Le Dragon bleu
Le Dragon bleu , conception et mise en scène de Robert Lepage.
Ce spectacle boucle son cycle chinois (La trilogie des dragons) passe à Ottawa, cette semaine en français, la semaine prochaine en anglais avec la même distribution.On connaît la prédilection de Lepage pour les productions multilingues où cette fois-ci, il parle le chinois avec une aisance étonnnante. Cette production révèle les faiblesses de la formidable machine Lepage où la poésie visuelle ultra sophistiquée brille toujours mais où l’ interaction avec les conventions plus traditionnelles de la scène (comédiens, situations, intrigue quasi mélodramatique) est plutôt décevante. Lepage joue Pierre, artiste québécois en panne d’inspiration, établi à Shanghaï. Son ex-femme , Claire, arrive du Canada pour adopter un bébé et reprendre contact avec son partenaire, sans se rendre compte que la danseuse et artiste peintre Xiao Ling est désormais la maîtresse de Pierre et que les sentiments de Pierre envers les deux femmes sont très ambivalents.
Mais la jalousie, les réflexions sur le communisme chinois, les rapports problématiques avec le père, l’avenir de la Chine sont intégrés d’une manière assez superficielle dans des clips de cinéma chinois; il y un moment intéressant malgré tout, où Xiao Ling recrée une séquence de danse contemporaine, post-révolution culturelle, où l’on brandit le fusil et le petit livre rouge.Mais une direction d’acteurs très faible et un rythme assez poussif banalise les propos du spectacle.
Il faut capter les repères visuels pour naviguer dans la poésie scénique de cette aventure qui est parfois d’une grande beauté. Lepage fait une démonstration de calligraphie chinoise.Le geste, le pinceau, et la pensée s’unissent pour fabriquer une multiplicité de significations sans fin.
C’est la clé de ses inventions scéniques qui fonctionnent comme autant de traits calligraphiques dans une dynamique de cinéma. Grâce à la technologie numérique, Robert Lepage construit un réseau d’images simultanées. Le cinéma et la gestuelle de l’écriture chinoise se rencontrent : des écrans alignés projettent les traits du pinceau comme par magie, la ville de Shanghai brille à l’horizon, et une séance de tatouage provoque la douleur du tatoué et le plaisir de l’artiste, tandis que le corps diaphane d’un danseur apparaît enveloppé de points de lumière mystérieux comme des flocons de neige. Un dénouement étonnant confirme l’instabilité de l’image par rapport à la réalité matérielle. Malgré quelques moments envoûtants, ce spectacle sur le processus de création inspiré de l’art chinois, nous a laissé sur notre faim, ce qui est inhabituel devant un spectacle de Lepage.
Alvina Ruprecht
Centre national des Arts, Ottawa, du 25 mars au 11 avril