Note de lecture
Koltès
La rhétorique vive
par André Job
André Job concentre son étude de la sophistique revisitée dans l’écriture de Bernard Marie Koltès sur sa pièce culte Dans la solitude des champs de coton relevant sa place singulière dans l’œuvre de l’écrivain qu’elle surplombe tout en étant dans et à part. Une écriture en quête de sa propre forme qui crée sa propre origine et résiste à toute tentative d’appropriation. « Koltès nous a mis entre les mains une littérature que nous ne savons pas encore jouer » avait dit François Chatôt. Patrice Chéreau a été le premier à s’y affronter et à expérimenter les énigmes de l’écriture koltèsienne.Dans Dans la solitude des champs de coton il s’agit en effet d’une œuvre d’expérimentation d’une nouvelle forme de traitement de la problématique du lien social, du désir, du rapport social sur le mode de l’échange, de la transaction, qui met en jeu un changement de point de vue.La démarche de Koltès : alliance des procédés du discours empruntés au marché et d’une rhétorique érotisée, relève en effet de l’actuelle manipulation des valeurs.En croisant les approches multiples : anthropologique, philosophique, psychanalytique et sociologique, André Job s’attache à interroger le sens et la portée du retour de Koltès, dans cette pièce, sur le modèle antique de la sophistique qu’il réinscrit dans la modernité pour en tester l’efficacité tragique. Établissant des passerelles et des points de contact avec d’autres œuvres de Koltès, y compris romanesques, qui portent également des marques de l’expérimentation du changement de point de vue, de l’alternance de deux narrateurs, André Job repère quelques lignes de l’évolution de la recherche koltèsienne d’une forme intellectualisée, sophistiquée, d’échange, souvent sur le mode du dialogue, dont les protagonistes communiquent dans un constant effet de décalage.
Il analyse la sophistique revisitée par Koltès en décryptant les divers aspects de la relation vendeur – acheteur, dealer – client : dispositif textuel, scansions temporelles, possibilités des positions des protagonistes dans l’espace, en nourrissant largement son analyse de références aux modèles et à la pensée des anciens et des modernes : philosophie et tragédie grecques (Aristote, Protagoras…), lecture de l’inconscient de Lacan, réflexion de Baudrillard sur l’échange symbolique, virtuel et concret, point de vue de la philosophie politique d’Anna Arendt.
En concluant sur l’ambiguïté de la rhétorique, sociale ou rituelle ? mise en œuvre par Koltès, André Job met en évidence l’actualité de Koltès aujourd’hui où la rhétorique politique risque de perdre sa propre légitimité face à la rhétorique de masses s’imposant sur la scène sociale.
Une exégèse extrêmement complexe, documentée, de la sophistique revisitée et renouvelée chez Koltès. Fondé sur une connaissance solide de l’œuvre de Koltès, recourant à un dispositif référentiel et à un vocabulaire savant, spécifique, parfois hermétique, cet ouvrage risque cependant d’être peu accessible aux lecteurs non-initiés.
Irène Sadowska Guillon
Koltès
La rhétorique vive
par André Job
Éditions Hermann
Collection « Savoir lettres » fondée par Michel Foucault,
Paris 2008, 135 pages, 25 €