sa bonne recette dans ses créations successives, voire dans Vater ?
Celle des « apprentis créateurs », sortis tout droit des écoles dont la production de l’Université der Künste de Berlin Je ne veux pas mourir en regardant Spiderman III serait un des exemples ? Ce spectacle conçu par un trio : Antu Romero Nunes, Simon Bauer, Niels Kahnwald, mis en scène par le premier et interprété par les deux autres (en allemand surtitré), est immature. Une anecdote : la peur de mourir de passagers regardant le film Spiderman III dans un avion qui traverse des trous d’air, fournit le titre et la toile de fond du spectacle. Son propos pourrait se résumer par le constat de ses auteurs : « l’amour n’est qu’un prétexte pour nous empêcher de voir le chaos du monde, mais c’est l’amour qui polarise notre existence ». L’amour, thème qui devait être exclu du spectacle, devient en fait son point de convergence.
Sur scène deux chaises et au fond un écran sur lequel les projections des photos accompagnées d’une musique très forte, retracent l’enfance, la jeunesse, la transformation de l’acteur en personnage de Spiderman. Puis entrent les deux acteurs qui distribuent au public, comme aux passagers d’un avion, des sachets de chips. Les séquences du jeu scénique alternent avec les projections évoquant Spiderman III et des bouffées de musique très forte. Le texte répétitif, qui incorpore des interviews de l’acteur qui a joué Spiderman, des citations de Roland Barthes et de Nietzsche, évoquant le labyrinthe de la pensée et du langage, et des écrits propres du metteur en scène et des acteurs, est débité à la vitesse grand V. par les deux acteurs. En costume et baskets rouges et noirs, avec quelques accessoires, tantôt ils incarnent Spiderman, citant ses diverses aventures, tantôt ils jouent sur le mode distancié, ironique, avec des situations clichés de notre vie quotidienne et échangent des considérations sur l’amour décliné sous toutes ses formes jusqu’à la déclaration d’un amour véritable faite par un des acteurs en français et en allemand à des spectatrices dans le public. À la fin, sur l’écran on voit Spiderman et sa bien-aimée enlacés dans une toile d’araignée, les deux protagonistes quittent leurs costumes Spiderman et disparaissent derrière l’écran.
Le dialogue entre le cinéma et la scène manque de fluidité, la dramaturgie scénique confuse, maladroite, le jeu parfois stéréotypé. Mais paradoxalement l’apparente inconsistance et la superficialité du spectacle, lues au second degré, révèle l’état d’esprit de la jeune génération déconnectée de la réalité sociopolitique, les conflits, les tragédies humaines ne touchant ces jeunes que lorsqu’ils se produisent dans leur sphère privée.
« Il y a des famines, des catastrophes naturelles, des guerres… et je suis incapable de me révolter contre cela » dit un des protagonistes.
Et Antu Romero Nunes, metteur en scène, précise : « nous ne sommes pas vraiment conscients des autres conflits. J’ai le sentiment que nous sommes parvenus avec notre société européenne occidentale à un consensus qui ne laisse pas de questions ouvertes. »
Une génération sans utopies, sans idéaux qui puise dans la culture populaire pour se fabriquer ses propres mythes, ses vies rêvées, pourquoi pas celle de Spiderman ?
Irène Sadowska Guillon
mise en scène Antu Romero Nunes, M. C. 93 Bobigny
du 24 au 26 janvier 2009 dans le cadre du « Standard idéal » du 24 janvier au 8 février.