Wittgenstein Incorporated

Wittgenstein Incorporated de Peter Verburgt, mise en scène de Jean Ritsema.

 
bdwittgenstein.jpg De Ludwig Wittengstein, philosophe viennois (1889-1951), on connaît surtout en France son brillant Tractatus logico-philosophicus, publié en 1939.L’écrivain néerlandais Peter Verburgt a écrit Wittgenstein Incorporated à partir de trois cours que le philosophe a consacrés à la croyance, où il parle beaucoup de la foi, du doute, de l’immense difficulté que représente le désir même de vouloir penser, et de cette phrase magnifique qui n’arrête pas de le lanciner, celle qu’un ami mourant lui avait dit: « Je penserai à vous après ma mort ».
  Jean Ritsema avait conçu cette mise scène, il y a de cela quelque vingt ans et, on le sait, très rares sont les réalisations scéniques ressurgies comme cela comme par un coup de baguette magique du quasi-néant auxquelles elles sont le plus souvent promises après, au mieux, quelques années d’existence.On comprend ce qui a pu mobiliser l’énergie de Ritsema: donner non pas une image mais une sorte de réincarnation théâtrale du philosophe qui aimait, nous dit-on, plutôt exposer ses idées par la parole plutôt que par l’écriture, entouré de quelques amis:  » Le visage austère, aux traits mobiles, le regard concentré, les mains cherchant à saisir des objets imaginaires: on ne pouvait éviter d’être frappé du sérieux de cette attitude et de la tension intellectuelle qu’elle révélait » , comme le  dit un de ses amis, cité par Ritsema.
  Effectivement, cela pouvait alors être tentant de transformer l’essentiel de ces trois cours de Wittgenstein en un objet théâtral,presque chorégraphique par moments, avec un comédien comme Johan Leysen que l’on avait déjà pu voir chez Schiaretti ou Gutman. Grand, mince et doué d’une impeccable gestuelle, il est seul en scène dans un décor dépouillé à l’extrême: un mur vert foncé, un fauteuil en toile dont il se sert peu, le tout installé sur un parquet blond…
  Oui mais, passées les quelques vingt premières minutes où l’on est  fasciné par la silhouette et par la belle voix grave de ce  comédien qui ne bouge presque pas, on commence à s’ennuyer très vite, d’autant que, malheureusement, Johan Leysen ne dit pas  bien ce texte déjà peu passionnant; effet de la fatigue et/ ou de la difficulté à assumer cette performance a-théâtrale? En tout cas, on ne voit vraiment pas les raisons pour lesquelles on se passionnerait pour ce genre de chose mal ficelée… D’autant que la chose en question dure deux heures et demi ( sic) avec une pause de cinq minutes, puis un entracte de vingt minutes!
  Quelques spectateurs s’en vont au bout d’une demi-heure; d’autres comme moi, je l’avoue, profitent de la pause pour déserter la petite salle de la Resserre, incapables d’en supporter davantage. Ce qui pourrait être un exercice pédagogique intéressant et  qui aurait sans doute séduit Antoine Vitez( comment  transformer un texte d’origine philosophique en objet scénique)  ne fonctionne pas chez Peter Verburgt et Jean Ritsema; malgré une certaine rigueur, ce n’est pas en effet  le contenu même de ces trois cours de Wittgenstein qui est proposé mais une sorte de récit,mis en scène de façon très statique,  ce qui donne beaucoup de lourdeur  au propos.On pense à ce que Jean-François Peyret, qui a souvent réussi la délicate opération consistant à donner une vie scénique à un propos philosophique avec quelques excellents comédiens, aurait pu concevoir  en partant des seuls écrits  de Wittgenstein…
  Alors à voir? Seulement, si vous êtes un fanatique inconditionnel de ce type de recherche-qui n’en est d’ailleurs pas vraiment- mais l’heure que j’en ai subie, ne m’a pas donné envie de voir la suite; peut-être, n’ai-je  pas été assez patient mais la vie est trop courte et il y a des limites au masochisme, surtout un soir de printemps où les oiseaux chantent dans le beau parc de la Cité universitaire..

Philippe du Vignal

Théâtre de la Cité Internationale, jusqu’au 30 avril et 12 au 30 mai.


Archive pour avril, 2009

Ionesco

Ionesco d’André le Gall

9782081219915.jpgEntre l’œuvre et la vie d’Eugène Ionesco la frontière est mince, voire perméable. Il y a un jeu permanent entre le réel et la fiction dans lequel Ionesco excelle, à la fois personnage et auteur, en mettant sa vie en scène autant dans son théâtre que dans ses journaux intimes et ses livres autobiographiques.
Comment dégager une image objective dans ce jeu de camouflages et de confidences, de révélations dont il était prodigue, de contradictions et de pluralité des identités qui l’habitaient, redistribuées entre les personnages de son théâtre ?
Dans son excellente et passionnante biographie de Ionesco, André le Gall prend parti d’une approche polyphonique de l’homme et de l’écrivain dont la voix est constamment présente et où événements, circonstances, anecdotes, rêves racontés dans les journaux intimes et exploités dans les fictions dramatiques sont en permanence mis en rapport avec les faits et les données objectifs fournis par les archives, les coupures de presse, les mémoires des contemporains, des témoignages de comédiens, de compatriotes, d’amis.
Ainsi, dans ce jeu de miroirs ,se dégage l’image d’un Ionesco ,homme de doute et de foi, non pas chantre de l’absurde mais grand ressasseur des questions devant l’état du monde, poète de l’insolite, de l’étonnement et de l’émerveillement au sein de l’être, se transportant dans la vie chargé de lourdes valises, partagé entre les élans ascensionnels et des pesanteurs telluriques.
En suivant la chronologie des étapes décisives de la vie et de l’œuvre d’Ionesco, André le Gall les fait s’interférer constamment. De sorte que sa biographie se présente comme une scène d’un théâtre de vie. André le Gall recourt parfois à l’interview ou au dialogue entre l’orateur et l’intervenant extérieur, où Ionesco, par des citations tirées de ses journaux intimes et de textes autobiographiques , corrige certains points de vue, explique ses partis pris,  ses positions politiques, et ses goûts  littéraires.
Par exemple sur Beckett : « Le rapport n’est pas du tout le même qu’avec Sartre, Sartre n’est pas un rival, Beckett si. »
Une biographie remarquable, empreinte de l’esprit ionesquien qui se lit comme un roman d’une vie. Complétée  par d’abondantes notes, une bibliographie, un index et un cahier de photos. Un ouvrage indispensable pour découvrir ou redécouvrir la figure paradoxale et l’œuvre d’Ionesco, dont on célèbre cette année le centenaire de naissance.

Irène Sadowska Guillon


Ionesco d’André le Gall
Éditions Flammarion, Collection « Grandes biographies », 2009
650 pages, 25 €

PARCHEAZA MASINA LA HARVARD

PARCHEAZA MASINA LA HARVARD Teatrul Evreiesc de Stat Bucarest

D’Israel Horovitz, mise en scène Horea Popescu, avec Maïa Morgenstern et Constantin Dinglescu


Ce théâtre Evreiesc est un théâtre Yiddisch qui a réussi à survivre à la shoah. Il est situé à deux pas d’une belle synagogue environnée de HLM lépreuses. L’exposition que nous a commentée un délicieux vieillard qui avait coiffé sa kippa dans ce lieu de culte, raconte l’anéantissement des juifs. Ils étaient 800 000 avant la guerre, ils ne sont plus que 8000 en Roumanie. Le théâtre, une bonbonnière un peu vieillotte mais chaleureuse, ne donne qu’une représentation par semaine, encore du théâtre de répertoire devant une salle mélangée, enthousiaste, qui applaudit debout.
La pièce (dont je n’ai pas encore réussi à me faire traduire le titre, qui est jouée en roumain, pas en yiddisch) met en scène une jeune femme excitée qui débarque par un soir d’hiver chez un vieux professeur, qui s’installe et entreprend un ménage destructeur. Peu à peu leurs rapports se pacifient, deviennent presque tendres. Une spectatrice roumaine qui vit en Grèce, qui prend régulièrement l’avion pour voir jouer Maïa Morgenstern, nous a expliqué que cette femme était une ancienne étudiante de ce professeur de musicologie, régulièrement recalée à l’entrée de l’université d’Harvard. Malgré les tunnels de la langue, le jeu de ces excellents acteurs nous ont captivés

Edith Rappoport

COMPLEXUL ROMANIA

COMPLEXUL ROMANIA  Théâtre national de Bucarest
de Mihaela Michailov, mise en scène Alexandra Badea

Ce complexe roumain se joue dans la plus petite des cinq salles de cet immense théâtre national qui emploie 500 personnes. C’est Razvan Oprea, ami d’Alexandra Badea qui vit en France, mais retourne régulièrement dans son pays qui nous a introduites. Il tient le premier rôle, joue dans 9 spectacles car en Roumanie on pratique l’alternance. Son salaire au Théâtre national lui permet seulement de payer son loyer, il doit se démultiplier au cirque, à la télévision pour tenir. La pièce retrace l’enfance de deux jeunes lycéens pendant la période sous la férule de Ceausescu, l’arrestation et l’élimination de leur père par un sinistre apparatchik qui se reconvertit rapidement, leur implication dans la révolution de décembre 89, la mort d’un des lycéens, celle de la grand-mère. Jouée dans un espace quadrangulaire, avec pour tout décor un amoncellement de pots de conserves et un tas de sacs en plastique jaunes symbolisant l’apparition des supermarchés avec la libéralisation, la pièce jouée par une équipe de 7 excellents comédiens suscite l’enthousiasme du public plutôt jeune qui applaudit debout. La salle n’est néanmoins pas pleine, le Théâtre national ne mettant pas en valeur ce spectacle qui n’est jamais présentée en week-end.

Edith Rappoport

D’ALE BIBICILOR

D’ALE BIBICILOR Cirque Globus de Bucarest 

De Lui Caragiale, mise en scène Brindusa Novac, musique de Tica Ale Quand Razsvan Oprea nous a annoncé qu’il interprétait un Monsieur Loyal dans un spectacle de cirque, nous sommes parties à la découverte. Le spectacle se joue dans un cirque en dur de 1000 spectateurs planté dans un grand parc. On est placées par des jeunes filles en costumes fin de siècle, l’ouverture se fait sur des séquences comiques sur des plateaux en surplomb des personnages clownesques à la Toulouse-Lautrec, qui interviennent à une vitesse fabuleuse entre les numéros sur la piste interprétés par une troupe éblouissante d’une cinquantaine danseurs acrobates. Ballets suspendus, élastonautes, abeilles, ballet classique, ballet mexicain, match de boxe ridicule, numéro d’otaries, tout est d’une perfection technique époustouflante, hormis la mauvaise sonorisation, surtout au début du spectacle.

Edith Rappoport

23ème Nuit des Molières.

Les Molières, 23ème édition.

molier09.jpgVingt ans déjà; c’était en 87, rappelez-vous si vous êtiez déjà de ce monde: Philippe Clévenot et Suzanne Flon remportaient le Molière du meilleur comédien, Pierre Arditi et Sabine Haudepin ,celui du meilleur espoir. et Jean-Pierre Vincent était nommé deux fois pour la mise en scène de son très fameux Mariage de Figaro à Chaillot. Côté privé, c’est Philippe Caubère qui remporta la palme. C’était la première fois -ou presque- que le théâtre français se réconciliait un peu  avec lui-même, gauche et droite confondus, public et privé réunis.
Depuis les Molières avaient perdu quelques plumes et  paillettes dans le vent de l’histoire. La « décentralisation » , comme on disait,  attendait encore que Paris veuille bien enfin s’intéresser vraiment au sort des  nombreuses créations théâtrales de la « province », et le théâtre public, par un jeu bizarre des votes, n’estimait pas toujours avoir la grâce d’avoir eu  accès aux récompenses tant convoitées, tant il est vrai qu’être nommé aux Molières assure ,quoi qu’on en dise, une bonne consécration… et augmente clairement la fréquentation du théâtre où se joue l’heureux spectacle élu , du moins quand il s’agit des comédiens principaux  et/ou du metteur en scène. Pour les autres prix, les choses sont moins évidentes mais cela fait toujours du bien par où cela passe; on a sans doute oublié que, Yannis Kokhos fut le premier scénographe récompensé mais, lui s’en souvient encore, et ses chers confrères aussi.
Depuis l’eau a coulé sous les ponts de la Seine,  et il y eut un train de réformes qui visait à mieux prendre en compte les différents secteurs de la production et la diversité de la création, comme le dit Irène Ajer, femme de haute culture théâtrale, énergique et respectée, qui, l’an passé, une fois quittées les hautes sphères du Ministère de la Culture, décida courageusement , comme nouvelle présidente de la déjà vénérable institution,  de mettre un peu d’ordre dans la maison des Molières.

  En effet, il était grand temps que les principes mêmes et les rituels de la fameuse cérémonie soient revus et corrigés. D’abord, c’est bien de remettre à l’honneur le théâtre comique avec un prix spécifique , qui ne pouvait pas rester le domaine privilégié du théâtre privé. C’est vrai que le théâtre public fait plus souvent dans le noir que dans la comédie. On été créés aussi deux Molières pour le théâtre public  :Molière du théâtre public et Molière des compagnies, et deux Molières consacrés au théâtre privé: Molière du théâtre privé et Molière de la pièce comique. Deux partout et la balle au centre ,et que les grincheux aillent se plaindre auprès de Carlita…

  Ce que l’on peut peut-être regretter car cela ne fait que renforcer encore cette espèce de fossé invisible très franco-français qui continue à régner, du moins à Paris où les deux territoires ont chacun  leurs codes, leurs  auteurs, leurs lieux.. et leurs comédiens, et forcément leurs prix de billets. il y a bien quelques passages presque clandestins de frontières mais ce sont deux mondes à part,  qui ne se retrouvent furtivement une fois par an… pour cette fameuse soirée des Molières retransmis cette année par France 2.

  Et c’est bien l’une des rares occasions où la télévision en général s’intéresse de près au théâtre, on pourrait presque dire par remise de prix interposée. même s’il est vrai qu’il y  eut un réel effort ces derniers temps. Patrick de carolis, le patron de France-télévisions a beau citer quelques exemples, le fait théâtral reste le parent pauvre, de la télévision ,que ce soit dans les chaînes d’Etat ou dans les chaînes privées. Et il faut un phénomène comme le Festival d’Avignon pour que le Journal Télévisé daigne consacrer quelques dizaines de secondes au théâtre.

Tailleur pour dames de Georges Feydeau a ainsi eu quelques 5 millions de téléspectateurs; furent aussi programmés Fugueuses avec Muriel Robin et Line Renaud, et plus récemment La Maison du Lac avec Jean Piat et Maria Pacôme. ( voir theatredublog de janvier) qui n’est quand même pas le chef d’oeuvre du siècle passé, même si Patrice de Carolis se félicite de cette évolution. Mais, à chaque fois, ressurgit la polémique: la retransmission télévisée est  accusée de vider les salles…On oublie trop souvent que, même les spectateurs les plus friands de spectacle, quand ils habitent une petite ville, voire un village, n’ont jamais la possibilité d’assister à un spectacle en direct, à moins de faire quelques dizaines de kilomètres, et encore! La France est un aussi un pays montagneux; restent le festivals d’été qui ont lieu… en été, et pas toujours à côté.

Quant au rituel de la cérémonie des Molières que l’on aurait pu croire immuable, Irène Ajer a décidé de dépoussiérer les choses; ainsi l’accent a été mis, dit-elle, sur la préparation  de la cérémonie, de façon à ce que les gens du public rencontrent vraiment ceux du privé. Mais le déroulement de de la soirée sera aussi moins figé qu’auparavant, puisque les extraits de spectacle seront remplacés par quelques bandes annonces filmées par une société de production privée. Il ya aura aussi un peu de musique avec les Gypsy King, ou l’orchestre de Frédértic Manoukian . mais promis, juré,  la cérémonie ne dépassera pas les deux heures et demi, ce qui n’est déjà pas mal et qui devrait accélérer singulièrement le rythme; par ailleurs, elle a souhaité qu’ une personnalité de premier rang soit le président de la soirée:  cette année,  ce sera Frédéric Mitterrand,  nouveau directeur de la Villa Médicis et c’est Bernard Giraudeau qui sera le maître de cérémonie.

  Du côté du fonctionnement électoral, Irène Ajer et l’association Professionnelle et Artistique qu’elle préside , a décidé de revoir ses modes de fonctionnement, ce qui n’était sans doute pas un luxe; en effet il y avait une liste de 6500 votants, dont 4500 ne se manifestaient pas!  Virage donc à 90 degrés : le conseil d’administration  compte désormais: 6 membres représentant le théâtre public, 6 membres représentant le théâtre privé et enfin 6 personnalités qualifiées choisies parmi des artistes,  qui sont élus par l’assemblée générale qui comprend des directeurs de théâtre,des artistes, d’anciens prix Molière, et des personnalités qualifiées ayant participé aux Molières. mais les membres doivent être à jour de leur cotisation annuelle soit 40 euros.

  Pour l’attribution des prix, d’abord un critère déterminant:  dans le théâtre privé,le spectacle doit avoir au moins 30 représentations en langue française,  et  il y a deux tours d’élection: le premier est confié à un collège de 350 grands électeurs ( artistes, comédiens, metteurs en scène, techniciens et un représentant de chaque théâtre privé ainsi que des personnalités qualifiées.

  Pour l’attribution des prix dans le théâtre public,le spectacle doit avoir au moins 20 représentations en langue française et 195 correspondants régionaux, choisis par Irène Ajer et son assistante  Geneviève Dichamp, ce qui représente un maillage assez fin de l’hexagone et de la Corse ( les Départements d’Outre-Mer en sont malheureusement absents pour des raisons techniques) mais l’an prochain, ce serait bien que l’on fasse preuve  d’imagination mais Irène Ajer trouvera bien une solution pour que cette France là ait aussi droit de cité. Ils élisent un grand électeur ( soit 40 jurés au total)  à raison d’un pour 300.000 habitants qui remet une liste de 12 spectacles éligibles  ( 6 du théâtre institutionnel et 6 du théâtre privé ), laquelle liste est ensuite soumise à un jury national de 40 personnes soit 10 artistes, 10 journalistes, 10 directeurs de structures, et 10 personnalités qualifiées. ( Vous suivez toujours?).

  Le mécanisme ainsi conçu devant être mieux à même de dessiner le véritable paysage théâtral français. Etape suivante; l’ensemble de toutes ces nominations est ensuite envoyé aux membres de l’académie soit 1800, répartis entre plusieurs collèges: théâtre privé, théâtre public, et personnalités qualifiées choisies parmi des artistes, comédiens, auteurs, adaptateurs, collaborateurs artistiques, journalistes, attaché(e)s de presse.. Mais les artistes au sens sens strict du mot représentant au minimum 50 % des membres.

  Il y a aussi maintenant un Molière du Théâtre dit Jeune Public; 21 représentants, choisis par Irène Ajer et par Geneviève Dichamp, soit un par région, votent à bulletin secret pour quatre spectacles , c’est une procédure indépendante des précédentes…

Voilà: désolé, c’était un peu long mais ce n’est pas si simple à expliquer  quand on veut faire simple . Mais  maintenant,  vous savez presque tout . Non pas tout.. Et le fric, du Vignal, le fric? Doucetiqilsor ? Pas de la poche de Carlita mais de France-Télévisions, de l’Etat, de la Ville de Paris, de la Société des Auteurs et du Fonds de soutien au Théâtre privé, le tout représentant quelque 350.000 euros… Ce n’est pas si cher quand on voit les sommes dépensées pour le Festival de Cannes , haut lieu promotionnel du cinéma français! La perspective à court terme, rappelle Irène Ajer, est de viser le meilleur choix possible et à réconcilier , comme le souhaite le Ministère de la Culture ,le théâtre public et  le théâtre privé. Comme disait Antoine Vitez à propos de ses élèves:  » au moins, ils se seront rencontrés là… Mais il y a encore des kilomètres à parcourir…

  Il y a, cette année, trente trois spectacles déjà nommés des théâtres privé et public réunis. Et les récompenses devraient logiquement être équilibrés. Les pronostics ,du Vignal?  Sans aucun doute Baby Doll de T. Williams , même si la pièce pouvait être mieux servie par la mise en scène. Et puis, côté public, Le Tartuffe, monté par Stéphane Braunschweig. Et dans cette catégorie ressuscitée  du théâtre comique Les Cochons d’Inde avec Patrick Chesnais. 

  Quant aux déclarations de Patrick de Carolis faisant semblant de croire que la réforme de l’audiovisuel pourra élargir le spectre de la programmation théâtrale, mieux vaut se pincer pour ne pas rire… Ce n’est déjà pas si mal que les Molières signifient de nouveau quelque chose après nombre d’années fort approximatives. A chaque jour suffit sa peine, comme disait ma grand-mère… Bon vent, Irène Ajer!

Philippe du Vignal

Nuit des Molières le dimanche 26 avril (pour la première fois un dimanche) au Théâtre de Paris ou pour la France d’en bas- y compris les Caterpillars) sur France 2,  à 20 h 30.

Quartett

  Quartett d‘Heiner Müller, texte de Jean Jourd’heuil et Béatrice Perregaux, mise en scène de Fargass Assandé.

 

  Heiner Müller était né en 29 et est mort en 95; déchiré entre les deux Allemagnes ( Ouest et Est pour ceux qui n’ont pas connu cetimage21.jpgte époque), il adapta plusieurs tragédies grecques, traduira ou réécrira des pièces de Shakespeare; il fut aussi dramaturge au très fameux Berliner Ensemble de 70 à 76 et  à la Volksbühne après 76 puis ses premières pièces, Traktor , Germania  et Mort à Berlin  furent créées par Karge et Langhoff à Berlin et à Munich par Ernst Wendt.

Mais, curieusement,  Muller ne s’enfuira pas, comme beaucoup d’autres,  d’Allemagne de l’Est et écrira plusieurs pièces qui firent date dans l’histoire du théâtre contemporain comme Hamlet Machine créée à Paris par Jean Jourdheuil, puis La Mission, et ce fameux Quartett ( 1980) inspiré  du célèbre roman de Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, écrit exactement deux siècles avant. C’est un peu la pièce culte de cet écrivain, à l’intelligence et au sens du théâtre remarquables, que je n’ai malheureusement rencontré qu’une seule fois. Quartett  a été mise en scène, notamment  par Bob Wilson avec Isabelle Huppert et Ariel Garcia Valdes ,puis par Hans-Peter Cloos avec Dominique Valadié et Niels Arestrup, par Langhoff aussi avec Muriel Mayette et François Chattot , et lue par Samy Frey et Jeanne Moreau au Festival d’Avignon . Bref, que du beau monde… Mais  la pièce n’est pas facile à monter…Et tout le monde n’est pas Bob Wilson!
  Il n’en fallait pas tant- et c’est tant mieux- pour impressionner  Fargass Assandé, comédien et metteur en scène ivoirien qui a décidé avec sa petite compagnie de s’emparer du texte de Müller, et qui a réussi à faire coproduire son spectacle par la comédie de Caen et par les centres culturels français de Ouagadougou, Bamako, Niamey et…par  Cahors. Les trois autres comédiens: Odile Sankara est Burkinabé, Mbile Yaya Bitang est Camerounaise, Ibrahim  Malangoni est Nigérien.
  Le texte est relativement court (quelque vingt pages) mais d’une densité et d’une dureté impitoyable où l’on dit les choses sans détour, qu’il s’agisse du sexe, de la mort omniprésente et de l’impitoyable pouvoir que les humains exercent sur d’autres humains. C’est comme une sorte de précipité des Liaisons dangereuses  à l’heure où les deux vieux complices/amants/ennemis se retrouvent pour régler les soldes de tout compte entre leurs relations pour le moins ambigues. Cela se passe dans un salon d’avant la Révolution française puis dans un bunker après la troisième guerre mondiale, dit curieusement  Müller; c’est à dire, en fait partout et nulle part.
  Fargass Assandé a décidé  de projeter ce qu’il appelle un conflit de société, qui est plutôt un conflit entre des êtres humains qui ont fait de leur vie un théâtre cruel où tous les coups, même s’ils sont feutrés, sont absolument permis. Quartett est une sorte de transgression par le biais de la parole. Valmont et Merteuil ne se font aucun cadeau même s’il reste encore, semble-t-il, de leur passion défunte une belle nostalgie: » Ah! l’esclavage des corps, le tourment de vivre et de ne pas être Dieu. Avoir une conscience et pas de pouvoir sur la matière », dit la marquise de Merteuil, après avoir déclaré sans scrupules à Valmont: « Pourquoi vous haïrais-je. Je ne vous ai jamais aimé ». Erotisme et sensualité,passion des corps et cynisme de l’esprit : Heiner Müller ne craint pas d’employer  les mots les plus crus: « Notre mémoire a besoin de béquilles: on ne se souvient plus des diverses courbes des queues sans parler des visages: une ombre ». C’est écrit au scalpel et l’on comprend que nombre de metteurs en scène aient eu envie de monter ce texte magnifiquement traduit Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux.
  Que pouvait en faire un metteur en scène  comme Fargass Assandé qui tenait à le situer dans un contexte africain avec des comédiens issus de différents pays qui possèdent en commun non seulement la langue mais la culture française? Cela valait le coup d’y aller voir; il dit en effet  que les personnages de Laclos revus et corrigés par Heiner Müller peuvent très bien être ceux qu’il appelle  » les émancipés noirs d’aujourd’hui » avec leur perversité, et leurs désirs profonds »  qui sont les mêmes que ceux de leurs homologues européens, Merteuil et Valmont, les chefs d’orchestre de ce jeu malsain ,ne cachent-ils pas un ministre, un député ou un riche commerçant de nos tropiques ».

  Bref, le sexe et la mort, vieux complices de « ces gens de la haute qui n’ont rien d’autre à faire que de se pervertir et pervertir le monde », ajoute Fargass Assandé ,rejoignant la phrase de Müller: « notre métier sublime, à nous est de tuer le temps ». D’un côté ,les puissants et les riches qui peuvent se permettre de jouer avec leur corps, et puis  les autres priés de s’en servir, quitte à les maltraiter, pour faire tourner la société. Autrement dit, les » deuxièmes bureaux » comme on dit au Bénin, les jeux sexuels entre gens qui possèdent le pouvoir politique et social, les jeune filles qu’un personnage important séduit sans  scrupule, grâce à son argent et à ses relations… Rien ne change vraiment , que ce soit au 18 ème siècle, ou après, dans les beaux appartements parisiens, ou dans les  capitales africaines actuelles.
  La mise en scène de Fargass Assandé est d’une rigueur exemplaire; chez Müller, ne sont en scène que Valmont et la Merteuil; il a choisi, lui, de placer côté jardin les deux protagonistes qui jouent leurs personnages en mimant parfois l’autre (Merteuil imite Valmont séduisant Madame de Tourvel  incarnée par Valmont ). Dans un décor miminal: un canapé en cornes et peau de zébu posé sur un tapis de chèvre et mouton.Mais Assandé a aussi choisi d’installer, comme en miroir, un autre couple côté cour, juste assis sur un tronc d’arbre, qui est  comme une extension en images et en mots des sentiments de Valmont et de Merteuil.  Soit la jeune Cécile de Volanges et la Présidente de Tourvel, sorte de victimes expiatoires.Les deux couples ayant de beaux costumes identiques pour renforcer encore l’effet miroir.

  Tout est permis, surtout avec ce type de texte, mais il n’est pas certain qu’ici, cela fonctionne tout à fait. On comprend bien ce qu’a voulu faire Assandé : ne pas raconter vraiment une histoire, éviter  le piège de l’exotisme africain et construire une mise en scène qui irait vers une transgression du texte.
   Mais cet exercice de style autour d’un double anéantissement, était-il bien nécessaire? Pas si sûr mais, en tout cas, l’exercice en question est du genre  virtuose, même si les faibles lumières qui devraient selon Fargass Assandé,  aider au découpage de l’espace et raconter l’opposition des sexes, sont plutôt ratées. Mais, aucun doute là-dessus, le metteur en scène sait diriger ses comédiens, notamment Odile Sankara / Merteuil  qui a souvent joué en France avec  Pierre Guillois, Jean-Lambert Wild, et Jean-Louis Martinelli.Et , comme il y a un excellent rythme, le temps passe très vite.
  Alors, à voir?   Oui, si vous avez envie de voir le travail intelligent et subtil  d’une jeune compagnie africaine, et/ou de découvrir la pièce finalement peu jouée , ou enfin de la redécouvrir sous un autre jour.

 

Philippe du Vignal

 

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Le spectacle, créé à Ouagadougou le 6 février dernier et a été joué un partout en Afrique de l’Ouest; les représentations ont lieu jusqu’au 7 mai à la Comédie de Caen, puis le 13 mai à Cahors et le 1 er, le 2 et 3 octobre aux Francophonies de Limoges.

Si vous avez un euro à dépenser, achetez le petit carneum où il y a quelques beaux textes , notamment  celui d’Odile sankara, un entretien de Farkass Assandé avec Jean-Pierre Han ou encore, à propos de Müller, celui de Jean Jourdheuil.

La Grande Magie

La Grande Magie, d’Eduardo De Filippo, texte français d’Huguette Hatem, version scénique d’Huguette Hatem et Dan Jemmett, mise en scène de Dan Jemmett.

 

grandemagie.jpgDu célèbre auteur/acteur/ metteur en scène napolitain ( 1900-1984), fils naturel, comme on disait autrefois, du grand acteur Eduardo Scarpetta, on ne connaît en France que peu de pièces: Filumena Marturano, Samedi, dimanche et lundi, Sik-Sik et cette Grande Magie qui est sans doute la meilleure. Nous vous avions déjà rendu compte de cette pièce en janvier dernier quand Laurent Laffargue l’avait créée au Théâtre de Boulogne-Billancourt; donc nous vous resservons sans scrupules l’argument de la pièce avant de vous parler de l’excellente mise en scène de Dan Jemmett.
L’histoire se passe évidemment à Naples, dans les années 30, au Grand Hôtel où l’on annonce aux bourgeois en villégiature, que le célèbre magicien Otto, doit présenter le soir même un spectacle « de tout premier ordre ». Mais le pauvre Otto, accompagné de quelques compères et de sa femme plus toute jeune mais qui cherche encore à séduire, est , en fait, un artiste de dernière catégorie, condamné aux tournées minables et couvert de dettes,et nqui ne mange pas tous les jours à sa faim.
C’est dire qu’il est prêt aux  arrangements douteux qui pourraient lui rapporter quelques billets… Justement, cela tombe à pic: le photographe local voudrait bien se retrouver en tête à tête avec Marta, la jeune et belle épouse de Calogero dont il est l’amant. Otto , après plusieurs tours de prestidigitation un peu  faciles, choisit Marta dans le public et la fait disparaître dans un sarcophage” égyptien”, absolument authentique comme il le prétend, équipé d’une porte de fond qui permettra à Marta de se faire discrètement la belle avec son amant pour quinze minutes … Mais il ne respecte pas le contrat et part avec elle pour Venise. Sale temps pour les mouches et pour Otto… qui reste cependant impassible.
Calogero exige en effet très vite qu’il fasse réapparaître sa femme. Otto essaye alors de le persuader que le tour prend plus de temps que prévu et que… bon, on ne va pas tarder à la revoir! Le mari méfiant, appellera un inspecteur de police à qui, très discrètement, Otto, déjà  presque accusé de meurtre, dévoilera les coulisse de l’histoire. Il y a du drame, de la comédie mais aussi une grande poésie dans cette galerie de personnages aussi fantasques qu’attachants.
Quant à Calogero, Otto lui expliquera avec beaucoup de conviction et d’habileté qu’il est l’objet d’hallucinations et que c’est lui-même, le mari qui a, en réalité, fait disparaître son épouse. Au bord de la folie, Calogero s’isole chez lui, en proie à la colère de sa famille qui le trouve tout à fait dérangé mais Otto lui dit que tout cela n’est qu’une question de temps soumis à variation selon les individus… Il réussit même à lui soutirer un chèque important pour rembourser une dette en lui faisant croire que tout cela fait partie d’un jeu. Et Calogero signe sans  méfiance… “Tu crois que le temps passe mais ce n’est pas vrai, le Temps est une convention; si chacun de nous vivait sans engagements, sans affaires, je veux dire une vie naturelle primitive, toi, tu durerais sans le savoir“. Donc le temps, c’est toi“.  La fin? Assez merveilleuse et amère à la fois,  mais on vous en a déjà trop dit…..
Là où de Filippo frappe très fort, c’est quand il montre « que la vie est un jeu et que ce jeu a besoin d’être soutenu par l’illusion qui ,à son tour, doit être alimenté par la foi » . Effectivement, le pauvre Calogero  n’ a qu’un seul besoin: croire, mais croire à tout prix que sa femme ne l’a pas quitté pour un autre homme, et  Otto est assez roublard et perspicace pour l’avoir bien compris depuis le début et  pour l’impliquer dans cette disparition. Il arrive même à le convaincre que sa femme ou son avatar est enfermée dans une boîte qu’il ne doit jamais ouvrir… Mais la vie n’est pas si simple et Otto se trouvera  beaucoup plus impliqué qu’il ne pouvait le soupçonner dans toute cette affaire. Naïf, Calogero? Pas plus que ceux qui ne résistent pas au charme de nombreux escrocs patentés qui jouent sur l’aveuglement de leurs victimes en leur faisant miroiter des gains fabuleux à condition qu’ils leur fassent  confiance.

De Filippo, qui savait  observer comme personne ses contemporains riches ou pauvres, vieux ou jeunes, se révèle, ici un dramaturge de premier ordre qui sait finement jouer de la frontière entre illusion et réalité, entre folie et normalité, entre grotesque et tristesse,entre passé et avenir, en donnant vie à ces personnages qu’il devait rencontrer au quotidien dans Naples mais qu’il savait rendre exceptionnels comme Otto ou Calogero, dont on demande parfois qui manipule l’autre… Ce n’est pas pour rien, car il devait s’y retrouver, que Pirandello admirait de Filippo. Reste à donner une unité à cette suite d’événements poétiques, et il faut de grandes qualités pour  mettre en scène cette Grande Magie  qui dure, dans sa version complète, plus de deux heures,comprend quelque dix sept personnages,où les tours de magie,  au début de la pièce,  doivent servir de fil rouge s’emparer sans  manger le texte, où  le rythme ne doit pas faiblir pour ne pas nuire aux nombreux rebondissements… Illusion et réalité du quotidien de l’illusionniste, pauvre bougre obligé de gagner le pain de ses compères et de sa femme. La pièce est séduisante mais pas si facile à monter! 

Dan Jemmett, en tout cas, s’en est emparé avec une indéniable maîtrise, en particulier dans la direction d’acteurs. Hervé Pierre (Otto Marvuglia)  atteint une perfection dans le rôle; il a une présence singulière dès les premiers instants où il arrive sur le plateau: tour à tour, roublard, séducteur, angoissé, il décline une palette de sentiments tout à fait étonnante et son complice Denis Podalydès n’ a jamais été aussi meilleur dans ce rôle de mari naïf et obsédé par son idée fixe: il en devient même parfois  inquiétant, quand il a ce regard  que l’on retrouve chez les patients atteints de démence frontale. Vraiment du grand art d’acteur à la fois empreint d’une technique parfaitement maîtrisée et d’une magnifique sensibilité.

Les deux  sont comme deux frères embarqués dans une drôle de galère: l’un sans aucun moyen financier, a perdu la femme de l’autre qui a de l’argent et qui ne comprend absolument rien à l’histoire qu’il est en train de vivre. Il y a aussi Il y aussi autre chose de fascinant  qui n’est pas si courant à la Comédie-Française, C’est l’unité de jeu que Dan Jemmett à réussi à donner au spectacle: on voit que les comédiens ont du plaisir à jouer ensemble et quand ils ne jouent pas dans une scène,  ils sont d’une extrême attention à tout ce qui se dit sur le plateau. Et les derniers spectacles de la Comédie-Française auraient plutôt prouvé le contraire.

  Jamais depuis bien longtemps la troupe n’avait su être autant à cette hauteur pour créer un spectacle d’un dramaturge contemporain ou non. Au chapitre des inévitables réserves , comme dit habituellement Philippe du Vignal: un début mou du collier, en partie dû à une scène d’exposition que de Filippo a eu un peu de mal à construire ,une scénographie pas vraiment réussie qui reste entre le deuxième et le premier degré, des coupures  qui font sauter  quelques nuances du texte, et sans doute parce que Jemmett n’a pas pu faire autrement, les personnages de la fin qui sont joués par certains acteurs du début : il n’est pas évident que les spectateurs non initiés s’y retrouvent bien dans ces identités; Jemmett va même jusqu’à faire jouer l’Inspecteur à Cécile Brune qui joue aussi deux autres petits rôles… ce qui n’était sans doute  pas l’idée du siècle.

  Reste que, malgré ces réserves, c’est  une vraie, grande et belle mise en scène que peu de gens auraient été capables de faire. Ce qui ne diminue en rien les qualités de celle de  Laurent Lafargue qui avait ,lui aussi ,bien réussi son coup, avec un Daniel Martin extraordinaire mais avec un jeu tout à fait différent de celui d’Hervé Pierre. Alors à voir? Oui,sans restriction aucune… si vous  arrivez à avoir des places, mais en vous y  prenant à l’avance…En tout cas, la pièce  nous aura enchanté par deux fois cette saison.

Qui a dit que le théâtre ne se portait pas bien?  Oui, sans doute quand les textes n’ont aucun intérêt, mais Dan Jemmett et Eduardo de Filippo nous offrent un spectacle à la fois populaire , jamais vulgaire et d’une grande intelligence. La loge dite du Président de la République était vide l’autre soir; alors,tiens, une idée de sortie pour Carlita accompagnée de l’Albanel de service qui pourrait se  faire un plaisir d’inviter une dizaine de Caterpillars. Allez un bon geste,Muriel Mayette, cela leur changera les idées,surtout si l’Elysée leur offre un petit cocktail après la représentation…

 

Philippe du Vignal

Comédie-Française, salle Richelieu,en alternance

Somewhere… la Mancha

Somewhere… la Mancha
Librement adapté de Don Quijote de Cervantès par Irina Brook et Marie-Paule Ramo
mise en scène Irina Brook.
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    Irina Brook ne cache pas qu’elle est fille de Peter Brook et de l’actrice Natasha Parry. Sa dernière création pourtant n’ajoute pas de lauriers au  patrimoine théâtral familial. On n’hérite pas forcément du talent de ses parents! 

L’ambition d’Irina Brook est « de faire un théâtre accessible à l’ensemble des strates du public de théâtre sans aucune autre distinction. » Mais c’est plus compliqué que cela, et un théâtre pour tout public n’est pas synonyme de théâtre nivelé, ramené à un produit prêt à consommer, à un fast-food culturel. Après En attendant le songe, version digest pour tous du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, voici venu le tour du chef-d’œuvre de Cervantès de passer à la moulinette du comics dans le plus pur style américain. Un coup de grâce pour l’héroïque Chevalier à la Triste Figure.
Dans Somewhere… la Mancha , c’est en Amérique d’aujourd’hui que le mythique couple Don Quijote et Sancho Panza va vivre ses aventures, accompagnées de musiques bluegrass gospel, et agrémentées de numéros de cirque, de music-hall et mais aussi de clichés sur la réalité américaine vue d’Europe, bref une sorte de road- movie américain. Une disribution  sur mesure pour incarner la mosaïque culturelle et linguistique de la société américaine : six acteurs d’origine différente , parlant français, québécois, américain avec tout un registre d’accents, espagnol et même polonais. Ce mélange de langues et d’accents, par moments cacophonique, incompréhensible, n’est sans doute  pas une bonne idée. Augustin Ruhabura (Rwandais) interprète Don Quijote, et Gérald Papasian (Arménien) Sancho Panza, Lorie Baghdasarian (d’origine arménienne), Jerry Di Giacomo (Américain), Christian Pelissier (Français), Bartlomiej Soroczynski (d’origine polonaise) jouent les autres personnages sur le mode réaliste, expressif, parfois  outré. « Ce qui nous frappe dans l’extraordinaire récit de Cervantès – explique Irina Brook, c’est la modernité du thème et la vitalité, d’ailleurs très shakespearienne, du texte ».

  Pour nous en convaincre, dans son spectacle , Don Quijote combat les injustices de la société contemporaine et Sancho Panza, apprenti acteur, tente à plusieurs reprises, sans succès, de venir à bout d’une tirade de Shakespeare. Dans l’espace quasi mythique du Théâtre des Bouffes du Nord, pas de décor : quelques chaises, des  sièges pliants apportés à certains moments, des tonneaux métalliques figurant un bar, une toile cirée servant de lit de fortune, un chariot et ,au fond,  une toile tendue sur laquelle on projette un moulin  pour  la scène au Moulin Rouge. Les bruits de la circulation urbaine, les sirènes de police, évoquent l’univers sonore du cinéma américain.

Les costumes, mélange de vêtements actuels de  style country et western, blue-jean, chapeau de cow-boy. Don Quijote en veste, maillot de corps troué, Sancho Panza en jean à bretelles, tee-shirt. Un couple de clodos SDF new yorkais. : Quijote, chômeur, lit des romans de chevalerie qu’il traîne dans une valise à roulettes, Sancho Panza avec sa guitare et un caddie de supermarché, rêve, lui, d’être acteur, mais ils sont chassés par le propriétaire de la maison devant laquelle ils campent. Ils décident alors de partir pour la Californie, une Mancha moderne. Don Quijote  est  là pour accomplir quelques glorieuses actions en pourfendant des injustices, Sancho pour faire carrière à Hollywood.

  Une jeune fille,  rencontrée sur la route, fera l’affaire pour devenir l’incomparable Dulcinée. Suit une série d’aventures traitées avec humour, quiproquos, parfois réussis. Rencontre dans un bar et adoubement de Don Quijote à l’aide d’un drapeau américain noué sur son cou , par une bande de motards qu’il prend pour des chevaliers. Quijote et Sancho affamés rencontrent un vendeur de hot-dogs qu’ils ne payent pas, ce qui vaudra au vendeur une raclée de son patron. On assiste ainsi à bien d’autres situations dans lesquelles Don Quijote intervient en croyant défendre une bonne cause et ne cesse de prendre des coups, victime de son idéalisme héroïque. Tout cela entrecoupé de danses et de chansons  folk américain, d’aphorismes de Woody Allen, de blagues usées du niveau d’une émission télévisée dite populaire, d’anecdotes sur les stars et sur les « beautyful people » d’Hollywood, dont la répétition nous ennuie.

  L’aventure des moulins, transposée au Moulin-Rouge, donne lieu à une parodie caricaturale des numéros d’un acrobate, d’un ventriloque avec un singe qui prédit le passé et le présent, d’un flamenco à l’américaine exécuté par une danseuse en minijupe, bottes et chapeau de cow-boy etc. Une Amérique « typique », avec ses mythes et ses clichés touristiques au complet. Notre couple rencontre même un Amish, des hippies, goûte aux cookies, Sancho Panza apporte un joint à Quijote exténué qui réclame un élixir pour guérir, etc…

   Arrêtés par un policier qui les prend pour de dangereux terroristes,  ils apprennent qu’ils se trouvent toujours dans les alentours de New York, loin de la Californie. Sancho renonce à son rêve d’acteur célèbre à Hollywood, Don Quijote à celui de glorieux chevalier et, mourant, est emmené dans un  chariot de supermarché par son fidèle compagnon. On pourrait y voir la métaphore du traitement infligé par Irina Brook au mythe du héros cervantesque, ramené ici à un produit de supermarché culturel. Mais ce théâtre , à force de vouloir faire populaire,  tombe dans le panneau du populisme. Au lieu de consommer ce « théâtre McDonald », mieux vaut  relire Don Quijote de Cervantès et les romans de Jack Kerouac.

Irène Sadowska Guillon

Somewhere… la Mancha
de et mis en scène par Irina Brook
du 14 avril aux 9 mai 2009 au Bouffes-du-Nord à Paris

Salle des fêtes

  Salle des fêtes, un spectacle de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff.salledesfetes4copie.jpg

    Cela fait presque trente ans qu’on les connaît et le premier spectacle Boulifiche et Papavoine de Jérôme Deschamps avait eu lieu dans ce même théâtre quand Antoine Vitez en avait pris la direction…. Depuis la roue a tourné: quelque vingt spectacles, dont plusieurs opéras, (Jérôme Deschamps est devenu directeur de l’Opéra-Comique) dont  Les Précipitations, C’est magnifique, Les Pieds dans l’eau et le très fameux Lapin-Chasseur créé dans cette même salle Jean Vilar;  Canal + s’est fait aussi un plaisir d’aller chercher ces comédiens hors normes dont la plupart  ont fait depuis un beau parcours:  Jérôme Deschamps, bien sûr, Michèle Guigon,  comédienne et metteuse en scène, Philippe Morel, comédien, Yolande Moreau,  comédienne et réalisatrice de films, Olivier Saladin, comédien, Philippe Duquesne qu’on a pu voir récemment dans La Cerisaie, mise en scène d’Alain Françon, et Lorella Cravotta que l’on retrouve dans cette Salle des Fêtes

  Les Deschiens, c’était eux, cette pathétique galerie d’être humains à l’intelligence comme au vocabulaire et à la diction très limités,  à la ridicules et émouvants,  et habillés par Macha Makeïeff d’invraisemblables vêtements à fleurs, à poix ou à rayures, aux couleurs discordantes tels qu’on en voyait dans le catalogue de La Redoute ou de la feue Camif des années 50-60. Et en général, sévèrement dirigés par un patron ou une directrice hurlant ses ordres auxquels ils n’obéissaient jamais, en se contentant de grommeler. Du côté du matériel,, rien n’était non plus dans l’axe: portes à battants que l’on reçoit dans le nez, début d’incendie, fumées, chutes d’appliques lumineuses, et recours fréquent au coup de rouge qui tache,sur fond d’accordéon et de chansons populaires. D’année en année, Jérôme Deschamps, ET Macha Makeïeff à qui ces spectacles doivent énormément pour la scénographie, ont peaufiné leurs méthodes de travail, et il y a peu des spectacles où tout soit en apparence aussi bordélique et aussi magnifiquement mis en scène, joué et chorégraphié, bref, un vrai travail d’orfèvre dont fait partie Salle des Fêtes.
    Le rideau se lève dans un bruit d’enfer; nous sommes dans une espèce de hangar / salle à tout faire dont des fêtes, avec, dans un coin, un petit bar minable avec trois tabourets hauts couverts de skaï rouge, un petite calculatrice à ruban de papier, un poste de télévision de surveillance en noir et blanc un peu partout des bidons de plastique ( dont certains ne sont pas d’époque comme ceux pour poêles à pétrole, on aurait bien aimé ne pas voir cette horrible morceau trapézoïdal de table de conférence  rescapée des greniers de Chaillot et repeint en vert) . Désolé, chère Macha, mais j’ai l’oeil; côté cour, deux portes à battant un peu basses, un petit podium pour  quelques musiciens… Derrière le bar, un gros chien que l’on ne verra jamais, et qui  ne cesse de faire bouger sa chaîne. Et la patronne: madame Cravotta, qui se prend pour la grande chef de cet endroit minable , donne ses ordres par interphone à une tribu de jeunes gens venus probablement là essayer qui, son air de guitare électrique, qui, sa petite chanson ou sa danse dans l’espoir de passer le soir de la fête. Sont convoquées les grands tubes des Rita Mitsouko, Nirvana, mais aussi  des airs disco; Bob Marley aussi bien que Claude François et le fameux  El Condor Pasa de Paul Simon… Bref tout est bon et le public, pas très jeune et ravi de récupérer quelques bribes de sa jeunesse passée,  applaudit pratiquement à la fin de chaque air…
   Quant à Lorella Cravotta, elle joue avec un plaisir non dissimulé son rôle de patronne qui s’emmêle dans ses comptes et qui dicte ses ordres dans le vide , accablant sa pauvre serveuse de sarcasmes et de mépris. L’ancienne élève de  Claude Régy au Conservatoire, qui, à l’époque faisait plutôt dans la tragédie, se livre ici, comme autrefois dans Lapin Chasseur, à un numéro prodigieux d’intelligence verbale et gestuelle. Et il en faut une sacrée dose pour jouer les cintrées de son espèce. Et elle est d’autant plus remarquable qu’elle est presque  toujours seule sur ce plateau qui a 18 mètres d’ouverture… Et elle a cette  maîtrise impeccable du jeu qu’elle impose dès le début, et qui maintient le spectacle en équilibre jusqu’au bout. Deschamps lui doit une fière chandelle comme on dit.
   Mais comme les jeunes comédiens danseurs : Tiphanie  Bovay-Klameth, David Déjardin, Catherine Gavry, Hervé Lassince, Gaël Rouilhac et Pascal Ternisien, ont aussi du talent à revendre, la petite affaire fonctionne à peu près,parce que tout est supérieurement dirigé: on ne rit pas vraiment mais on ne s’ennuie pas non plus, du moins pendant les cinquante premières minutes.  Malgré les gags qui se répètent un peu trop,  il y a quelques moments jubilatoires comme ce lancer  d’oranges qui vont finir dans une lessiveuse pour une sangria douteuse que  va préparer avec  les pieds, Stéphanie, la pauvre serveuse souffre-douleurs, ou cette parodie déjantée de danse africaine. Mais, en général, les dernières quarante minutes  du spectacle ont du mal à s’imposer et révéleraient , s’il en était encore besoin, les défauts de la cuirasse…
  Tant pis: on va jouer aux vieux cons qui en ont beaucoup vu, mais, très franchement, quelle que soit et la qualité de la mise en scène et de la scénographie, quelle que soit le talent de ces comédiens – Cravotta en tête- qui ne quittent pas un instant leur personnage, on a un peu l’impression que Jérôme Deschamps nous recycle ses vieilles recettes qui ont bien marché. Pas un seul gag comique,qu’on n’ait déjà vu chez lui, pas un petite chorégraphie ou une mise en valeur de comédiens qu’il n’ait déjà utilisée, pas un moment d’émotion ou de délire poético-comique qui n’ait déjà servi… Bref, pour dire les choses un peu crûment, il y a un un sérieux manque d’inventivité et les choses  semblent vite plombées.
  Certes le répertoire de gags n’est pas illimité, (chaque artiste comique a allègrement pillé ses prédécesseurs ), puisqu’en général, il s’appuient sur l’inattendu mais, quand même, là, on reste un peu sur sa faim.salledesfetes1.jpg
  De plus,il y a  une erreur de construction qui ne pardonne pas: Lorella Cravotta joue son sketch, puis un des jeunes gens arrive avec son petit air de guitare,  sa chanson ou sa danse, puis on remet le couvert: Lorella Cravotta revient en en maltraitant  sa serveuse, puis une fille improvise une petite danse, etc.. Il y aussi un petit clin d’oeil sur le spectacle contemporain qui réjouit les seuls initiés, c’est à dire une poignée  de spectateurs. Ouf! Tous aux abris! Ce genre de mille-feuilles ne fonctionne pas  et Jérôme Deschamps  a prouvé, surtout jusque vers  les années 2000, qu’il savait faire beaucoup mieux que cela, en créant de véritables scènes presque muettes à plusieurs personnages ,d’un comique tout à fait magistral.
 Mais on dirait qu’absorbé par ses multiples tâches: installation de la Villa Arpel de Mon Oncle au 104, rétrospective Tati à la Cinémathèque française, Direction de l’Opéra Comique- Jérôme Deschamps ait conçu et réalisé ce dernier spectacle dans l’urgence et en utilisant ses bonnes vieilles recettes qui ont autrefois fait la preuve de leur efficacité.Eh! Bien non, le compte n’y est pas vraiment. Il y a aussi une question de dimensions : tout se perd un peu sur cet immense plateau, même quand on en réduit la profondeur, et la salle Gémier,  où il avait créé l’excellent Les Pieds dans l’eau, aurait sans doute été mieux adaptée. Question de durée aussi:  cette heure et demi, on l’a dit, n’en finit pas de finir et l’on quitte la salle en se demandant ce qu’on a bien pu vouloir nous dire en essayant de nous amuser.
  Comme le public hier dimanche après-midi n’était pas trop difficile, cela passait à peu près (mais les applaudissements n’étaient quand même pas enthousiastes) mais, vingt minutes avant la fin, on avait envie de siffler la fin de  partie. En fait, tout se passe comme s’il y avait du troisième degré dans l’air: Jérôme Deschamps regardant ses spectacles d’autrefois qui, eux-même, regardaient une réalité d’autrefois: et là, cela ne fonctionne plus vraiment, malgré la virtuosité des interprètes et un travail technique magistral: rendons hommage aux techniciens remarquables mais invisibles du plateau qui participent à cette mécanique superbement rodée.
  A voir? Oui, si vous n’êtes pas très  exigeant et qu’une grande salle pas trop pleine ne vous fait pas peur quand il s’agit d’un spectacle comique. Mais si  vous ne  connaissez pas encore Macha Makeïeff et  Jérôme Deschamps , invitez plutôt quelques bons copains, offrez-vous une sangria correcte et partagez ensemble la découverte de leurs précédents spectacles devant un grand  écran, ( les DVD ne manquent pas) ;certes, ce n’est pas du spectacle vivant mais, croyez-moi, j’en ai fait l’expérience avec des groupes d’étudiants, cela marche tout à fait bien…Et cela vaut mieux que cette sauce souppe réchauffée… regrets que qui l’enfer se donde disait Apolinnaire.

Philippe du Vignal

Théâtre national de Chaillot, jusqu’au 16 mai; et exposition de la Villa Arpel de Mon Oncle,au 104 (Paris 19 ème) et exposition Jacques Tati à la Cinémathèque française: Deux temps, trois mouvements.

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