Notes du Canada : échantillons du théâtre hivernal à Ottawa.
I Have before Me a Remarkable Document Given to Me by a Young Lady From Rwanda de Sonja Lindon
Le NORT ou New Ottawa Repertory Theatre (Nouveau théâtre du répertoire à Ottawa) sous la direction de Paul Dervis, un artiste d’origine américaine, nous livre depuis quelques années le dernier cri du théâtre newyorkais dans un style de la pure tradition de l’Actor’s Studio, les héritiers des méthodes de Stanislawski en Amérique du nord. Leur dernière création, une courte pièce d’un auteur britannique, Sonja Linden, porte le titre un peu trop explicatif mais qui situe bien les propos : en français, Je me trouve devant un document remarquable que j’ai reçu d’une jeune rwandaise.
Il s’agit d’une rencontre entre Juliette, survivante Tutsi des massacres, récemment arrivée à Londres, avec un manuscrit sous le bras, et Simon, un écrivain britannique, arrogant et apparemment insensible aux événements qui pèsent sur la jeune dame. Simon fait du bénévolat au centre des réfugiés où Juliette arrive à la recherche des conseils pour faire publier son « remarquable document » sur les horreurs qu’elle vient de vivre dans son pays natal.
Un magnifique texte composé de dialogues et de monologues intérieurs où les deux protagonistes discutent le rapport entre la transmission de la mémoire et l’écriture. Au fil des conversations et sans la moindre effusion de sentimentalisme bon marché, le voile d’incompréhension entre les deux se lève et un lien profond entre ces deux écrivains s’y installe.
Cette troupe dispose de très peu de moyens mais elle a l’habitude de nous livrer des textes intéressants. Dervis travaille souvent avec les jeunes comédiens, diplômés récents des écoles de théâtre à Ottawa ou ailleurs. Ici, la jeune Nadine Thornhill dans un premier rôle professionnel, s’en tire avec dignité. Elle a mesuré son jeu pour que toute l’émotion arrive à son comble lorsqu’elle présente le témoignage du meurtre de sa famille. Nous sommes émus et hypnotisés par son jeu.
Il faut dire que la pièce m’a rappelé l’œuvre belge Rwanda 94 que nous avons vue à Montréal il y a quelques années lors du Festival du Théâtre des Amériques. Je pense surtout au premier segment (car cette pièce-là a duré six heures) qui nous mettait devant une femme, une véritable survivante des massacres. Cette personne, toujours traumatisée par ce vécu violent, parlait d’une manière qui intériorisait toute sa douleur et sa peine. La comédienne canadienne elle, n’a pas vécu ces atrocités mais elle a bien compris que pour capter le spectateur il fallait, dans ces circonstances où la réalité est presque impossible à imaginer, évoquer une émotion discrète et surtout éviter le jeu mélodramatique . Avec une musique de fond des Rolling Stones et des éclairages très à propos, la soirée a laissé des traces inoubliables.
A Midwinter’s Dream Tale. ( The Company of Fools. )
Les adeptes de Shakespeare reconnaîtront la fusion des deux œuvres comiques et romantiques qui ont servi de point de départ de cette parodie: Songe d’une nuit d’été et Le conte d’hiver. Ottawa jouit d’une troupe de clowns intelligents et très cultivés (La Compagnie des Fous/the Company of Fools) qui nous livrent des parodies du grand Shakespeare parfois assez brillantes, parfois sans intérêt, selon les inspirations.
Cette semaine, à l’occasion du Bal des neiges, notre carnaval d’hiver, la troupe présente cette double relecture qui brille par sa mise en scène, par les jeux comiques très physiques, et par des mimes inspirés autant du cinéma muet que par les enseignements de Lecoq. Ils étaient tous bien servis par un texte qui pétillait d’humour, par des trouvailles visuelles les unes plus grotesques que les autres, et par des comédiens d’une très haute qualité. Par exemple, Jessie Buck, un Puck transgressif et magistral, rejoindra bientôt le Cirque du soleil. Il y avait également un duo comique : « Restes » (Margo Macdonald) le clown simple, triste et maladroit à côté de « Pommes Frites » (Scott Florence) un personnage en jupe écossaise, qui parlait comme l’Inspector Cluzot interprété par Peter Sellars. Tout cela n’a rien à voir avec Shakespeare, et pourtant la manière dont ils ont tissé les intrigues et les sous intrigues empruntées des deux textes, avec des glissements entre le comique, le grotesque le pathétique voire le tragique, a capté d’une certaine manière l’esprit du grand Will. Bien sûr les puristes n’aiment pas ce genre de transgression textuelle mais souvent chez nous, Shakespeare n’est pas sacré. Tout le monde s’y met et parfois les résultats sont heureux. Dans ce cas, il fallait oublier l’original et se laisser emporter par le délire du moment.
Il faut mentionner le décor (Ivo Valentik), bien assortie à l’hiver canadien : une foret cristallisée par une tempête de glace, des arbres recouverts de petites boules argentées, des bancs de neige qui craquaient sous le poids des comédiens, et des bouffées d’air froid renvoyés des coulisses..Et comble de bonheur, on a servi de la glace pendant l’entr’acte! Seulement au Canada!! Un divertissement intelligent pour toute la famille.
Alvina Ruprecht
CBC, Ottawa Canada. février, 2009
http://www.fools.ca/
Photos: Andrew Alexanders

