Casimir et Caroline

Casimir et Caroline d’Ödön von Horvath, mis en scène d’Emmanuel Demarcy-Motta.sylvietestud.jpg

Petite piqûre de rappel: né en 1901 à Fiume située alors en Hongrie, romancier et dramaturge de langue allemande,  Ödon von Hörvath  fit des études un peu partout, au gré des postes qu’occupa son père diplomate: Belgrade, Budapest, Munich; européen avant l’heure, il disait: « Je n’ai pas de pays natal et je n’en souffre aucunement ».En 1930, il rencontra Hitler près de Munich et se disputa avec ses proches. Après une pièce La nuit italienne, il reçut le prix Kleist pour Légendes de la Forêt viennoise( 1931) mais, vu ses relations avec le régime nazi, ses livres feront partie de ceux qui furent brûlés.

 Sa pièce Foi, Amour, espérance , interdite de création à Berlin , fut montée à Vienne  mais l’auteur « dégénéré » comprit qu’il valait mieux vite quitter l’Allemagne puis l’Autriche où venait d’être proclamé l’Anschluss. Surtout,  après la parution de son roman pamphlet Jeunesse sans Dieu contre le nazisme. Commença alors un long exil: Budapest, Venise, Trieste, Milan, Prague, Zurich, Amsterdam et enfin Paris chez son amie Vera Liessen .Mais, quand il revint d’un spectacle au Théâtre des Champs-Elysées, une tempête eut la grande gentillesse de lui envoyer une branche de marronnier sur la tête en face du Théâtre Marigny; ainsi disparut subitement à 37 ans, ce merveilleux écrivain sans pays natal….
 Casimir et Caroline, est une pièce écrite en même temps que Légendes de la forêt viennoise, et créée en 1932 à Berlin et comporte plusieurs versions ; c’est une histoire d’amour entre un jeune homme,  chauffeur de son état qui vient de perdre son emploi ( on est à Munich, c’est l’année de la crise économique mondiale et le chômage atteint des records en Allemagne). Pièce populaire comme l’a sous -titré von Horvath,  elle tient un peu du mélo sentimental, de la farce mais aussi de l’opérette avec de nombreuses danses et marches de Johan Strauss, Adolf Scherzer,etc..  des hymnes ( Solag der alte Peter) mais aussi un chanson  de Schubert, sur fond de tempête socio-politique imminente.
 C’est quand même la fête de la bière à mi-septembre : elle se tient depuis  1810 et  rassemble toute la ville, bandes de jeunes garçons et filles , riches hommes d’affaires, magistrats,  gérants de boutiques foraines, marchands de glace et de poulet frit, voleurs à la tire, jeunes personnes prêtes à se prostituer, etc…  Casimir aime Caroline et Caroline aime Casimir mais voilà Casimir vient de perdre son emploi de chauffeur,  et  n’a plus d’argent …  Caroline est jeune; elle  aime bien la fête et la vie comme ses copines et  chacun sait qu’un homme  sans argent n’est plus pour une minette que l’ombre de lui-même. En fait, Casimir se retrouve face à lui-même,  et c’est le plus grave, n’ a plus confiance en lui. Et Caroline va se détacher de son Casimir chéri : elle semble même tourner la page avec un certain cynisme, et le quitte brutalement: l’époque Casimir est  révolue, la crise économique est passée par là et  a suffi à casser un jeune couple d’amoureux.Même si l’amour,dit plusieurs fois von Orvath , ne cesse jamais et donc,  Casimir continuera à aimer Caroline même partie…

Dans cette fête où, l’on boit trop, fatigué par une semaine de travail ou anxieux d’être  au chômage, tout semble prêt pour une déflagration sociale, surtout quand des hommes riches et seuls croisent dans les parages. Comme le dit l’infirmier après un accident qui a failli coûter la vie à Caroline: « Ils sont nerveux, les gens, et ils ne tiennent plus l’alcool ». On s’amuse ou on fait semblant, qu’importe, en s’enivrant à la bière et en draguant  n’importe qui; et les hommes  se bagarrent  pour pas grand chose.

  On se suicide aussi  comme jamais auparavant, ( mais pas dans la pièce)dans une  Allemagne déjà  soumise à Hitler… Sans doute, y-avait-il déjà dans ce climat de violence larvée  quelque chose qui annonçait le pire, dont certains n’étaient pas dupes, surtout pas von Orvath.
 
 Comment traiter cette pièce qui dit beaucoup de choses, à travers les mots simples et les dialogues de la  vie quotidienne, dans une suite de  courtes scènes qui font souvent penser à des séquences de film? Emmanuel Demarcy-Motta a choisi un parti pris: montrer surtout la fête,avec sa foule, ses  danses collectives ,ses chants , ses musiques, et ses beuveries, bref le délire des corps et des esprits  emmenés par le grand huit, justement celui que Casimir ne peut plus  offrir à Caroline, la crise économique humiliant deux pauvres êtres en porte-à -faux avec  à eux-mêmes , dans un semblant de bonheur festif arrosé à la bière mal assumé.

  Le metteur en scène a convoqué, une fois de plus, – cela devient une manie- ses grands praticables à roulettes qui ne sont pas  indispensables, deux toboggans, et un cheval/ sculpture. Il y a aussi  des projections en fond de scène d’un  grand huit  tout à fait réussies mais qui parasitent l’action. Cela dit, Emmanuel Demarcy-Motta dirige  dix neuf comédiens.. avec une remarquable maîtrise;  comme dans une comédie musicale américaine,  tout est réglé au millimètre, et les chansons en choeur et les scènes de danse, inspirées de Pina Bausch , sont  de grande qualité.Il y a eu, c’est évident,un grand travail de préparation et de répétition, avec des techniciens chevronnés .
 Plastiquement, cela tient aussi la route:  les projections d’ombres sont impeccables.  Et l’on peut voir qu’Emmanuel Demarcy Motta dispose de moyens  importants. De ce côté-là, sa petite entreprise ne connaît pas la crise!
 Oui, mais…. Parce qu’il y a un mais… Vous n’êtes pas encore content, du Vignal? Non, pas vraiment! Cela ne fonctionne en effet pas très bien:le spectacle est vraiment trop démonstratif! Où est donc passé le texte et  l’esprit du texte?  Tout parait  sec  et noyé sous une  avalanche de matériel, et sur ce grand plateau à la fois  nu et encombré,  la pièce ne parait pas à son avantage, et ne dégage guère d’émotion,  malgré une distribution imposante et de grande qualité :Sylvie Testud, Hugues Quester, Alain Libolt, Thomas Durand, Cyril Anrep… 

Par ailleurs,  François Regnault  a commis une « nouvelle traduction » (sic)  sur laquelle il est permis de s’interroger,  quand on la compare à celle d’Henri Christophe publiée à l’Arche: il y  a parfois des expressions qui appartiennent à la langue écrite  du type: » il se dirige » ou « il veut t’avoir au sens sexuel ». Et  Regnault et Demarcy-Motta  ont cru bon d’intercaler quelques scènes d’autres oeuvres de von Orvath, sans qu’on en voit la nécessité. Par ailleurs, la mise en scène  traîne  souvent et  manque de rythme , à cause de fréquents noirs et de trop longs déplacements de praticables. Comme la lumière est chichement comptée, on voit mal et l’on s’ennuie donc un peu .

Alors à voir? Oui, si vous avez déjà acheté vos billets; non, si vous avez envie de voir montée la pièce de von Horvath – que vous ne connaissez sûrement pas parce qu’elle est rarement jouée*-de façon plus pointue et plus simple. Désolé, Casimir et Caroline  méritaient un autre traitement… Si vous êtes étudiant, la médiathèque  de votre fac abrite peut-être le film de Légendes de la forêt viennoise qu’André Engel  mit en scène il y une dizaine d’années… A défaut de Casimir et Caroline, vous aurez un assez fabuleux von Orvath.

Philippe du Vignal

* Elle avait été monté par Jacques Nichet en 1999 déjà,  de façon tout à fait remarquable.
Théâtre de la Ville jusqu’au 27 mars.


Archive pour 11 mars, 2009

Doubt (Le Doute)

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Le Doute de John Patrick Shanley,  mise en scène de John P. Kelly.

  Le Doute , du New Yorkais John Patrick Shanley  est   désormais  associée  au film avec  Meryl  Streep  et  Philip Seymour Hoffman,  dont le scénario a été tiré de la pièce par l’auteur.

  John P. Kelly, a mis en scène cette  œuvre à mi-chemin entre enquête policière et  drame de conscience. C’est une critique virulente de l’église catholique  et de  sa rigidité morale  incarnée par la Mère supérieure (Sœur Aloysius)  incapable de la moindre sympathie humaine.  Elle représente l’ordre, la discipline et le respect des règlements , surtout lorsque ceux-ci renvoient aux  principes religieux.   Personnage  coincé, antipathique, elle  s’accroche à sa foi comme quelqu’un qui aurait peur de voir s’écrouler les fondements de sa conscience morale.    Mais arrive le jeune  pasteur  Flynn, aux mœurs  « inhabituelles » et dont le style  « trop familier », voire franchement  « ambigu » avec  ses jeunes élèves, surtout  les garçons,  paraît vite suspect aux yeux de la Mère supérieure. Elle convoque Flynn  mais ,quand il  nie ses accusations,  elle se  lance dans une croisade personnelle pour extirper le « mal » du  couvent.
Cette confrontation symbolique entre l’église traditionnelle et  la nouvelle église touchée par le mouvement œcuménique est au coeur de la pièce, puisque  la culpabilité du jeune homme est difficile à affirmer  et que le doute subsiste.  Quant à la Mère supérieure, elle semble emportée par  ses obsessions,  et  on peut aussi  avoir quelques  doutes sur  ses convictions religieuses.
Quant à la mise en scène, assez statique , elle est surtout fondée sur le jeu des comédiens. Mary Ellis a eu du mal à cerner toutes les complexités de cette figure torturée par une vie de répression, et n’a pas vraiment saisi les nuances  d’un  personnage au bord du déséquilibre mental. Le metteur en scène avait  interdit à ses acteurs de voir  le film ,  de peur qu’il ne les influence.  Pourtant, Meryl Streeep  aurait pu  servir  de modèle à Mary Ellis qui est loin d’être une débutante, et regarder jouer les grands comédiens est toujours une expérience  stimulante, même quand  un  film  connait une surenchère médiatique.  Elle aurait pu sans doute ainsi mieux surveiller la tonalité et le rythmes de  sa voix souvent trop peu  modulée. 

    L’aueur de la pièce, John Patrick  Shanley vient  de New-York où  la technique de la  mémoire affective  détermine souvent  le jeu des acteurs mais , ici, Mary Ellis reste à la surface des choses.  Kris Joseph a lui, une belle présence  et sait  maintenir  l’ambigüité jusqu’à la fin mais son  rôle exige aussi beaucoup moins de subtilité… Nathalie Fraser-Purdy est aussi tout à fait remarquable.  La mise en scène, malgré tout, finit par nous séduire, dans la mesure où  Kelly  a su  traduire l’intelligence de la pièce.

Alvina Ruprecht

Gladstone Theatre à Ottawa.

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