Sacrifices, un solo de Nouara Naghouche, co-écrit et mise en scène par Pierre Guillois.
Noura Naghouche est une jeune femme qui a créé son premier solo Nous avons tous la même histoire, mise en scène par Barbara Boichot il y a déjà dix ans qu’elle avait présenté à Colmar, Strasbourg et Paris. Elle est aussi comédienne et a joué dans plusieurs spectacles à Colmar avec Pierre Guillois, metteur en scène reconnu et depuis 2005, directeur du fameux Théâtre du Peuple de Bussang, construit en bois, dont le fond de scène, idée géniale, peut s’ouvrir sur la forêt vosgienne. Construit en pleine nature par Maurice Pottecher, en 1895, qui fut enterré là, il a été classé monument historique et accueille chaque été des milliers de spectateurs; si vous passez par là, faites un détour, il est possible de le visiter sur simple réservation ( voir le site) , vous ne le regretterez pas.
Une fois les présentations faites,fermons la parenthèse et revenons au solo de Nouara Naghouche. « Sacrifices, dit Noura Naghouche, c’est mon engagement en tant que femme vis- à -vis des femmes de toutes les couches sociales, maghrébines ou autres, desquelles on exige beaucoup trop de sacrifices, comme si c’était normal. Je parle de la femme, de tout ce qu’elle subit. C’est un cri du coeur. J’avais envie avec ce spectacle de me mettre à nu et de dénoncer une forme d’injustice qui sévit au quotidien. »
Nouara Naghouche est originaire d’un quartier pauvre de Colmar, où le racisme et l’exclusion sont justement vécus au quotidien; elle est alsacienne, c’est sûr, et quand même algérienne, c’est sûr aussi ; elle peut imiter un Français teinté d’un lourd accent alsacien, revenir au parler parisien et continuer en arabe, sans la moindre difficulté.
Elle a visiblement des comptes à régler avec la famille algérienne, où, dit-elle, la femme a le beau rôle, à condition qu’elle fasse la cuisine sans jamais se rebeller , qu’elle accepte de se faire tabasser par un époux beurré et qu’en gros, elle obéisse aux mâles brutaux de la tribu, qu’il s’agisse de choix d’époux, de liberté sexuelle ou de liberté tout court. Et elle y va sec, sans hésiter sur le choix des mots: « Je fais la machine à écarter les jambes et mon plaisir à moi, il est où? « . » On se fait une touffe près d’un couscous »,
Mais elle a aussi quelques petits autres comptes à régler avec l’Ordre français représenté par les vigiles des grandes surfaces… qu’elle ne ménage guère. Mais les personnages qu’elle incarne sont surtout des femmes, comme Zoubida qui écoute sans cesse les chansons rétro de Radio Nostalgie, en préparant son couscous , de Marguerite qui doit bien aimer M. Le Pen, et qui traduit R.M.I. par Revenu Minimum Islamiste, ou de Marie-France avec laquelle elle va en boîte. C’est drôle ,parce qu’elle ne triche jamais et qu’elle est impressionnante de vérité dans son simple survêtement bleu.
Nouara Naghouche a quelque chose de Guy Bedos conjugué au féminin et de Valérie Lemercier ; elle est tout de suite sympathique et a une sacrée présence, même si son humour est du genre tranchant, souvent teinté d’un cynisme bien trempé. Mais ,comme elle a un immense savoir-faire, une impeccable diction sauf à quelques rares moments où elle boule son texte, et une gestuelle de tout premier ordre, la vérité (parfois caricaturale ) passe bien , et cela dès le premier instant où elle arrive sur scène, même si c’est parfois facile et un peu racoleur.
Mais quel talent de conteuse! Quelle habileté à passer d’un personnage à l’autre: de l’alsacienne donneuse de leçons à l’accent à couper au couteau, à la mère de famille algérienne. Quel contact avec le public, qu’elle emmène là où elle veut! Il faut la voir soutirer un porte-monnaie, puis un portable et même une carte bleue avec un culot monstrueux, et quand elle demande aussi le numéro de code, c’est évidemment le fou rire dans la salle. D’autant plus que Pierre Guillois l’a dirigée au plus juste, et a sans doute veillé à l’arrêter là où il faut.
La petite revendication féministe de la fin accompagnée au piano est sans doute un peu de trop: on avait compris ses colères et ses frustrations, et ce n’était pas la peine de rajouter une cuiller de harissa à un plat déjà pimenté. Le spectacle dure une heure, c’est drôle sans être jamais vulgaire, et le temps passe très vite . Après deux heures de Nuit d’iguane lundi et deux heures de Casimir et Caroline, mardi ( voir le blog)un peu estoufadou comme on ne dit pas à Colmar, c’est une pause bien savoureuse…
A voir, oui absolument, si vous passez dans le coin, mais, attention,c’est à 18 h30 ; la bande de collégiens qui était là se sentait très proche de Nouara Naghouche, comme les spectateurs plus âgés qui ne boudaient pas non plus leur plaisir. Alors ,pour une fois que l’on rit vraiment au théâtre, n’hésitez pas.
Philippe du Vignal
Théâtre du Rond-Point jusqu’au 11 avril.