Le nouveau Testament
Le nouveau Testament de Sacha Guitry, mise en scène de Daniel Benoin.
Petite piqûre de rappel: Sacha Guitry est né en 1885 à Saint-Petersbourg et son père comédien l’emmena avec lui à Paris où il vécut et mourut à Paris en 1957.
Entre temps, il fut renvoyé de onze lycées , écrivit plus de cent pièces où il jouait en général le rôle principal et réalisa quelque trente trois films dont beaucoup étaient des adaptations de son théâtre., et quelque fresques historiques.
Arrêté après l’Occupation pour sympathie avec les Allemands et parce qu’il n’avait pas voulu fermer son théâtre, il resta deux mois en prison et, jamais avare d’un bon mot ,déclara : » Ils m’emmenèrent menottes au main à la mairie, j’ai cru qu’ils allaient me marier de force ». Il faut noter qu’il refusa toujours que ses pièces soient jouées en Allemagne et, on l’oublie souvent , obtint la liberté de Tristan Bernard et de sa femme auprès de l’occupant, ce qui, sans aucun doute possible, leur sauva la vie. Mais Guitry n’obtint un non-lieu qu’en 47, ce qui le rendit assez amer.
Personnage complexe, il se maria cinq fois avec des comédiennes ou de jeunes femmes qui le devinrent, ce qui en dit long sur sur l’idée qu’il avait du mariage ,dont il disait cyniquement: » C’est y résoudre à deux les problèmes que l’on n’aurait pas eu tout seul » et il ajoutait avec délice : » Il faut courtiser sa femme comme si on ne l’avait jamais eue. Il faut se la prendre à soi-même ». Il eut, bien entendu, d’innombrables petites amies dont Arletty, qui eut ce mot savoureux; « J’allais pas épouser Sacha Guitry, il s’était épousé lui-même ».
Effectivement égocentriste, charmeur, grand travailleur sans en avoir l’air, et sans doute odieux et cassant quand il en avait envie, il avait de curieux rapports avec les femmes comme avec les hommes, et n’eut pas que des amis! Mais le nombre et la qualité des acteurs qui travaillèrent avec lui en dit long sur la fascination qu’il exerça. Entre autres: Eric von Stroheim, Orson Welles,, Gérard Philipe, Jean-Louis Barrault, Arletty, etc… Et fit l’admiration des cinéastes de la Nouvelle Vague (dont François Truffault ),et de Charlie Chaplin. Mais aussi d’hommes de théâtre comme Antoine Vitez!
Inclassable Guitry! Plus de cinquante ans après sa mort , son théâtre que l’on a souvent traité de léger, continue à être joué régulièrement, en ce moment à Edouard VII et à Nanterre . Il y a dans son oeuvre sans doute beaucoup de pièces surévaluées comme Mon père avait raison (assez estoufadou ), ou Faisons un rêve, dont le propos est un peu mince. Mais c’est cependant un bon scénariste et un dialoguiste qui sait faire les choses, et le Nouveau Testament est loin d’être une pièce mineure.
Mais Guitry, considéré comme un auteur de boulevard avec mots d’auteur et répliques faciles (ce qui n’est pas totalement faux), reste un des territoires privilégiés du théâtre privé, et ses pièces sont peu, voire jamais montés dans le théâtre public. Par peur du ridicule, par ignorance? La France est un curieux pays!
Daniel Benoin, le directeur du Centre dramatique de Nice n’est pas si frileux ,et c’est tant mieux ; il avait déjà monté Quadrille de Guitry en 1992 et il a réitèré en montant Le Nouveau Testament en 2007 et cette fois, en diptyque avec Faces de John Cassevetes dans un décor unique: soit une très grande scène , dotée de quelque quarante canapés de quatre places chacun avec table basse , le public étant réparti au choix sur deux gradins bi-frontaux ou dans les canapés; les comédiens jouent dans les allées ou assis parmi les spectateurs. Et il y a quatre écrans vidéo disposés sur chacun des murs de la salle.
A la vérité, c’est assez impressionnant quand on entre; c’est en effet comme une intelligente métaphore du fameux salon bourgeois. Mais cela ne fonctionne pas vraiment , Daniel Benoin a beau répartir les scènes un peu partout , il y a de l’injustice dans l’air, selon le côté où l’on se trouve mais c’est une injustice permanente .Et si l’on est assis dans un des foutus canapés, il y a aussi beaucoup de choses que l’on voit mal, puisque les comédiens sont forcément de dos à un moment où à un autre; de toute façon, à une trop grande distance, on entend mal dès qu’il s’agit de conversations privées., puisque la salle dite transformable de Nanterre n’a rien d’un théâtre de poche! Disons que c’est sans doute une belle idée scénographique et visuelle au départ mais pas à l’arrivée… On se demande bien pourquoi Daniel Benoin n’a pas voulu d’une scène frontale…
La pièce: on est en 34, peu de temps avant le fameux 6 février où la France faillit s’embraser quand les les gens de droite s’en prirent aux partis de gauche; cela se passe chez un grand bourgeois, médecin de son état, le docteur Jean Marcelin a su que son épouse Lucie passe d’agréables moments avec le jeune fils de ses bons amis Marguerite et Adrien Worms. Attendu pour le dîner, il ne revient pas et quelqu’un-évidemment commandité par lui, ce que le public a tout de suite compris, mais ni sa femme ni l’amant ni ses bons amis- confie au valet la veste du docteur, sans décliner son identité et sans dire le pourquoi du comment du retour à domicile de cette sacrée veste.
Et, bien évidemment, on trouve dans ses poches une chose plutôt compromettante: un testament ( photo plus haut) où l’on apprend qu’il lègue une forte somme à parts égales entre son épouse, une madame Lecourtois, et une troisième: femme : Juliette Lecourtois . Et il ajoute: l’un de ces personnes est ma fille et l’autre ma maîtresse. Et la nouvelle secrétaire de Marcelin que son épouse ne peut pas supporter-et qu’elle soupçonne d’être sa maîtresse -se révélera être sa fille. Quant à madame Worms, on apprend qu’elle a aussi été la maîtresse de Jean Marcelin…
Bref, comme le disait , à la même époque, un vieux paysan normand à un journaliste qui enquêtait sur un crime: « De toute façon, vous ne saurez rien, tous ces gens-là ont tous couché ensemble. » Mais il n’y a pas ici de crime et, comme est dans la « bonne » société parisienne, on règle ses comptes en famille et le brave docteur Marcelin choisira de tout étaler dans une sorte de jeu de la vérité . La leçon de morale un peu longuette et ras les pâquerettes que Guitry se croit obligé de nous infliger à la fin est cynique, comme lui-même devait l’être dans la vie: » A notre âge, à notre époque et dans notre situation, nous devons considérer que tous les événement qui nous arrivent sont heureux , sinon nous n’en sortirons jamais ».
On n’est pas encore aux constats doux amers et subtils de Catherine Millet à la fin de Jours de souffrance » (..) J e sais maintenant que chacun peut, si le regard rétrospectif ne lui fait pas peur, découvrir que son passé est vraiment un roman, et que, serait-il chargé d’épisodes douloureux, cette découverte est un bonheur ». Le nouveau Testament, sans être un chef d’oeuvre comme le croit Benoin, est loin d’être si légère.. .
Guitry, quand il parle de relations amoureuses, est souvent proche de Feydeau et de Marivaux, et les dialogues de la pièce sont parfois ciselés du genre: » Ce qui fait rester les femmes, c’est la peur qu’on soit vite consolé de leur départ » Une femme qui s’en va avec son amant n’abandonne pas son mari, elle le débarrasse d’une femme infidèle ». Plus les homme sont intelligents, moins ils sont malins ». » Ceux qui n’ont pas droit au bonheur, n’ont pas non plus droit au malheur ». D’accord, ce n’est pas du Confucius mais enfin…
En revanche, mieux vaut oublier les jeux de mots un peu trop faciles comme : »Je la trouve un peu voyante/ – Tu as peur qu’elle te prédise l’avenir » ou » Si elle est en grand deuil, ce n’est pas urgent, je ne peux plus rien faire pour elle ». La pièce ne repose heureusement pas que sur ces mots d’auteur, même si Guitry adore en parsemer son théâtre.
Daniel Benoin a préféré garder un air d’époque à la pièce, encore que les costumes ne sont en rien 1930, et il cède à la manie actuelle, en se croyant obligé de nous rappeler la situation politique et sociale vue par les actualités de l’époque .Si Guitry n’y fait aucune allusion, alors grands Dieux, pourquoi le faire? Bon, cela fait, toujours plaisir de voir des images que l’on voit peu mais casse le rythme déjà un peu lent.Il y a aussi cette idée aussi sotte que grenue, comme disait autrefois Olivier Revault d’Allonnes dans ses cours, d’imager certaines répliques; exemple: quand on croit le docteur Marcelin mort, on le voit étendu dans l’herbe sur les écrans. Ce qui est bien naïf et, en tout cas, ne sert rigoureusement à rien.
A ces réserves près, la mise en scène , dans cet ovni scénographique, représente un pari dont Daniel Benoin sort plutôt gagnant, même si un peu plus de rythme , surtout pendant la dernière demi-heure, ne serait pas du tout un luxe , et c’est un euphémisme, mais comment faire quand les comédiens doivent parcourir sans arrêt des dizaines de mètres pour circuler entre tous ces canapés; la scénographie adoptée tient quand même du gadget… Pourquoi faire simple avec une belle et vraie scène frontale, bien adaptée aux intrigues à la Guitry, quand on peut faire bling bling et un peu tape-à-l’oeil, avec cette grande surface mal adaptée au propos… Moralité: quand on aime les gadgets, cela peut vous retomber dessus!
Mais c’est vraiment réjouissant de voir l’excellent François Marthouret ( Marcelin )qu’on a vu davantage dans un type de théâtre plus sérieux , chez Brook ou ailleurs, ainsi que Marie-France Pisier ( Lucie Marcelin) qui est plus une habituée des plateaux de cinéma. mais tous les autres rôles sont bien tenus , et le dialogue au début entre le valet ( Jacques Bellay) et Jean Marcelin annonce, en aussi loufoque et aussi comique, La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco.
A voir? Oui, ce n’est pas pas encore une fois ni LA pièce ni LA mise en scène de l’année mais ce Nouveau testament, fait passer une bonne soirée, surtout après les atrocités de la guerre racontée à Bobigny comme à Confluences en solo d’une heure interminable : ce sera pour demain lundi.
. Et, si vous ne connaissez pas Guitry- personne n’est parfait- vous découvrirez un auteur plus fin et moins boulevardier que sa réputation pouvait le faire craindre. On attend avec impatience le second volet de ce diptyque, Faces de Cassavetes , dans ce même décor aux quarante canapés.
Philippe du Vignal
Théâtre Nanterre Amandiers jusqu’au 5 avril et Faces a lieu le 4 avril et du 7 au 11 avril.