La Nuit de l’iguane de Tennessee Williams, mise en scène de Georges Lavaudant.
Eh! oui … Encore Tennessee Willams: Baby Doll en ce moment au Théâtre de l’Atelier, ( voir notre article récent ) et cette fois dans le théâtre dit public, La Nuit de l’Iguane à la MC 93 de Bobigny; ce n’est pas une des grandes pièces de l’auteur; écrite en 61, donc à la fin de sa vie, elle a été adaptée par Marcel Aymé et publiée en 72. il y aussi un film en noir et blanc (1964) de John Huston .. Mais la pièce a été peu jouée en France.
Cela se passe pendant la seconde guerre mondiale, en 1940, sur une plage du Mexique: Larry Shannon est un pasteur américain; la cinquantaine avancée, alcoolique, il a été suspendu pour fornication et blasphème, et a été obligé de se reconvertir en guide-accompagnateur de voyages organisés bas-de-gamme… Pendant le voyage en car, il n’a rien perdu de ses habitudes et a fait l’amour une fois de plus à une belle et séduisante nymphette qui voudrait l’épouser.
Mais Shannon est vite devenu le souffre-douleur d’une des touristes; bigote, laide et frustrée, visiblement homosexuelle, elle veut le traîner en justice, pour son immoralité et pour la médiocrité de l’hôtel Costa Verde, assez délabré, et du voyage. Le Costa Verde est tenu par une belle jeune femme, Maxine à laquelle il n’est pas insensible et réciproquement. Comme il commence à troubler Hannah, une autre jeune femme qui erre en compagnie de Nono, son grand-père qui arrive dans cet hôtel en chaise roulante. Mais elle n’a pas un dollar en poche et essaye, pour gagner de quoi vivre, de vendre ses aquarelles ou de faire le portrait de touristes de passage, comme ces Allemands fascistes qui passent des vacances au Mexique. Le grand-père, poète sans grand talent, essaye, lui, de dire quelques uns de ses poèmes en public , pour ramasser quelques pièces …sans beaucoup plus de succès que sa petite fille.
Bien entendu, Hannah sera vite fascinée par cet homme déchiré entre ses pulsions sexuelles et une vocation spirituelle à laquelle il ne semble plus croire beaucoup. Séducteur tourmenté, il voit bien, dans un éclair de lucidité, que le retour aux Etats-Unis devient pour lui chaque jour de plus en plus impossible. Mais, en même temps, la vie au Mexique lui parait loin d’être paradisiaque et, assez fauché, il doit vendre aux touristes qu’il accompagne des pastilles contre les « troubles digestifs », comme dit pudiquement Tennessee Williams. En fait, on s’en serait douté, le pasteur a quelques sérieux comptes à régler avec lui-même, surtout avec une enfance où sa mère lui a flanqué une bonne raclée quand elle a appris qu’il se masturbait.
Les confidences échangées dans la nuit entre Shanonn et Hannah, dont le grand- père, déjà mal en point, vient de mourir, sonnent comme une sorte de renaissance possible pour ces deux esquintés de la vie: elle, dont les quelques amours, si on l’en croit, n’ont pas dû être fabuleux et, lui, le grand séducteur qui n’a jamais réussi à faire les bons choix et qui n’arrive pas à oublier son passé de pasteur, sans non plus très bien voir l’avenir…
A la fin de la pièce, Shannon coupe la corde qui retient un petit iguane, comme pour se délivrer lui-même et se faire pardonner ses errances en redonnant la liberté à cet animal promis à l’engraissement pour être ensuite mangé. Tennessee Williams , comme Shannon,règle lui aussi ses comptes à la société puritaine de son époque où la sexualité était encore sous la domination totale du christianisme. Quant à être homosexuel comme le fut Williams, on n’ose à peine imaginer les souffrances qu’il a dû subir… Mais en quoi, ces histoires peuvent-elles encore vraiment nous concerner?
Donc, Georges Lavaudant, à qui l’on doit de grandes et merveilleuses mises en scène, s’est emparé, Dieu sait pourquoi, de cette pièce mineure, assez bavarde et au scénario un peu mince, qui n’en finit pas de finir . Lavaudant a souvent parcouru le Mexique auquel il voue une véritable passion, et, comme s’il avait peut-être besoin d’assouvir une vieille obsession, il semble vouloir traduire sur scène ce qu’il a ressenti en présence de l’océan et de la nature sauvage, dans un endroit perdu, où les passions humaines se dévoilent et où , dans la solitude, l’on est obligé de faire preuve de lucidité quant à sa propre vie. Mais cela tient du syllogisme du genre: j’ai envie de parler du Mexique, comme Tennesse Williams a écrit une pièce qui a pour cadre le Mexique, donc je la mets en scène…
. Et, comme il y a de l’espace au Mexique, je la monte sur un grand plateau. Et pour que l’on sache bien que l’on y est, je demande à mon cher et fidèle Jean-Paul Vergier de m’aligner une série de cactus géants au milieu de la scène. Quand le rideau se lève, comme dans le théâtre privé le public de professionnels hier soir a applaudi ; bravo, ce sont sans aucun doute de beaux et majestueux cactus mais… ils gênent la circulation des comédiens qui jouent pratiquement toujours au centre sur quelques mètres carrés…
On dirait que Georges Lavaudant a travaillé contraint et forcé, et sa mise en scène a, disons, du plomb dans l’aile … La pièce, quand même assez terne, se traîne pendant deux heures interminables. Et c’est quand même bizarre d’avoir dans sa distribution un jeune Mexicain comme Iannis Guerrero ( qui n’aurait sûrement pas demandé mieux que de l’aider), et de faire dire à ses comédiens quelques mots avec un accent espagnol aussi faux. Ne parlons pas de ces cinq touristes allemands qui traversent la scène en maillot de bain , marchant au pas et chantant plutôt bien- merci Ariane Pirié-dans une grande bouée de canard, marquée du sigle nazi….au cas où, pauvres spectateurs un peu débiles, nous n’aurions pas bien compris. Et cela voudrait sans doute être drôle mais ne l’est pas du tout.
Quant à la direction d’acteurs, elle flotte aussi: Tckeky Kario, par ailleurs , excellent acteur de cinéma, débite son texte au début comme s’il répétait dans un coin de la scène, ou bien surjoue, comme s’il ne croyait pas vraiment à son personnage ,et il faut souvent faire un sérieux effort pour entendre ce qu’ Astrid Bas et lui peuvent bien se dire. C’est assez grossier et méprisant pour le public! Que Georges Lavaudant envoie son assistant Jean-Michel Vesperini en haut de la salle et il lui dira de quoi il retourne.Un spectacle n’est pas fait seulement pour les premiers rangs, où se massaient les huiles du Minsitère mais pour TOUS les spectateurs; c’est vrai que nous sommes un peu lâches et que si deux ou trois personnes avaient crié: « Plus fort, » Monsieur Tcheky Kario aurait peut-ête consenti à communiquer avec le public…Cela devient une manie dans le théâtre contemporain: soit les comédiens crient sans raison, soit ils parlent comme dans un micro…
Seule, s’impose Dominique Reymond, ((Hannah) toujours aussi lumineuse et que l’on entend, elle, très bien..et L’on a aussi du plaisir à retrouver Pierre Debauche dans ce personnage de vieux poète. Mais tout cela ne fait pas du tout, mais pas du tout une soirée! Et le public a chichement, et avec raison, mesuré ses applaudissements.
Alors, à voir? A la rigueur, si vous voulez voir de très beaux cactus ,si vous habitez Bobigny près du théâtre et si Patrick Sommier, le directeur de la MC 93, vous invite; sinon, ce n’est pas vraiment la peine de faire une demi- heure de métro. Attendez plutôt le 26 mars à 20 h 30; comme le signale gentiment le programme, le Magic Cinéma à Bobigny ((tout près du métro) présente The Night of the Iguana de John Huston avec Ava Gardner et Richard Burton, ; en plus, c’est en v.o….. et ce n’est pas cher.
Philippe du Vignal
MC 93 de Bobigny jusqu’au 5 avril.