Le Pulle
Le Pulle, opérette amorale, texte et mise en scène d’Emma Dante, sur une musique originale de Gianluca Porcu.
Emma Dante est maintenant bien connue en France et, en particulier, au Théâtre du Rond-Point où l’on avait déjà pu voir deux de ses spectacles: Mishlelle di Sant’Oliva et Vita mia en 2007 qu’on avait appréciés. Emma Dante, d’abord comédienne à Rome, est revenue à Palerme sa ville d’origine où elle a fondé sa compagnie en 1999 avec des comédiens siciliens. Sans beaucoup d’argent mais sans aucun doute avec foi et passion; peu connus au début, ses spectacles ont vite ait le tour de l’Europe et Le Pulle, qu’elle baptise « opérette amorale » , est un petit bijou: c’est une opérette au sens étymologique, c’est à dire une sorte de petit opéra dit » amoral », parce qu’elle considère que l’univers dont elle parle, celui des prostitués, n’a pas à être jugé sur le plan moral et que l’on ne doit y attacher aucune connotation péjorative.
Le spectacle est » né d’une écriture contemporaine à celle du spectacle » , dit Emma Dante quia » aidé les comédiens à générer une parole, au lieu de la prononcer », même si elle arrive avec des idées sans doute très précises sur la façon dont elle entend dérouler le fil rouge des improvisations qui mèneront à la réalisation finale. Cinq hommes et quatre femmes dont Emma Dante qui vont dire en en peu plus d’une heure la vie au quotidien de ces travestis qui arpentent le trottoir des grandes villes à la recherche du client.
Avec leurs joies et leurs malheurs, celui pour commencer de leur vie personnelle qui a souvent très mal commencé: même si on a souvent quelqus difficlutés à voir en même temps le spectacle et la traduction simultanée, on découvre pour chacun d’eux un passé misérable : grave anorexie pour l’un avec ensuite problème de surcharge pondérable qui va modifier son corps; un autre a été forcé de se travestir à douze ans pour ensuite être livré à la prostitution, etc.. moyennant un peu d’argent, un autre est né plus ou moins hermaphrodite! Bref, le passé de ces êtres qui rêvent comme de tout un chacun de mariage et de bonheur avec un compagnon, n’a jamais été simple à assumer. pas plus que leur présent fait souvent d’une vie dans un milieu où la drogue, la violence et les brutalités et humiliations des loubards comme des policiers sont leur lot de tous les jours.
Et Emma Dante met cela en scène avec beaucoup d’intelligence et de raffinement: pas grand chose sur le plateau qu’un rideau rouge à motifs et six pendrillons qui s’abattent brutalement à la fin de chaque séquence: les images sont de toute beauté: celle par exemple du début du spectacle où filles et garçons ,avec des costumes féminins , ont une sorte de voile collant sur le visage, et n’ont donc plus d’identité sexuelle repérable ,alors que l’on devine plus ou moins à la charpente du corps qu’ils n’ont pas le même sexe. Ils jouent tous avec leurs soutiens-gorges et leurs slips mais sans jamais se dénuder complètement.
Il faudrait tout citer, en, particulier ce maquillage collectif, à la fois d’un ridicule achevé et d’une subtile émotion. Il y a aussi cette scène sublime du mariage à la fin où l’un des prostitués, un peu ridicule , immense avec ses chaussures à talons aiguille, en guépière blanche avec un petit sac à main , marche sur un étroit tapis rouge de cérémonie , accompagné d’une musique d »orgue à la rencontre des autres mariées en robe blanche qui tiennent un masque assez hideux d’où se déroule une poupée gonflable munie chacune d’un sexe en érection, puis l’un d’eux finit par prendre une à une ces pauvres poupées qui se sont dégonflées , et les emporte toutes sur son dos. Cette parodie de cérémonie est à la fois drôle et profondément émouvante. et tous les comédiens possèdent une remarquable gestuelle ,dansent et chantent très bien , que ce soit en solo ou en choeur. Et tout est admirablement réglé. Grâce à la grande qualité de la musique de Gia Luca Porcu, alias Lu, en particulier quand ils interprètent les chansons en dialecte palermitain.
Avec un remarquable enchaînement ; quand on les voit sur scène, on se souvient de cette phrase magnifique de Zéami (1653-1724-: « Si la danse ne procède pas du chant, il ne peut y avoir d’émotion. L’instant précis où, à l’impression laissée par le chant, se substitue la danse, possède un pouvoir merveilleux ». Entre le Japon et l’Italie et à travers le temps, Zeami/ Emma Dante, même combat pour la beauté.
On n’aurait pas dit grand chose, si l’on ne parlait pas de la beauté de la création lumière mais surtout de la vérité et de la splendeur des costumes( signés Emma Dante) incroyables mais jamais vulgaires- j’ai assez souvent dans ces chroniques déploré la médiocrité des costumes des spectacles français mais ici, quel bonheur! La grande qualité de ce spectacle, c’est d’abord sa grande rigueur, mais aussi son intelligence de conception et son esthétique de tout premier ordre.
Emma Dante, qui chante dans le spectacle, est décidément une grande metteuse en scène. Quelle est la compagnie actuelle en France capable de créer un spectacle de ce type aussi bien construit et aussi beau? Ne répondez pas tous la fois!
Il y a bien quelques redites et certaines longueurs qui gagneraient à être élaguées. Mais Emma Dante ne triche pas et dit finalement beaucoup de choses sur la conquête de la liberté sexuelle, la notion de transgression, et les regards plus que douteux que la société continue à porter sur ses marginaux. Elle est aussi, ne mâchons pas les mots, un excellente peintre !
A regarder Le Pulle, on pense en effet aux silhouettes féminines comme masculines que réalisait dans les années 80 ,un artiste comme Bruce Nauman , aux sculptures d’ un Larry Rivers (1966), ou à ce merveilleux metteur en scène new yorkais d’origine sicilienne , John Vaccaro qui ,déjà,dans les années 60, avait mis le sexe en scène avec ses travestis en strass et paillettes qui furent imités ensuite un peu partout; un tribunal bruxellois l’avait même condamné à 300 euros d’amende pour immoralité,(dans » Cockstrong, ( 1970) » une jolie jeune femme en petite gaine et bas noirs se masturbait quelque secondes sur un coin de table et , à la fin , un gigantesque phallus éjaculait sur le public). Cela avait suffi à mettre en émoi les ligues belges de protection de la jeunesse qui avaient porté plainte, ce qui avait fait une publicité formidable au spectacle qui ,du coup, refusait du public!..
Alors à voir? Oui, absolument, sans hésitation, même s’il fait beau mais, comme il va bientôt pleuvoir, réfugiez-vous au Théâtre du Rond-Point… Mais dépêchez-vous, cela commence à être bien plein.Jean-Michel Ribes a eu raison d’inviter à nouveau Emma Dante..
Philippe Du Vignal
Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 11 avril