La Cerisaie (C F)

La Cerisaie

La Cerisaie devra être vendue, la Cerisaie sera vendue, la Cerisaie est vendue. On connaît son inéluctable destin, il coule comme la rivière où s’est noyé il y a longtemps le petit Grisha. Plus d’argent, Lioubov laisse couler les pièces d’or de ses doigts, les cerisiers fleurissent une dernière fois, deuil en blanc, éternelle enfance, et c‘est fini pour Gaev, l’homme enfant, et sa sœur au cœur fondant. Les autres : chacun va de son côté, les jeunes gens vers une « vie nouvelle », forcément nouvelle, le moujik Lopakhine vers son destin d’entrepreneur et d’amoureux transi, dépassé par sa propre escalade sociale ; Tchekhov règle le sort ordinaire de chacun, et laisse seul sur scène le vieux Firs, le serviteur du temps passé qui meurt avec la maison.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’on eut entendre aujourd’hui de cette « vie nouvelle », un siècle plus tard. Mais l’objet de ce billet est ailleurs.
Le génie de Tchekhov est de nous installer dans une attente qui n’a rien d’un « suspense », bien davantage du côté de l’attention, attention aux tissages humains, aux mots et aux silences qui passent entre les êtres, et les font vivre. Si les propos sont décousus, on n’est pas dans le fragment, tout se construit comme un organisme fragile, l’image la plus simple de cet organisation étant celle du jeu de billard qui obsède Gaev. Si l’on est « entre le rire et les larmes », cela ne signifie pas ni rire ni arme, mais situe la vérité du sentiment et du personnage – puisqu’il faut les appeler par leur nom – à l’instant exact du passage de l’un à l’autre, ce que Dominique Valladié sait nous donner mieux que quiconque.
En un mot, et en accord avec la critique, le travail d’Alain Françon et de son équipe – dramaturgie, scénographie…-  est d’une profondeur artistique et humaine rare, ouvrant dans le temps du théâtre de longues et belles résonances.

Christine Friedel

La Cerisaie – Théâtre National de la Colline


Archive pour 20 mars, 2009

La Cerisaie (I S G)

La Cerisaie
d’Anton Pavlovitch Tchekhov
mise en scène Alain Françon

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Lioubov Andreevna Ranevskaïa, propriétaire d’un domaine, avec une belle maison et une cerisaie revient d’un séjour à l’étranger où elle a suivi son amant qui l’a complètement ruinée. Et le domaine va devoir être mis aux enchères… Vendre  sa  belle maison et sa cerisaie : ce serait la seule  solution pour Lioubov et sa famille : son frère Gaev, Ania sa fille et Varia sa fille adoptive.

Lopakhine, fils de moujik dont Varia est amoureuse et qui semble avoir l’intention de l’épouser, est un parvenu doué en affaires et  clairvoyant, conseille à la famille de découper le domaine et de le vendre par  lotissements pour y construire des villas, projet qui redresserait sa situation économique.

  Mais pour Lioubov et les siens , la maison et la cerisaie, chargées de souvenirs, sont intouchables. Pas question de vendre. Criblée de dettes, sans pour autant se départir de sa largesse et sans savoir comment elle va payer la fête qu’elle donne, Lioubov espère une solution miracle, tant l’idée même de vendre le  domaine lui paraît absurde.
Lopakhine dont elle rejette la proposition, achète alors le domaine et , quelques mois plus tard, réalise son projet. Alors qu’on entend tomber les cerisiers  sous les coups de hache , Lioubov et son incorrigible famille quittent la maison en oubliant leur vieux domestique ; tout en pleurant leur cerisaie ,ils se consolent en rêvant à un avenir  radieux.
La Cerisaie, pièce testamentaire de Tchekhov, créée en 1904, l’année de sa mort et un an avant la Révolution, renvoie avec acuité  l’image de cette société russe en dislocation, à la fois nostalgique d’un ancien monde en train de s’effondrer mais qui rêve  de temps nouveaux et  de progrès de l’humanité, bref de ces fameux lendemains révolutionnaires qui chantent.. et qui désenchantent assez vite,  avec,  à la clef, l’utopie  puis la réalité communiste et, d’autre part,  les paradis artificiels du capitalisme. Un siècle plus tard, on se retrouve au même point que les personnages de Tchekhov, mais beaucoup moins confiants dans les temps nouveaux qui nous attendent.
Nul besoin de chercher à démontrer l’actualité de cette pièce en la transposant dans notre époque. En remontant La Cerisaie dix ans après sa mise en scène à la Comédie-Française, Alain Françon enracine avec raison son travail  dans le texte, (traduction de Françoise Morvan et d’André Markowicz),  en se référant aussi aux Cahiers de régie de Stanislavski pour la création.
On retrouve dans le décor de Jacques Gabel quelques rappels de  celui de 1904 :le mur du salon change d’aspect  entre le  premier et le  quatrième acte, puisque rideaux et tableaux  ont été enlevés,  et l’on voit un  champ, une meule de foin; et au  deuxième acte, un banc avec cette fois, deux tombes, dont on devine qu’elle sont celles du mari et du fils de Lioubov.
Le réalisme s’impose à l’évidence  dans cette mise en scène qui, loin d’être archéologique, restitue les détails les plus significatifs, y compris le samovar, du quotidien d’une époque.
Même souci du détail et de vraisemblance dans les costumes patinés par Véronique de Groër. Alain Françon s’est refusé à  transposer une  réalité  et, en conservant cette  distance temporelle, nous confronte à un monde différent mais qui ressemble aussi  au nôtre.
Pas de stylisation, pas de clichés dans sa mise en scène d’une remarquable précision , à la fois dans l’organisation du mouvement dramatique, dans la gestion du temps et du rythme. Une harmonie rare aussi dans le jeu des acteurs  dirigé  jusqu’au moindre détail, fait à la fois de rigueur et de liberté. Pas non plus d’à-priori psychologique dans cette interprétation qui  déterminerait des comportements, mais une dynamique permanente, une instantanéité des émotions, des réactions complexes et parfois contradictoires chez les personnages.

  Avec des interprètes remarquables : Dominique Valadié (Lioubov), Irina Dalle (Charlotta), Jérôme Kircher (Lopakhine), Julie Pilod (Varia), Didier Sandre (Gaev), Jean-Paul Roussillon (Firs), pour ne citer qu’eux: ils insufflent une authenticité, une fragilité, une incandescente énergie aux personnages qui s’agitent pour ne rien faire et qui fuient un  présent accablant pour l’utopie  d’un monde meilleur.
Une vision de Tchekov émancipée d’un dogmatisme théorique, des recettes, et de la rigidité d’une grille de lecture soi-disant moderne  à effets gadgets. Un théâtre qui respire et  fait confiance au texte comme au spectateur.

Irène Sadowska Guillon

La Cerisaie d’Anton Tchekhov
mise en scène d’Alain Françon
au Théâtre National de la Colline
du 17 mars aux 10 mai 2009

BALKANS’NOT DEAD

BALKANS’NOT DEAD  Théâtre de l’0pprimé

De Dejan Dukovski, mise en scène Dominique Dolmieu
Dominique Dolmieu, grand amoureux des Balkans, a créé, il y a quelques années la Maison d’Europe et d’Orient nichée passage Hennel, sous les arcades de la Bastille, minuscule abri avec une librairie bien achalandée, une maison d’édition qui a publié près d’une cinquantaine de pièces, la bibliothèque Christiane Montecot qui recense de nombreux textes. Il anime nombre de rencontres et d’échanges. Dejan Dukovski figure parmi ses premiers auteurs publiés, avec Quel est l’enfoiré qui a commencé le premier ?
Balkans’not dead, ce sont des noces de sang macédoniennes jouées  avec célérité par une troupe de 16 comédiens, dans une suite de courts tableaux sur un plateau nu, avec seulement un cadre métallique, qu’on habille en table, en lit, le déplaçant à toute vitesse. Cette fable d’une chrétienne Cveta, enlevée après le meurtre de son amant par Osman Bey un potentat local turc, amoureux d’elle à en perdre la raison et son pouvoir, ne manque pas de charme. L’engagement des comédiens pour nous conter cette histoire paraît-il authentique, survenue en 1911, est total. On ne peut pas parler de longueurs, même si le spectacle dure près de 2 heures, mais peut-être d’un excès de ruptures. Les projections sur un rideau transparent, les musiques et les éclairages contribuent à rendre ce spectacle attachant.

Edith Rappoport


Jusqu’au 29 mars Théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais.

Le canard sauvage

Le Canard sauvage d’Ibsen, mise en scène d’Yves Beaunesne.

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  Le Canard sauvage  a été écrit par Ibsen en 1884 quand il vivait encore à Rome ( il obtint une bourse et partit vivre à Rome, dramaturge  encore mal connu, où il resta presque trente ans) et il  reprend  dans cette pièce plusieurs des thèmes le plus constants de ses pièces les plus connues: Les Revenants,Rosmersholm,Solness le constructeur, Jean-Gabriel Borckmann, Quand nous nous réveillerons d’entre les morts, Brand ,Maison de poupée , Helda Gabler ou  Peer Gynt: les mariages  difficilement conclus et jamais très heureux, l’inexorable faillite du couple avec  ses conséquences pour les enfants,le crime et l’emprisonnement, les sombres histoires familiales d’argent, l’alcoolisme et la maladie mentale ou physique incurable, le suicide, le sexe, le mensonge et l’hypocrisie, le retour d’un parent ou ami fanatique, le délire religieux, les chantages divers et variés, le crime et la prison, ..Bref, ce n’est pas vraiment tout rose dans  les familles représentées par Ibsen! Qui  possédait très bien son sujet,  et pour cause!  Ses parents s’étaient séparés très vite : en effet,  son père, qui avait fait faillite, sombra dans l’alcool ; sa mère essaya de retrouver dans le mysticisme un accomplissement personnel…

  Donc , dans Le Canard sauvage, Gregers Werles, beau jeune homme, revient après un exil de plusieurs années, chez son père Haken Werles, un grossiste qui a fait fortune où il retrouve un ami d’enfance Hjalmar Hedkal ; celui-ci,  devenu photographe et futur inventeur incompris d’on ne sait trop quelle machine ,  a épousé une jeune femme ,  autrefois servante de Haken et dont il a eu une fille  Heldig, qui a  quinze ans ….Mais Haken Werles   avait arrangé vite fait  le mariage  de sa servante avec Hjalmar !
 Gregers, en quête d’absolu, est sûr que le mensonge est la pire des choses et , dans une sorte de parano, pense que les familles repartiraient d’un bon pied, si on ne leur cachait rien d’un passé pas toujours reluisant. Et  Gregers ,qui connaît le dessous des cartes, va faire comprendre à son ami que la douce et belle Heldig est en réalité la fille de Haken  Werles. Pour faire bon poids, il lui révélera aussi que le vieux père d’Edkal a été mis en prison  pour un crime commis par ce même Haken. Il a évidemment tout faux…
 Hjalmar Hedekal, accablé,  va rompre avec son épouse, et ne voudra plus revoir la petite  Heldig ; Gregers, qui n’est pas à court  d’idées naïves la persuade alors de tuer le canard sauvage blessé qu’elle a recueilli pour prouver à son « père » qu’elle l’aime beaucoup., et qu’elle a besoin de lui.Mais elle subtilisera un pistolet et , au lieu de tirer sur ce fameux canard,se tuera… Moralité: à quoi sert de vouloir traquer l’absolu et la vérité ,si c’est pour faire exploser une famille . Mieux vaut encore les hypocrisies et les mensonges les plus durs que l’explosion programmée d’une famille,  semble dire , sans le dire mais tout en le montrant bien,  le  grand Ibsen.
 Chaque famille possède son  paquet de secrets bien dissimulés  dont quelques uns de ses membres connaît au moins un petit morceau, ce qui est encore plus croustillant;, surtout quand ils ne s’enendent pas très bien… Ibsen a construit comme toujours un bon scénario ,  même si les ficelles sont parfois un peu grosses et le dénouement attendu. La pièce a un peu de mal à démarrer vraiment et son début , long comme un jour sans pain ,aurait sans aucun doute  dû être reconstruit.
 Quant à la mise en scène d’Yves Beaunesne, que dire? Cela commence plutôt mal par  la réception chez le père Werles à laquelle ne croit pas une seconde, et cela ne s’améliore guère… La direction d’acteurs laisse à désirer : chaque comédien fait son travail mais  joue à sa façon, sans qu’il y ait beaucoup d’unité dans l’interprétation… En fait ,ce qui manque à cette mise en scène sans envergure de la pièce d’Ibsen , c’est une solide dramaturgie ; il semble que Beaunesne se soit contenté de la mettre en place sans trop d’effort, et c’est tout…

  François Loriquet ( Hedkal) a de bons moments mais on n’entend ni ne comprend souvent ce qu’il dit; Judith Henry interprète le rôle de son épouse, sans grande passion et de façon assez conventionnelle, Fred Ulysse ( le père d’Hedkal)  cabotine un peu;  Freyssung, ( le grossiste) , par ailleurs excellent comédien , fait ce qu’il peut  mais tout cela laisse une impression de vieux théâtre poussiéreux, alors qu’on aurait pu faire dire bien plus à la pièce d’Ibsen . Désolé, mais  l’on s’ennuie rapidement ( et le spectacle dure plus  de deux heures sans entracte!).

  Et ce n’est pas la scénographie maladroite et laide ,à laquelle on ne peut croire un instant, qui peut aider à rattraper les choses. On pense  à ce que  Thomas Ostermeier , le metteur en scène allemand de l’admirable Maison de poupée jouée aussi à Sceaux l’an passé, aurait fait avec ses merveilleux acteurs… Dommage!
 Alors, à voir? Oui, si vous n’êtes vraiment pas, mais vraiment  pas difficile, ou que vous ayez  comme çà envie de découvrir la pièce d’Ibsen,  sinon vous pouvez vous abstenir; en tout cas, conseil d’ami:  évitez d’y  emmener votre meilleur (e) ami (e) ou d’y  inviter des lycéens, ils risquent fort d’être dégoûtés à jamais du théâtre . Par ailleurs,  il y a beaucoup d’autres bonnes  choses à voir comme ,par exemple , La Cerisaie au Théâtre de la Colline ou cette merveille qu’est  Le Pulle, opérette amorale d’Emma Dante au Théâtre du Rond-Point, que nous venons de voir et dont on vous parlera demain.

Philippe du Vignal

Théâtre Les Gémeaux  à Sceaux ,Hauts-de-Seine

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