D’un carnaval à l’autre: Liestal et Bâle / morgenstraich
D’un carnaval à l’autre: Liestal et Bâle, mise en scène de la population, des autorités municipales et des pompiers.
Comme chacun sait, les carnavals sont une des spécialités suisses, et il y a peu de villes qui échappent à cette tradition. Premier arrêt: Liestal, chef lieu du canton de Bâle, avec ses vieilles et petites rues et maisons à colombages. Vers quinze heures, le premier dimanche de mars depuis le Moyen-Age, sans doute pour enterrer l’hiver, sur nombre de places de la cité ancienne, des fanfares avec trompettes, trombones et grosses caisses jouent des airs de variétés ou des musiques traditionnelles du canton. Mais avec une maîtrise et une qualité de musique absolument parfaite, les quelque vingt participants par fanfare (appelée aussi clique), tout âge et sexe confondus, masqués de gueules d’animaux, ou tête nue, jouent sans partition devant un très nombreux public venu de la Suisse entière mais plutôt de la partie germanophone.
Aucun flic à l’horizon, des tonnes de confettis par terre et des saucisses qui grillent un peu partout. A la nuit tombante, quelque vingt chariots en fer remplis de bûches empilées arrivent d’un peu partout dans les rues, conduits par des hommes et quelques femmes, masqués le plus souvent de têtes d’animaux avec des lanternes en papier couvertes de dessins humoristiques qui vont se rassembler en haut de la ville.
But de l’opération: faire descendre ces chariots avec leur cargaison de bois auquel on a mis le feu, dans la rue principale, après avoir franchi l’étroite porte d’entrée de la ville surmontée d’une tour. Toutes les lumières électriques de la ville publiques ou privées ont été éteintes auparavant; il y a des milliers de spectateurs entassés qui attendent le passage de ces foutus chariots qui dégagent une incroyable chaleur. Ils sont précédés et suivis par d’une centaine de petits groupes d’hommes et de quelques femmes et enfants casqués qui portent sur l’épaule des espèces de torches faites des mêmes bûches de bois. Les comédiens stagiaires nigériens du Théâtre de l’Unité regardent sans y croire….
Vous n’avez pas dit impressionnant? Si, si, c’est impressionnant, les images sans doute simples sont de toute beauté, quand on voit ces chariots de feu avancer et pénétrer après un arrêt, dans la ville . Même si, ( on est en Suisse), tout se passe dans le calme mais avec quand même une armada de pompiers qui arrosent, avant chaque passage des chariots, la voûte de la vieille porte et veillent au bon déroulement des opérations: la voiture citerne n’est jamais très loin et l’ambulance attend portes ouvertes son premier brûlé. Il faut dire que les flammes de la plupart des chariots atteignent facilement le deuxième, voire le troisième étage des maisons. A quoi cela sert? A rien ou à tout, d’abord à enterrer l’hiver mais aussi à être convaincu que, comme disait Gaston Bachelard, dans La Psychanalyse du feu: « La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire ».
Il est minuit; très courte nuit de deux heures, et l’on repart pour Bâle pour être sur la grande place ce premier lundi après les Cendres… A quatre heures pile, horlogerie suisse oblige, la ville entière éteint ses lumières… Quelque deux cent fameuses cliques se mettent alors en marche. Une vingtaine de musiciens par clique, tous costumés et masqués, souvent de têtes d’animaux, avec tambours et fifres aigus que l’on entend dans toutes les rues. Depuis trois heures du matin, cafés , échoppes et bars vendent des cafés, de la bière et de la Mehlsuppe, une espèce de soupe à la farine, ni bonne ni mauvaise, ni chaude ni froide, saupoudrée de fromage râpé. Les masques fabriqués industriellement et vendus un peu partout, parfois retouchés ne sont pas toujours d’une grande qualité esthétique, mais l’ensemble de la clique est impressionnant.
Les trottoirs et les rues du centre ville sont envahis de spectateurs. Les cliques avancent lentement dans la foule, avec des lanternes en papier et de grandes boîtes éclairées à l’électricité de l’intérieur, couvertes de dessins et de caricatures politiques en dialecte bâlois donc qui nous échappent quelque peu… Là aussi, comme à Liestal, mais, en plus urbain, l’image de cette ville, sans lumière et livrée à cette débauche de cliques qui jouent souvent les mêmes thèmes musicaux dans un calme et un silence complet, est hors normes. Il y aura aussi plus tard dans cette même journée de lundi, une centaine de schnitzelband, sorte de sketches poétiques et burlesques joués dans les restaurants et brasseries.
Délire total d’une ville assez sévère comme on en voit rarement en Europe, même la nuit de notre fête de la musique. Dans la vieille ville, des gens se baladent en attendant que le jour veuille bien se lever sur le Rhin… Il est temps de repasser la frontière en direction de Villars-les-Blamont…
Philippe du Vignal
Pour Liestal et Bâle, il faut dormir la veille sur place; mais prenez vos précautions( mais vous avez le temps de vous préparer): vêtements bien chauds, un peu d’argent suisse pour Liestal, où on ne prise guère les euros, aucun objet précieux vu la foule. Mieux vaut aussi ne pas avoir le moindre soupçon d’agoraphobie mais l’envie irrésistible de passer une nuit blanche. Cela vaut le coup de voir la chose au moins une fois dans sa vie, et les TGV, comme leur nom l’indique, vous emmèneront très vite à Bâle puis à Liestal par le train.
La carte postale que vous écouterez est signée Sylvie Gasteau, créatrice de sons, qui avait notamment conçu et réalisé une très belle émission sur Yvette Horner à France-Culture l’été dernier, et que nous remercions mille fois.
Philippe du Vignal