La Cerisaie

 La Cerisaie de Tchekov, mise en scène d’Alain Françon.

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  L’une de nos lectrices nous a laissé un message, après avoir pris connaissance de l’article d’Irène Sadowska, où elle disait avoir été un peu déçue par le spectacle. Un mien confrère, et non des moindres, me disait au contraire son admiration. Je n’avais pas encore eu le temps d’y aller mais, n’écoutant que mon devoir et mon envie (tout critique a vu , comme moi, un bonne douzaine de Cerisaies mais, à chaque fois, c’est le même émerveillement devant l’intelligence et la beauté de la pièce, même quand elle est montée tant bien que mal, et puis il y a toujours, comme en filigrane dans nos souvenirs, les mises en scène géantes de Strehler et de Brook ).. Alors,  j’ai bondi jusqu’à la Colline avec une mienne consœur, et non des moindres. Avis partagé, et plus nuancé, comme celui de la mienne consœur,  que celui d’Irène.
  Commençons par ce que l’on a  beaucoup aimé: le style d’Alain Françon quand il s’empare de ce fameux  texte, bien  traduit par André Markowicz et Françoise Morvan,  pour  mettre en valeur le rire et le comique de personnages secondaires  comme Pitchtchik (Philippe Duquesne), Trofimov ( Pierre-Félix Gravière), ou Epikhodov ( Clément Besson)). C’est un des aspects de la pièce qui est en général mal traité,  comme si les metteurs en scène ne savaient pas trop comment passer d’un registre à l’autre, ce qui est pourtant capital pour un Tchekov. 

  Sans pour autant gommer la nostalgie de Lioubov à la fin dont il sait dire aussi l’ amour profond qu’elle a pour son pays et sa cerisaie, en même temps que la passion qu’elle garde  pour son amant de Paris , même s’il l’a ruinée. Il est bien en effet  à l’origine, en dehors de toute considération historique , celui qui a coupé Lioubov  de ses racines,  quand elle était  avec lui  à Paris ou dans sa villa de Menton, où les Russes fortunés avaient acquis une résidence et certains y ont même leur dernière demeure , comme on dit. Cent ans après, cela recommence!
 Et le metteur en scène met très bien en valeur un des leit-motiv de la pièce, l’importance de l’argent, liquide ou non:  dettes, héritages, emprunts, etc., qui commande la vie de chaque personnage que l’on évoque quelque vingt cinq fois fois , soit toutes les quatre minutes en moyenne!  Si, si, c’est vrai, j’ai compté…

On aime beaucoup dans la mise en scène de Françon sa très grande maîtrise du plateau , quand il dirige dix huit comédiens et une musicienne. Mais aussi la façon qu’il a de faire ressortir la modernité des dialogues d’un texte qui a déjà plus de  cent ans: les personnages se coupent la parole , soliloquent,    quand,  en fait, il répondent à quelqu’un d’autre,  ou grommellent comme le vieux Firs, admirablement interprété par Jean-Paul Roussillon qui, dans la dernière scène où  il se retrouve tout seul, est sublime..Et Françon met très bien  en valeur ces fameux silences dans les répliques qui en disent souvent beaucoup plus long qu’une phrase. Ah! La scène entre la pauvre Varia que laisse tomber Lopakhine, et tout ce dernier acte,avec ces personnages déboussolés :Françon a bien réussi les choses.

Il y aussi la très belle bande-son de Daniel Deshays..Tout cela est d’une grande qualité et l’on sent  que monter La Cerisaie,  dernière pièce de Tchekov, mort quelques mois après sa création, a été un véritable acte de foi  pour Françon qui va quitter la direction de la Colline . Cet au-revoir ne manque pas de panache!
  Ce que l’on aime moins: d’abord,  la scénographie compliquée de Jacques Gabel pour chacun des quatre actes dont, sans doute, Alain Françon porte aussi la responsabilité: la chambre d’enfants, au début, est toute en longueur, et de biais, si bien que tout se passe plutôt côté jardin ( tant pis pour le public qui est de l’autre côté de la salle d’autant plus que la lumière est chichement comptée au premier acte comme dans les autres sans que cela se justifie: il est deux heures du matin mais quand même!).Et les comédiens vont sans arrêt de cour à jardin , ce qui est inévitable mais qui parasite un peu le texte.
  On baisse le rideau à chaque fin d’acte pour préparer vite fait le décor du suivant, (ce n’est pas en réalité très long mais casse quand même le rythme général  déjà trop  lent). Le jardin, qui est une sorte d’avatar du décor de 1904,  n’est pas très crédible:  les didascalies de la pièce indiquent dans le fond deux pierres tombales et une chapelle mais pas deux simples tombes de terre au premier plan. Quitte à faire dans le réalisme…  Quant aux poteaux télégraphiques mentionnés par Tchekov comme indicateurs de la modernité qui arrive à grands pas, bien malin qui pourrait les reconnaître sur la toile du fond.

  Le programme inclut quelques photos de la mise en scène de Stanislavski en 1904, comme si Gabel et Françon voulaient absolument nous prouver le bien-fondé  de leur parti-pris de scénographie quelque peu archéologique;  c’est un peu vain et, de toute façon, c’est trop tard: rien ne sera changé, mais c’est dommage, alors que le décor du dernier acte: la chambre d’enfants du premier, avec ses fenêtres sans voilages, où il n’y a plus ni meubles ni tableaux,  et que le canapé est déjà emballé, est de toute beauté.
Par ailleurs, ce n’était peut-être pas le bon soir mais l’interprétation de Dominique Valadié nous a semblé par trop inégale: il y a de très beaux moments et d’autres où  elle boule son texte, comme si elle n’était pas très convaincue de l’importance de ses répliques- ce qui n’est sûrement pas le cas , mais mercredi dernier,  on avait un peu de mal à reconnaître la grande Dominique Valadié que nous aimons tant d’habitude; quant à Jérôme Kircher, et Didier Sandre, pourtant excellents comédiens,  eux  aussi, paraissaient être un peu en retrait.
  A voir oui,sans aucun  doute, même avec ces défauts importants qui peuvent faire que l’on soit déçu, surtout après tous les commentaires élogieux que l’on a pu faire de la mise en scène d’Alain Françon. Mais dépêchez-vous,  c’est un peu le dernier évènement  parisien…et il y a du monde. C’est en effet pour beaucoup  l’occasion de voir pour la première fois la pièce sublime de Tchekov qui n’est pas si souvent montée à cause de l’importance de la distribution . Et,  si la salle bourrée jusqu’au dernier strapontin, n’était pas délirante, on sentait un grand respect pour ce travail.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Colline, jusqu’au 10 mai inclus.


Archive pour 30 mars, 2009

Le Dragon bleu

Le Dragon bleu , conception et mise en scène de Robert Lepage.


Ce spectacle boucle son  cycle chinois  (La trilogie des dragons) passe à Ottawa,  cette semaine en français, la semaine prochaine en anglais avec la même distribution.On connaît la  prédilection de Lepage pour les productions multilingues  où cette fois-ci, il  parle le  chinois  avec une aisance étonnnante.  Cette production révèle les faiblesses de la formidable machine Lepage  où la poésie visuelle  ultra sophistiquée brille toujours mais où l’ interaction avec les  conventions plus traditionnelles de la scène (comédiens, situations, intrigue  quasi mélodramatique) est plutôt décevante.  Lepage  joue  Pierre, artiste québécois en panne d’inspiration, établi à Shanghaï. Son ex-femme , Claire,  arrive du Canada pour adopter un bébé et reprendre contact avec son partenaire, sans se rendre compte que la danseuse  et artiste peintre Xiao Ling est désormais  la  maîtresse de Pierre  et que  les sentiments de Pierre envers  les deux femmes sont très  ambivalents.

  Mais la jalousie,  les  réflexions sur le communisme chinois, les rapports problématiques avec le père, l’avenir de la Chine sont intégrés d’une manière assez superficielle dans des clips de cinéma chinois; il y  un moment intéressant malgré tout,  où  Xiao Ling recrée une séquence  de danse contemporaine, post-révolution culturelle,  où l’on brandit le fusil et le petit livre rouge.Mais une  direction d’acteurs  très faible et un   rythme  assez poussif  banalise les propos du spectacle. ledragonbleu.jpg
Il faut capter les repères visuels  pour naviguer dans la poésie scénique de cette aventure  qui est parfois d’une grande beauté. Lepage fait une démonstration de calligraphie chinoise.Le geste, le pinceau, et la pensée s’unissent pour fabriquer une multiplicité de significations sans fin.

C’est la clé de ses inventions scéniques  qui fonctionnent comme autant de traits calligraphiques dans une dynamique de cinéma. Grâce à la technologie numérique, Robert Lepage  construit un réseau d’images simultanées.  Le cinéma et la gestuelle de l’écriture chinoise se rencontrent : des écrans alignés  projettent les traits du pinceau comme par magie, la ville  de Shanghai brille à l’horizon, et une séance de tatouage provoque la douleur du tatoué et le plaisir de l’artiste, tandis que  le corps diaphane d’un danseur apparaît enveloppé de  points de lumière mystérieux comme des flocons de neige.  Un dénouement étonnant  confirme l’instabilité de l’image par rapport à la réalité matérielle.  Malgré quelques moments envoûtants, ce  spectacle sur le processus de création inspiré de l’art chinois,  nous a laissé sur notre  faim, ce qui est inhabituel devant un spectacle de Lepage. 

Alvina Ruprecht

Centre national des Arts, Ottawa,  du  25 mars au 11 avril

 

La scénographie, Guy Claude François à l’œuvre

La scénographie, Guy Claude François à l’œuvre
par Luc Boucris

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Guy Claude François est un de ces scénographes qui ont participé aux aventures et expériences emblématiques et contribué à l’évolution, voire au changement radical de la conception du décor, de l’espace de représentation, du lieu théâtral.
Dès les années 1970 lorsque le théâtre sort de ses salles et s’ouvre à d’autres formes de spectacle vivant, Guy Claude François fait partie de ceux qui proposent une nouvelle structuration de l’espace en collaboration étroite avec le metteur en scène. Il incarne par sa pratique une conception ouverte de la scénographie allant de la scénographie des spectacles à celle de lieux, d’événements ou d’expositions, où l’intervention du scénographe peut prendre des formes extrêmement diverses.
Formé à l’École de la rue Blanche il travaille dès 1960 comme régisseur et décorateur. En 1968 il rejoint le Théâtre du Soleil où il est d’abord directeur technique puis, depuis L’Âge d’or (1975), le scénographe attitré d’Ariane Mnouchkine, associant dans sa pratique l’organisation sans cesse renouvelée du lieu et la conception esthétique de l’espace scénique.
Il collabore également régulièrement avec d’autres metteurs en scène comme Jean-Claude Penchenat, Otomar Krejca, Armand Delcampe…
Le registre de ses interventions ne cesse de s’élargir : opéra, théâtre de marionnettes, architecture de lieux, décor pour le cinéma. Fondateur avec Jean Hugues Manoury en 1988 de la société Scène il réalise dans ce cadre une centaine de lieux scéniques, d’expositions, d’événements comme par exemple l’ouverture des Jeux Olympiques d’Albertville en 1992.
Sa pratique de scénographe s’accompagne depuis bientôt 30 ans de l’enseignement de cet art en France et à l’étranger, entre autres à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, à l’École d’Architecture de Clermont-Ferrand et à Nantes, au Centre d’Études Théâtrales à l’Université de Louvain-la-Neuve en Belgique.
Dans son livre, issu de sa longue complicité avec Guy Claude François, Luc Boucris propose une analyse de quelques aspects essentiels de l’approche par le scénographe de différents espaces : spectacles, cinéma, lieux d’événements, musées, expositions.
Ainsi pour le théâtre traverse-t-il des collaborations emblématiques de Guy Claude François avec Otomar Krejca, en particulier pour les mises en scène des œuvres de Tchekhov (Les trois sœurs, Oncle Vania) et avec Ariane Mnouchkine sur sa série des 4 Shakespeare, ses créations de Norodom Sihanouk, de l’Indiade, de La ville parjure, du Tartuffes et sur
ses versions théâtrale et cinématographique de Molière.
Luc Boucris analyse les divers rapports au lieu dans la démarche scénographie de Guy Claude François : « avec ou contre » (L’Âge d’or à la Cartoucherie, Madame Butterfly à l’Opéra d’Orange), « bâtir rêver » (Molière au cinéma, Norodom Sihanouk), « changer le regard » (musées, la Halle aux grains à Blois, La Villette à Paris, la Piscine à Chatenay Malabrie), « jouer avec l’espace » (le Mont Saint Michel, la Cour d’Honneur du Palais des Papes en Avignon, les Jeux Olympiques d’Albertville, le concert Mylène Farmer), « interpréter l’espace » (dispositifs des tournées, etc.).
De nombreuses photos de spectacles, de décors, de lieux, des maquettes, des dessins préparatoires, illustrent le propos du livre complété par les repères biographiques de Guy Claude François.

Irène Sadowska Guillon

La scénographie, Guy Claude François à l’œuvre
par Luc Boucris
Éditions l’Entre Temps, collection Ex Machina
2009, 142 pages, 32 euros

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