La Cerisaie (I S G)
La Cerisaie
d’Anton Pavlovitch Tchekhov
mise en scène Alain Françon
Lioubov Andreevna Ranevskaïa, propriétaire d’un domaine, avec une belle maison et une cerisaie revient d’un séjour à l’étranger où elle a suivi son amant qui l’a complètement ruinée. Et le domaine va devoir être mis aux enchères… Vendre sa belle maison et sa cerisaie : ce serait la seule solution pour Lioubov et sa famille : son frère Gaev, Ania sa fille et Varia sa fille adoptive.
Lopakhine, fils de moujik dont Varia est amoureuse et qui semble avoir l’intention de l’épouser, est un parvenu doué en affaires et clairvoyant, conseille à la famille de découper le domaine et de le vendre par lotissements pour y construire des villas, projet qui redresserait sa situation économique.
Mais pour Lioubov et les siens , la maison et la cerisaie, chargées de souvenirs, sont intouchables. Pas question de vendre. Criblée de dettes, sans pour autant se départir de sa largesse et sans savoir comment elle va payer la fête qu’elle donne, Lioubov espère une solution miracle, tant l’idée même de vendre le domaine lui paraît absurde.
Lopakhine dont elle rejette la proposition, achète alors le domaine et , quelques mois plus tard, réalise son projet. Alors qu’on entend tomber les cerisiers sous les coups de hache , Lioubov et son incorrigible famille quittent la maison en oubliant leur vieux domestique ; tout en pleurant leur cerisaie ,ils se consolent en rêvant à un avenir radieux.
La Cerisaie, pièce testamentaire de Tchekhov, créée en 1904, l’année de sa mort et un an avant la Révolution, renvoie avec acuité l’image de cette société russe en dislocation, à la fois nostalgique d’un ancien monde en train de s’effondrer mais qui rêve de temps nouveaux et de progrès de l’humanité, bref de ces fameux lendemains révolutionnaires qui chantent.. et qui désenchantent assez vite, avec, à la clef, l’utopie puis la réalité communiste et, d’autre part, les paradis artificiels du capitalisme. Un siècle plus tard, on se retrouve au même point que les personnages de Tchekhov, mais beaucoup moins confiants dans les temps nouveaux qui nous attendent.
Nul besoin de chercher à démontrer l’actualité de cette pièce en la transposant dans notre époque. En remontant La Cerisaie dix ans après sa mise en scène à la Comédie-Française, Alain Françon enracine avec raison son travail dans le texte, (traduction de Françoise Morvan et d’André Markowicz), en se référant aussi aux Cahiers de régie de Stanislavski pour la création.
On retrouve dans le décor de Jacques Gabel quelques rappels de celui de 1904 :le mur du salon change d’aspect entre le premier et le quatrième acte, puisque rideaux et tableaux ont été enlevés, et l’on voit un champ, une meule de foin; et au deuxième acte, un banc avec cette fois, deux tombes, dont on devine qu’elle sont celles du mari et du fils de Lioubov.
Le réalisme s’impose à l’évidence dans cette mise en scène qui, loin d’être archéologique, restitue les détails les plus significatifs, y compris le samovar, du quotidien d’une époque.
Même souci du détail et de vraisemblance dans les costumes patinés par Véronique de Groër. Alain Françon s’est refusé à transposer une réalité et, en conservant cette distance temporelle, nous confronte à un monde différent mais qui ressemble aussi au nôtre.
Pas de stylisation, pas de clichés dans sa mise en scène d’une remarquable précision , à la fois dans l’organisation du mouvement dramatique, dans la gestion du temps et du rythme. Une harmonie rare aussi dans le jeu des acteurs dirigé jusqu’au moindre détail, fait à la fois de rigueur et de liberté. Pas non plus d’à-priori psychologique dans cette interprétation qui déterminerait des comportements, mais une dynamique permanente, une instantanéité des émotions, des réactions complexes et parfois contradictoires chez les personnages.
Avec des interprètes remarquables : Dominique Valadié (Lioubov), Irina Dalle (Charlotta), Jérôme Kircher (Lopakhine), Julie Pilod (Varia), Didier Sandre (Gaev), Jean-Paul Roussillon (Firs), pour ne citer qu’eux: ils insufflent une authenticité, une fragilité, une incandescente énergie aux personnages qui s’agitent pour ne rien faire et qui fuient un présent accablant pour l’utopie d’un monde meilleur.
Une vision de Tchekov émancipée d’un dogmatisme théorique, des recettes, et de la rigidité d’une grille de lecture soi-disant moderne à effets gadgets. Un théâtre qui respire et fait confiance au texte comme au spectateur.
Irène Sadowska Guillon
La Cerisaie d’Anton Tchekhov
mise en scène d’Alain Françon
au Théâtre National de la Colline
du 17 mars aux 10 mai 2009