La Rosa Blanca
La Rosa Blanca
Tragédie mexicaine
Monologue de Maryse Aubert , inspiré du roman de B. Traven, mis en scène par Adel Hakim.
La littérature mexicaine était à l’honneur au Salon du Livre à Paris et Adel Hakim et Maryse Aubert nous font découvrir l’œuvre d’un écrivain énigmatique B. Traven, enracinée dans le terroir mexicain. On ne connaît pas la véritable identité de B. Traven (né en 1890 à Chicago) devenu de son vivant une légende que l’écrivain lui-même autant que ses proches alimentaient par des versions différentes, voire contradictoires de sa biographie. Tout porte à croire qu’il fut engagé dans des mouvements révolutionnaires de tendance anarchiste et qu’il participa à la Révolution Spartakiste en Allemagne réprimée dans le sang en 1919
Américain, il a écrit ses œuvres les plus importantes en allemand et les a publié sous de nombreux pseudonymes, en Allemagne dans les années 20 à 30. Arrivé au Mexique dans les années 1920, naturalisé Mexicain en 1951, il y a vécu jusqu’à sa mort en 1969. Les secousses socio-politiques que vécut le pays au début du XX ème siècle, l’exploitation et la spoliation du peuple, l’avènement du néocapitalisme, tiennent une place centrale dans ses œuvres.
La Rosa Blanca se passe dans l’État de Vera Cruz et à San Francisco en Californie, dans les années 1920: c’est la ruée vers l’or noir des grandes compagnies pétrolières américaines qui dépouillent les paysans mexicains de leurs terres. Ainsi la hacienda La Rosa Blanca qui appartient à l’indien Yacinto Yañez, dernier bastion agricole d’Indiens Huastèques au milieu des champs pétrolifères, est-elle convoitée par l’ambitieux et dynamique Chaney Collins, président de la Condor Oil, à l’appétit financier et sexuel démesuré. Dès lors ce sera une lutte acharnée entre deux visions du monde : la tradition ancestrale de la vie, de la culture du maïs contre la logique du capitalisme moderne, la loi du profit, l’économie de marché, qui va s’engager entre Yacinto Yañez et le puissant Chaney Collins.
Évitant l’écueil du documentaire mais en se basant sur des faits précis, Maryse Aubert construit le monologue qu’elle a adapté du roman de B. Traven sur l’affrontement des deux protagonistes : Yacinto Yañez et sa communauté indienne enracinée profondément dans la terre ancestrale et Chaney Collins avec ses acolytes, requins de la finance, de l’industrie pétrolière, ses goûts de luxe et ses nombreuses maîtresses.
Le récit, conçu comme un théâtre, comprend des scènes dialoguées avec divers personnages représentatifs de la société de l’ époque, intervenant dans cette tragédie : avocat, gouverneur de l’État de Vera Cruz, agents , collaborateurs et maîtresses de Collins, métis rallié aux Américains dans l’espoir du gain, secrétaire . Le tout se déroule au gré des intrigues sordides auxquelles Yañez répond par une résistance sans faille . Mais, piégé par son respect de la tradition de l’hospitalité, il se fait attirer seul chez Collins à San Francisco et est exécuté par ses sbires.
Au travers de ce duel à mort deux mondes s’opposent, inconciliables : celui, archaïque du travail pénible et artisanal de la terre et du partage de ses fruits, de l’égalité sociale, de l’attachement conservateur à la tradition, voué à disparaître, et celui du progrès technique, de la consommation, mais aussi de la concurrence et de l’exploitation impitoyables qui s’imposeront inéluctablement. Sans qu’on puisse reprocher un quelconque manichéisme au texte de Maryse Aubert, elle ne dissimule guère une certaine antipathie pour le monde de Collins qu’elle a traité avec un humour grinçant. Mais peut-il en être autrement au vu du désastre auquel nous a mené aujourd’hui le capitalisme ? La mise en scène impeccable d’Adel Hakim est inscrite dans un espace où l’on voit l’ infiltration progressive, jusqu’à l’absorption définitive, d’un monde par l’autre.
Une table de chaque côté marque le territoire de chacun des protagonistes, avec, au centre une chaise: l’ espace est totalement habité par Maryse Aubert, interprète fabuleuse qui, avec grâce, énergie et agilité, esquisse juste avec quelques gestes, des situations où, comme par magie, sans jamais changer d’apparence, elle fait advenir de multiples personnages.
Elle possède une belle maîtrise du jeu, dans le récit dramatisé tenant de l’art du conteur, qui se déploie dans un dialogue aux tons, émotions, intensités vocales,très variés, avec un accent hispanisant ou américanisant, sans jamais donner dans la caricature facile. Avec une aisance étonnante, elle passe de la bonhomie et de la naïveté tragique comme de la résistance têtue de Yañez , à l’insistance séductrice puis menaçante, au calcul froid, à l’irritation et à la détermination prédatrice de Collins et de ses agents, mais aussi à la frivolité, à la bêtise et l’avidité de ses maîtresses avides de luxe, enfin au langage astucieux du gouverneur qui protège Yañez .Elle adopte aussi la voix cupide et rusée du métis qui trahira l’Indien résistant pour une poignée de dollars. Mais le tragique est toujours tenu à distance par l’humour et la lucidité d’un regard décalé.
Pas de redondance entre le jeu et le texte qui est juste souligné parfois par une geste ou une image, comme, par exemple, celle de l’assassinat de Yañez que Maryse Aubert représente en manipulant un petit personnage qu’écrase une voiture miniature. Quelques bouffées musicales : jazz, musiques festives et populaires mexicaines, traversent l’espaceen lui imprimant une couleur particulière. La progression dramatique, la succession de tensions, le rythme très tenu, l’enchaînement des situations sur le mode d’un film policier: on est tenu en haleine tout au long du spectacle. Une preuve encore qu’on peut faire du grand théâtre avec peu de moyens et beaucoup de talent. À voir absolument. Pas d’excuses pour ceux qui manqueront le spectacle…
Irène Sadowska Guillon
La Rosa Blanca,
tragédie mexicaine
d’après B. Traven
Mise en scène d’Adel Hakim
Au Théâtre Artistic Athévains
du 20 du 16 mars aux 19 avril 2009