Le nouveau Testament

Le nouveau Testament de Sacha Guitry, mise en scène de Daniel Benoin.nouveautestamentfraichermatthey.jpg

 Petite piqûre de rappel: Sacha Guitry est né en 1885 à Saint-Petersbourg et son  père comédien l’emmena avec lui à Paris où il vécut et  mourut à Paris en 1957.

Entre temps, il fut renvoyé de  onze lycées , écrivit plus de cent pièces où il jouait en général le rôle principal et réalisa quelque trente trois films dont beaucoup étaient des adaptations de son théâtre., et quelque fresques  historiques.

  Arrêté après l’Occupation pour sympathie avec les Allemands et parce qu’il n’avait pas voulu fermer son théâtre, il resta deux mois en prison et,  jamais avare d’un bon mot ,déclara :  » Ils m’emmenèrent menottes au main à la mairie, j’ai cru qu’ils allaient me marier de force ». Il faut noter qu’il refusa toujours que ses pièces soient jouées en Allemagne et, on l’oublie souvent , obtint la liberté de Tristan Bernard et de sa femme auprès de l’occupant, ce qui, sans aucun doute possible,  leur sauva la vie. Mais  Guitry n’obtint un non-lieu qu’en 47, ce qui le rendit assez amer.
 Personnage complexe, il se maria cinq fois avec des comédiennes ou de jeunes femmes qui le devinrent, ce qui en dit long sur sur l’idée qu’il avait du mariage ,dont il disait cyniquement:  » C’est y résoudre à deux les problèmes que l’on n’aurait pas eu tout seul » et il ajoutait avec délice :  » Il faut courtiser sa femme comme si on ne l’avait jamais eue. Il faut se la prendre à soi-même ». Il eut, bien entendu, d’innombrables petites amies dont Arletty,  qui eut ce mot savoureux; « J’allais pas épouser  Sacha Guitry, il s’était épousé lui-même ».
  Effectivement  égocentriste, charmeur, grand travailleur sans en avoir l’air,  et sans doute odieux et cassant  quand il en avait envie,  il avait de curieux rapports avec les femmes  comme avec les hommes, et n’eut pas que des amis! Mais le nombre et la qualité des acteurs qui travaillèrent avec lui en dit long sur la fascination qu’il exerça. Entre autres: Eric von Stroheim, Orson Welles,, Gérard Philipe, Jean-Louis Barrault, Arletty, etc… Et  fit l’admiration des cinéastes de la Nouvelle Vague (dont François Truffault ),et de Charlie Chaplin. Mais aussi d’hommes de théâtre comme Antoine Vitez!

Inclassable Guitry! Plus de cinquante ans après sa mort , son théâtre que l’on  a souvent  traité de léger, continue à être joué régulièrement, en ce moment à Edouard VII et à Nanterre . Il y a dans son oeuvre sans doute beaucoup de pièces surévaluées comme Mon père avait raison (assez estoufadou ), ou Faisons un rêve,  dont le propos est un peu mince. Mais c’est cependant  un bon scénariste et un dialoguiste  qui sait faire les choses, et le Nouveau Testament est loin d’être une pièce mineure.
Mais Guitry,  considéré  comme un auteur de boulevard avec mots  d’auteur et répliques faciles (ce qui n’est pas totalement faux),  reste un des territoires privilégiés  du théâtre privé, et ses pièces  sont peu, voire jamais montés  dans le théâtre public. Par peur du ridicule, par ignorance?  La France est un curieux pays!

 Daniel Benoin, le directeur du  Centre dramatique de Nice n’est pas si frileux ,et c’est tant mieux ; il  avait déjà monté Quadrille de Guitry  en 1992 et il a réitèré en montant Le Nouveau Testament  en 2007 et cette fois,  en diptyque avec Faces de John Cassevetes dans un décor unique: soit une très grande scène , dotée de quelque quarante canapés  de quatre places chacun avec table basse , le public étant réparti au choix sur deux gradins bi-frontaux ou dans les canapés;  les comédiens jouent dans les allées ou assis parmi les spectateurs. Et il y a quatre écrans vidéo disposés sur chacun des  murs de la salle.
 A la vérité, c’est assez  impressionnant quand on entre; c’est en effet comme une intelligente métaphore du fameux salon bourgeois. Mais cela ne fonctionne pas vraiment , Daniel Benoin a beau répartir les scènes un peu partout , il y a  de l’injustice dans l’air, selon le côté où l’on se trouve mais c’est une injustice permanente .Et si l’on est assis dans un des foutus canapés, il y a aussi  beaucoup de choses que l’on voit mal, puisque les comédiens sont forcément de dos à un moment où à un autre; de toute façon, à une trop grande distance, on entend mal dès qu’il s’agit de conversations privées., puisque la salle dite transformable de Nanterre n’a rien d’un théâtre de poche! Disons que c’est sans doute une belle idée scénographique et visuelle  au départ mais pas à l’arrivée…  On se demande bien pourquoi  Daniel Benoin n’a pas voulu  d’une  scène frontale…
 La pièce: on est en 34, peu de temps avant le fameux 6 février  où la France faillit s’embraser quand les les gens de droite s’en prirent aux partis de gauche; cela  se passe chez un grand bourgeois, médecin de son état, le docteur Jean Marcelin  a su  que son épouse Lucie passe d’agréables moments avec le jeune fils de ses bons amis Marguerite et Adrien Worms. Attendu pour le dîner, il ne revient pas et quelqu’un-évidemment  commandité par lui, ce que le public a tout de suite compris, mais ni sa femme ni  l’amant ni ses bons amis-  confie au valet la veste du docteur, sans décliner son identité et sans dire le pourquoi du comment du retour à domicile de cette sacrée veste.
 Et, bien évidemment,  on trouve dans ses poches  une chose plutôt compromettante:  un testament ( photo plus haut) où l’on apprend qu’il lègue une forte somme à parts égales entre son épouse,  une madame Lecourtois, et une troisième: femme :  Juliette Lecourtois . Et il ajoute: l’un de ces personnes est ma fille et l’autre ma  maîtresse. Et la nouvelle secrétaire de Marcelin  que son épouse ne peut pas supporter-et qu’elle soupçonne d’être sa maîtresse -se révélera être sa fille.  Quant à madame Worms, on apprend qu’elle a aussi été la maîtresse de Jean Marcelin…
 Bref, comme le disait , à la même époque, un vieux paysan normand à un journaliste qui enquêtait  sur un crime: « De toute façon, vous ne saurez rien, tous ces gens-là ont tous couché ensemble. » Mais il n’y a pas ici  de crime et, comme est dans la  « bonne » société parisienne,  on règle ses comptes en famille et le brave docteur Marcelin choisira de tout étaler  dans une sorte de jeu de la vérité . La  leçon de morale  un peu longuette et ras les pâquerettes que Guitry se croit  obligé de nous infliger à la fin est cynique, comme lui-même devait l’être dans la vie:  » A notre âge, à notre époque et dans notre situation, nous devons considérer que tous les événement qui nous arrivent sont heureux , sinon nous n’en sortirons jamais ».
On n’est pas encore aux constats doux amers et subtils  de Catherine Millet à la fin de Jours de souffrance » (..) J e sais maintenant que chacun peut, si le regard rétrospectif ne lui fait pas peur, découvrir que son passé est vraiment un roman, et que, serait-il chargé d’épisodes douloureux, cette découverte est un bonheur ».  Le nouveau Testament, sans être un chef d’oeuvre comme le croit Benoin, est loin d’être si légère.. .
  Guitry, quand il parle de relations amoureuses, est souvent  proche de Feydeau et de Marivaux, et  les dialogues de la pièce  sont parfois ciselés  du genre:  » Ce qui fait rester les femmes, c’est la peur qu’on soit vite consolé de leur départ »  Une femme  qui s’en va avec son amant n’abandonne pas son mari, elle le débarrasse d’une femme infidèle ». Plus les homme sont intelligents, moins ils sont malins ».  » Ceux qui n’ont pas droit au bonheur, n’ont pas non plus  droit au malheur ». D’accord, ce n’est pas du Confucius mais enfin…
   En revanche, mieux  vaut oublier les jeux de mots un peu trop faciles comme : »Je la trouve un peu voyante/ – Tu as peur qu’elle te prédise l’avenir » ou   » Si elle est en grand deuil, ce n’est pas urgent, je ne peux plus rien faire pour elle ». La pièce ne repose heureusement pas que  sur ces mots d’auteur, même si Guitry adore en parsemer  son théâtre.
 Daniel Benoin  a préféré garder un air d’époque à la pièce,  encore que les costumes ne sont en rien 1930, et il cède à la manie actuelle, en se croyant  obligé de nous rappeler la situation politique et sociale vue par les actualités de l’époque .Si Guitry n’y fait aucune allusion, alors grands Dieux, pourquoi le faire?  Bon, cela fait, toujours plaisir de voir des images que l’on voit peu  mais casse le rythme déjà un peu lent.Il y a aussi cette idée aussi sotte que grenue, comme disait autrefois Olivier Revault d’Allonnes  dans ses cours,  d’imager  certaines répliques; exemple: quand on croit le docteur Marcelin mort, on le voit étendu dans l’herbe sur les écrans. Ce qui est bien naïf et, en tout cas, ne sert rigoureusement à rien.
A ces réserves  près, la mise en scène ,  dans cet ovni scénographique, représente un pari dont  Daniel Benoin  sort plutôt gagnant, même si un peu plus de rythme , surtout pendant la dernière demi-heure, ne serait pas du tout  un luxe , et c’est un euphémisme,  mais comment faire quand les comédiens doivent parcourir sans arrêt des dizaines de mètres pour circuler entre  tous ces canapés; la scénographie adoptée tient quand même du gadget… Pourquoi faire simple avec une belle et vraie scène frontale, bien adaptée aux intrigues à la Guitry, quand on peut faire bling bling et un peu tape-à-l’oeil, avec cette grande surface mal adaptée au propos… Moralité: quand on aime les gadgets, cela peut vous retomber dessus!
Mais c’est vraiment réjouissant  de voir l’excellent François Marthouret ( Marcelin )qu’on a vu davantage dans un type de théâtre plus sérieux , chez Brook ou ailleurs, ainsi que Marie-France Pisier ( Lucie Marcelin) qui est plus une habituée des plateaux de cinéma. mais tous les autres rôles sont bien tenus  , et  le dialogue au début entre  le valet ( Jacques Bellay) et Jean Marcelin annonce, en aussi loufoque et aussi comique, La Cantatrice chauve d’Eugène  Ionesco.

 A voir? Oui,  ce n’est pas pas encore une fois ni LA pièce ni LA  mise en scène de l’année mais ce Nouveau testament, fait passer une bonne soirée, surtout après les atrocités de la guerre racontée à Bobigny comme à Confluences en solo d’une heure interminable : ce sera pour demain lundi.
 . Et, si vous ne connaissez pas Guitry- personne n’est parfait- vous découvrirez un auteur plus fin et moins boulevardier que sa réputation  pouvait le faire craindre. On attend avec impatience le second volet de ce diptyque, Faces de Cassavetes , dans ce même décor aux quarante canapés.

Philippe du Vignal

Théâtre Nanterre Amandiers jusqu’au 5 avril et Faces a lieu le 4 avril et du 7 au 11 avril.


Archive pour 22 mars, 2009

Ces tristes lieux, pourquoi faut-il que tu y entres ?

Ces tristes lieux, pourquoi faut-il que tu y entres ?
(pitié, redondance et considération tragique)
d’Howard Barker
photographies d’Eduardo Houth
traduit et postfacé par Daniel Loyaza

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  Il s’agit d’une commande d’un ouvrage original faite à Howard Barker par le Théâtre de l’Odéon pour la collection fondée par Olivier Py : brève initiation au théâtre d’Howard Barker, à son univers d’homme et d’artiste qui croise la création du poète, du peintre et de l’homme de théâtre.Dans laa première partie : une cinquantaine de réflexions aphoristiques sur le théâtre et dans la seconde : un tableau dramatique extrait d’une pièce inédite Un couteau blessé. Ce qui offre un  échantillons de deux registres de son écriture.
Le livre est  illustré par une dizaine de  photographies inédites d’Eduardo Houth, collaborateur et ami de Barker, réalisées chacune à l’occasion d’un spectacle de l’écrivain.
Cette vingtaine de pages d’aphorismes où Barker revient avec ironie et humour caustique sur des thèmes récurrents de son œuvre : le tragique, le secret, le sacrifice, le théâtre de la catastrophe, le visage etc… est une sorte de poème en prose traversé d’images leitmotifs, rappelant des haïku.« En Utopie il n’y a pas de police. Pour le dire autrement, en Utopie,  tout un chacun est policier. » « En ce lieu il est interdit de faire l’amour, c’est donc l’endroit où nous devons certainement le faire. Mais vois, d’autres nous ont précédé ici ! Aussitôt le charme se dissipe. La passion n’est rien si elle n’est transgression. Mais nous serons bientôt à court de règles. La perspective atterrante de la Tolérance Absolue… » « L’art est un irritant qui s’ouvre à la pensée qui n’est pas autorisée et à l’inconscient qui a été aboli. »
Dans l’extrait  du Couteau blessé, on retrouve, traité sur un  mode concis et ironique, les thèmes barkeriens : crime, pitié, manipulation, logique du châtiment et de la justice. Une vraie perle de lucidité et de liberté intellectuelle, et il y a un excellent éclairage sur son  oeuvre  dans  la postface de Daniel Loyaza « Troubles secrets. Notes liminaires sur Howard Barker. » Une analyse très fouillée et accessible de la conception barkerienne du théâtre et de sa fonction, de son rapport à l’histoire, aux mythes, au tragique, de son refus de subordination à un rôle social, politique, esthétique, à toute fonction qui priverait le théâtre de l’autonomie qui lui est nécessaire pour déployer ses effets propres.
La postface est complétée par des notes, des repères biographiques et des éléments bibliographiques.
Un ouvrage tonique d’intelligence exaltante, qui tient de Montaigne et de Nietzsche, un antidote salvateur à la bêtise, à la mesquinerie intellectuelle et à la lâcheté consensuelle environnantes. Un livre à lire et à relire tous les jours.

Irène Sadowska Guillon

Ces tristes lieux, pourquoi faut-il que tu y entres ?
De Howard Barker
Co-édition Théâtre de l’Odéon et Actes Sud
88 pages, 10 €

Sables et soldats

Sables et soldats, écrit et mis en scène par Oriza Hirata

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Il y a dix ans, on découvrait en France le théâtre d’Oriza Hirata (né en 1962 à Tokyo) avec Tokyo notes, sélectionnée par le Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis dans le cadre de son opération:  Découverte des auteurs de pays participant à la Coupe du Monde de football en 1998.
Depuis Oriza Hirata a fait du chemin en France et plusieurs de ses pièces (Tokyo notes, Gens de Séoul, Nouvelles du plateau S., Chants d’adieu, etc.) ont été montées entre autre par Frédéric Fisbach, Arnaud Meunier, Laurent Gutmann.

Auteur et metteur en scène, Oriza Hirata est l’inventeur d’une écriture dramatique et d’une pratique scénique «le théâtre tranquille» qu’il met en œuvre dans les années 1990 avec sa compagnie Seinendan à Agora, son lieu à Tokyo. Ce «théâtre tranquille» se caractérise par  un style parlé et l’exploration du calme de la vie quotidienne, et de sa complexité temporelle.
La structure des pièces d’Oriza Hirata s’apparente à des haïkus : pas d’intrigue mais plusieurs thèmes lancés simultanément dans les conversations des personnages qui se croisent et se développent sur le mode musical et symphonique, comme une partition.
Une collaboration et une complicité artistiques lient depuis quelques années Oriza Hirata et Pascal Rambert qui accueille en ce moment  à Gennevilliers la création en France de Sables et soldats.
La pièce, écrite en 2004 et créée  l’année suivante à Tokyo, a été réécrite, et traduite par Rose-Marie Makino et jouée en français par des acteurs français et japonais. Elle s’inspire du roman d’Ashishei Hino Le blé et les soldats  qui a pour thème la guerre sans espoir ni raison entre Chine et Japon en 1894, où l’armée japonaise marchait dans de vastes champs de blé. Oriza Hirata réagit dans Sables et soldats à l’envoi de forces défensives  de son pays en Irak. En donnant  aussi à cette opération, une dimension universelle, il met en évidence l’absurdité des existences humaines sur les champs de bataille.
Mais dans cette version française de Sables et soldats  Oriza Hirata identifie les soldats marchant dans le désert, comme des Français face aux «soldats ennemis» anonymes. Mais c’est inutile et réducteur: on devine tout de suite qu’il s’agit de l’Afghanistan ou peut-être du Liban ! Quid de l’universalité ?
Donc ces soldats envoyés faire une guerre qui ne les concerne pas, marchent interminablement dans le désert. Le dernier salon où l’on cause avec des conversations improbables qui vont se succéder entre  militaires obligés de marcher et civils de passage : un père et sa fille à la recherche de sa femme, un couple en voyage de noces, etc. Drôle d’idée de choisir le désert et de surcroît un champ de bataille pour son voyage de noces. À moins qu’il ne leur soit offert par une ONG. généreuse… Passons: les inepties ne manquent pas ici.
Un plateau couvert de sable, traversé en diagonale par une sorte de piste, avec au fond des  châssis bleus de hauteur différente, et représentant le ciel; et au-dessus du plateau sont suspendus un sac de sable et un fusil.
Sur ce théâtre de guerre apparaissent tour à tour un officier et deux soldats français, dont une femme qui vient chercher son mari, un père avec sa fille cherchant la mère, le couple en voyage de noces et deux soldats «ennemis» joués par un acteur et une actrice japonais. Le trajet des soldats français et des civils se fait systématiquement du fond du plateau vers l’avant, celui des ennemis  en sens inverse.
Ils se traînent dans le sable, crapahutent, se levant cependant pour converser, alors que les civils traversent le plateau debout. Il y a peut-être une explication logique à cela :  les uns se cachentdes ennemis et les autres se promènent comme dans un parc ?
Les soldats sont en tenue militaire de camouflage un peu différent pour les Français et les ennemis, tous avec leur équipement et leurs armes. Les civils eux sont dans des tenues normales, plus ou moins adaptées aux promenades dans le désert.
Conversations intimes de la vie quotidienne : la mère parle du soldat féminin français qui se remarie, des détails sur les boîtes de conserve, etc.-et là  cela devient intéressant, même intriguant!- sont repris plus tard sous une forme décalée, par exemple la mère du soldat féminin qui se remarie est remplacée par le père qui vient d’acheter un chien, et le prénom et le nom du mari recherché par sa femme changent à plusieurs reprises. Ce procédé intéressant jette la suspicion sur les propos et les identités des personnages; sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent être ? Ou peut-être des espions ennemis infiltrés. Mais ces petits  suspenses n’arrivent pourtant pas à donner un peu de goût à cette soupe insipide, répétitive, et manquant de vraisemblance.Et  distillée goutte-à-goutte avec une lenteur insoutenable.

Oriza Hirata surpasse ici Claude Regy en étirant les répliques par des silences allongés, des pauses incompréhensibles entre les phrases et même à l’intérieur des phrases. À ce rythme là c’est à la Guerre de  Cent ans qu’on a affaire.Bref la pièce qui dure ici deux heures, serait sans doute plus pertinente en une heure et nous éviterait des bâillements! Dommage car le théâtre singulier d’Oriza Hirata est en soi intéressant et nous en avons vu en France quelques belles mises en scène de ses pièces.

Irène Sadowska-Guillon

Théâtre de Gennevilliers (Seine Saint-Denis), du 18 mars au 11 avril.

 Le texte comme tous ceux d’Oriza Hirata traduits en français, est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

 

SABLES ET SOLDATS

SABLES ET SOLDATS. Théâtre de Gennevilliers  Ecrit et mis en scène par Oriza Hirata, scénographie Itaru Sugiyama

     Sables et soldats, c’est une longue, longue marche de 2 heures de 11 personnages qui tournent en rond dans le désert. D’abord 3 soldats armés lourdement chargés, armés de mitraillettes en plastique, un père et sa fille à la recherche de la mère disparue, 2 japonais armés plutôt inquiétants, et un jeune couple en voyage de noces et une jeune femme en robe blance et chaussures à talon qui cherche son mari enrôlé dans l’armée. Ils tournent en rond dans le bel espace sableux installé sur une immense bâche suspendue, sans but sinon d’arriver dans les 2 heures, « il n ‘y a pas de destination vers laquelle vous vous dirigez », « je cherche un mari qui ne se trouve nulle part », « notre mission n’est pas de nous battre, c’est marcher » ! Tiré d’un roman japonais oublié Le blé et les soldats », ce spectacle nous fait éprouver un temps infini qui figure le bourbier humain dans lequel nous sommes enlisés. J’en ai éprouvé toute la pesanteur, sans toutefois pouvoir décrocher du spectacle qui me laisse des images tenaces. C’était mon premier retour au Théâtre de Gennevilliers, devenu branché sous la direction du jeune Pascal Rambert depuis le départ de Sobel, avec un vaste accueil peuplé de grands ordinateurs, des tables en bois blanc et un grand bar, une immense banque d’accueil. C’est à présent un « Centre dramatique national de création contemporaine ». No comment !

Edith Rappoport 

La Rosa Blanca

La Rosa Blanca
Tragédie mexicaine
Monologue de Maryse Aubert , inspiré du roman de B. Traven, mis en scène par Adel Hakim
.

rosablanca2.jpg  La littérature mexicaine était à l’honneur au Salon du Livre à Paris et Adel Hakim et Maryse Aubert nous font découvrir l’œuvre d’un écrivain énigmatique B. Traven, enracinée  dans le terroir mexicain. On ne connaît pas la véritable identité de B. Traven (né en 1890 à Chicago) devenu de son vivant une légende que l’écrivain lui-même autant que ses proches alimentaient par des versions différentes, voire contradictoires de  sa biographie. Tout porte à croire qu’il fut engagé dans des mouvements révolutionnaires de tendance anarchiste et qu’il  participa à la Révolution Spartakiste en Allemagne réprimée dans le sang en 1919
Américain, il a écrit ses œuvres les plus importantes en allemand et les a publié sous de nombreux pseudonymes, en Allemagne dans les années 20 à 30. Arrivé au Mexique dans les années 1920, naturalisé Mexicain en 1951, il y a vécu jusqu’à sa mort en 1969. Les secousses socio-politiques que vécut le pays  au début du XX ème siècle, l’exploitation et la spoliation du peuple, l’avènement du néocapitalisme, tiennent une place centrale dans ses œuvres.
La Rosa Blanca se passe dans l’État de Vera Cruz  et à San Francisco en Californie, dans les années 1920: c’est  la ruée vers l’or noir des grandes compagnies pétrolières américaines qui dépouillent les paysans mexicains de leurs terres. Ainsi la hacienda La Rosa Blanca qui  appartient  à l’indien Yacinto Yañez, dernier bastion agricole d’Indiens Huastèques au milieu des champs pétrolifères, est-elle convoitée par l’ambitieux et dynamique Chaney Collins, président de la Condor Oil, à l’appétit financier et sexuel démesuré. Dès lors  ce sera une lutte acharnée entre deux visions du monde : la tradition ancestrale de la vie, de la culture du maïs contre  la logique du capitalisme moderne, la loi du profit, l’économie de marché, qui va s’engager entre Yacinto Yañez et le puissant Chaney Collins.
Évitant l’écueil du documentaire mais en se basant sur des faits précis, Maryse Aubert construit le monologue qu’elle a adapté du roman de B. Traven sur l’affrontement des deux protagonistes : Yacinto Yañez et sa communauté indienne enracinée profondément dans la terre ancestrale et Chaney Collins avec ses acolytes, requins de la finance, de l’industrie pétrolière, ses goûts de luxe et ses nombreuses maîtresses.
Le récit, conçu comme un théâtre, comprend des scènes dialoguées avec divers personnages représentatifs de la société de l’ époque, intervenant dans cette tragédie : avocat, gouverneur de l’État de Vera Cruz, agents , collaborateurs et maîtresses de Collins, métis rallié aux Américains dans l’espoir du gain, secrétaire . Le tout se déroule au gré des intrigues sordides auxquelles Yañez répond par une résistance sans faille . Mais, piégé par son respect de la tradition de l’hospitalité, il se fait attirer seul chez Collins à San Francisco et  est  exécuté par ses sbires.

Au travers de ce duel à mort deux mondes s’opposent, inconciliables : celui,  archaïque du travail pénible et artisanal de la terre et du partage de ses fruits, de l’égalité sociale, de l’attachement conservateur à la tradition, voué à disparaître, et celui du progrès technique, de la consommation, mais aussi de la concurrence et de l’exploitation impitoyables qui s’imposeront inéluctablement.   Sans qu’on puisse reprocher un quelconque manichéisme au texte de Maryse Aubert, elle ne dissimule guère une certaine antipathie pour le monde de Collins qu’elle a  traité avec un humour grinçant. Mais peut-il en être autrement au vu du désastre auquel nous a mené aujourd’hui le capitalisme ?  La mise en scène impeccable d’Adel Hakim est  inscrite dans un espace où l’on voit l’ infiltration progressive, jusqu’à l’absorption définitive, d’un monde par l’autre.

Une table de chaque côté marque le territoire de chacun des protagonistes, avec, au centre une chaise: l’ espace est totalement habité par Maryse Aubert, interprète fabuleuse qui, avec grâce, énergie et agilité,  esquisse juste avec quelques  gestes, des situations  où, comme par magie, sans jamais changer d’apparence, elle fait advenir de multiples personnages.

  Elle possède une belle maîtrise  du jeu, dans le récit dramatisé tenant de l’art du conteur, qui se déploie dans un  dialogue aux  tons, émotions, intensités vocales,très variés, avec un accent  hispanisant ou américanisant, sans jamais donner dans la caricature facile. Avec une aisance étonnante, elle passe de la bonhomie et  de la naïveté tragique comme de la résistance  têtue de Yañez , à l’insistance séductrice puis menaçante, au calcul froid, à l’irritation et à la détermination prédatrice de Collins et de ses agents, mais aussi  à la frivolité, à la bêtise et l’avidité de ses maîtresses avides de luxe, enfin au langage astucieux du gouverneur qui protège Yañez .Elle adopte aussi la voix cupide et rusée du métis qui trahira l’Indien résistant pour une poignée de dollars. Mais le tragique est toujours tenu à distance par l’humour et la lucidité d’un regard décalé.

Pas de redondance entre le jeu et le texte qui est juste souligné  parfois par une geste ou  une image, comme, par exemple, celle de l’assassinat de Yañez que Maryse Aubert représente en  manipulant un petit personnage qu’écrase une voiture miniature. Quelques bouffées musicales : jazz, musiques festives et populaires mexicaines, traversent l’espaceen lui imprimant une couleur particulière. La progression dramatique, la succession de tensions, le rythme très tenu, l’enchaînement des situations sur le mode d’un film policier: on est tenu en haleine tout au long du spectacle. Une preuve encore qu’on peut faire du grand théâtre avec peu de moyens et beaucoup de talent. À voir absolument. Pas d’excuses pour ceux qui  manqueront le spectacle…

Irène Sadowska Guillon

La Rosa Blanca,
tragédie mexicaine
d’après B. Traven
Mise en scène d’Adel Hakim
Au Théâtre Artistic Athévains
du 20 du 16 mars aux 19 avril 2009

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