Sables et soldats
Sables et soldats, écrit et mis en scène par Oriza Hirata
Il y a dix ans, on découvrait en France le théâtre d’Oriza Hirata (né en 1962 à Tokyo) avec Tokyo notes, sélectionnée par le Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis dans le cadre de son opération: Découverte des auteurs de pays participant à la Coupe du Monde de football en 1998.
Depuis Oriza Hirata a fait du chemin en France et plusieurs de ses pièces (Tokyo notes, Gens de Séoul, Nouvelles du plateau S., Chants d’adieu, etc.) ont été montées entre autre par Frédéric Fisbach, Arnaud Meunier, Laurent Gutmann.
Auteur et metteur en scène, Oriza Hirata est l’inventeur d’une écriture dramatique et d’une pratique scénique «le théâtre tranquille» qu’il met en œuvre dans les années 1990 avec sa compagnie Seinendan à Agora, son lieu à Tokyo. Ce «théâtre tranquille» se caractérise par un style parlé et l’exploration du calme de la vie quotidienne, et de sa complexité temporelle.
La structure des pièces d’Oriza Hirata s’apparente à des haïkus : pas d’intrigue mais plusieurs thèmes lancés simultanément dans les conversations des personnages qui se croisent et se développent sur le mode musical et symphonique, comme une partition.
Une collaboration et une complicité artistiques lient depuis quelques années Oriza Hirata et Pascal Rambert qui accueille en ce moment à Gennevilliers la création en France de Sables et soldats.
La pièce, écrite en 2004 et créée l’année suivante à Tokyo, a été réécrite, et traduite par Rose-Marie Makino et jouée en français par des acteurs français et japonais. Elle s’inspire du roman d’Ashishei Hino Le blé et les soldats qui a pour thème la guerre sans espoir ni raison entre Chine et Japon en 1894, où l’armée japonaise marchait dans de vastes champs de blé. Oriza Hirata réagit dans Sables et soldats à l’envoi de forces défensives de son pays en Irak. En donnant aussi à cette opération, une dimension universelle, il met en évidence l’absurdité des existences humaines sur les champs de bataille.
Mais dans cette version française de Sables et soldats Oriza Hirata identifie les soldats marchant dans le désert, comme des Français face aux «soldats ennemis» anonymes. Mais c’est inutile et réducteur: on devine tout de suite qu’il s’agit de l’Afghanistan ou peut-être du Liban ! Quid de l’universalité ?
Donc ces soldats envoyés faire une guerre qui ne les concerne pas, marchent interminablement dans le désert. Le dernier salon où l’on cause avec des conversations improbables qui vont se succéder entre militaires obligés de marcher et civils de passage : un père et sa fille à la recherche de sa femme, un couple en voyage de noces, etc. Drôle d’idée de choisir le désert et de surcroît un champ de bataille pour son voyage de noces. À moins qu’il ne leur soit offert par une ONG. généreuse… Passons: les inepties ne manquent pas ici.
Un plateau couvert de sable, traversé en diagonale par une sorte de piste, avec au fond des châssis bleus de hauteur différente, et représentant le ciel; et au-dessus du plateau sont suspendus un sac de sable et un fusil.
Sur ce théâtre de guerre apparaissent tour à tour un officier et deux soldats français, dont une femme qui vient chercher son mari, un père avec sa fille cherchant la mère, le couple en voyage de noces et deux soldats «ennemis» joués par un acteur et une actrice japonais. Le trajet des soldats français et des civils se fait systématiquement du fond du plateau vers l’avant, celui des ennemis en sens inverse.
Ils se traînent dans le sable, crapahutent, se levant cependant pour converser, alors que les civils traversent le plateau debout. Il y a peut-être une explication logique à cela : les uns se cachentdes ennemis et les autres se promènent comme dans un parc ?
Les soldats sont en tenue militaire de camouflage un peu différent pour les Français et les ennemis, tous avec leur équipement et leurs armes. Les civils eux sont dans des tenues normales, plus ou moins adaptées aux promenades dans le désert.
Conversations intimes de la vie quotidienne : la mère parle du soldat féminin français qui se remarie, des détails sur les boîtes de conserve, etc.-et là cela devient intéressant, même intriguant!- sont repris plus tard sous une forme décalée, par exemple la mère du soldat féminin qui se remarie est remplacée par le père qui vient d’acheter un chien, et le prénom et le nom du mari recherché par sa femme changent à plusieurs reprises. Ce procédé intéressant jette la suspicion sur les propos et les identités des personnages; sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent être ? Ou peut-être des espions ennemis infiltrés. Mais ces petits suspenses n’arrivent pourtant pas à donner un peu de goût à cette soupe insipide, répétitive, et manquant de vraisemblance.Et distillée goutte-à-goutte avec une lenteur insoutenable.
Oriza Hirata surpasse ici Claude Regy en étirant les répliques par des silences allongés, des pauses incompréhensibles entre les phrases et même à l’intérieur des phrases. À ce rythme là c’est à la Guerre de Cent ans qu’on a affaire.Bref la pièce qui dure ici deux heures, serait sans doute plus pertinente en une heure et nous éviterait des bâillements! Dommage car le théâtre singulier d’Oriza Hirata est en soi intéressant et nous en avons vu en France quelques belles mises en scène de ses pièces.
Irène Sadowska-Guillon
Théâtre de Gennevilliers (Seine Saint-Denis), du 18 mars au 11 avril.
Le texte comme tous ceux d’Oriza Hirata traduits en français, est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.