Des utopies ?

Des utopies ?
Textes et mise en scène Oriza Hirata, Amir Reza Koohestani et Sylvain Maurice

utopies4.jpgÀ l’origine du spectacle une « utopie » de théâtre, projet rassemblant trois auteurs – metteurs en scène : Oriza Hirata (Japon), Amir Reza Koohestani (Iran), Sylvain Maurice directeur du CDN de Besançon et trois acteurs de la compagnie de chacun d’eux, formant une troupe trilingue, pour aboutir à une création qui croise des artistes de langues et de cultures très éloignées et totalement étrangères les unes aux autres.
Le travail entamé en 2006 au Nouveau Théâtre de Besançon à débouché sur la création Des utopies ? en janvier 2009 à Besançon. L’utopie non pas comme sujet traité mais comme l’utopie d’un travail commun au plateau dans une expérience concrète.
Le principe du travail : chaque auteur – metteur en scène invente une forme théâtrale d’environ 45 minutes mêlant le japonais, le farsi et le français et composant un seul spectacle joué par la troupe trilingue des acteurs. La scénographie commune et les lumières étant assurées par Éric Soyer.
Sylvain Maurice a écrit le prologue et l’épilogue du spectacle. À la première partie, une comédie Noël à Téhéran d’Oriza Hirata, répond en contrepoint dans la deuxième partie, la pièce d’Amir Reza Koohestani sur l’envers du décor dont l’action se passe dans les coulisses pendant que se joue la pièce d’Oriza Hirata.
Fiction de théâtre et réalité du travail théâtral, en l’occurence celle de ce projet, et réalité tout court s’interfèrent. Dans le prologue, devant le rideau fermé, le directeur du théâtre fait un discours d’ouverture des Ieres Rencontres Internationales de Théâtre de Besançon, salue les officiels politiques et les responsables culturels de la ville et de la région, présente le projet utopique. Son discours alambiqué dérape, s’emmêle dans les contradictions.
Le rideau s’ouvre sur un décor réaliste d’un hall d’hôtel d’une station de ski près de Téhéran : chaises, tables, canapé, au milieu un sapin de Noël rachitique décoré. Un espace semi-public coutumier du théâtre d’Oriza Hirata. Le personnel et les hôtes venus pour y passer Noël s’y croisent : un employé, le propriétaire de l’hôtel et sa femme, iraniens, l’investisseur japonais avec sa femme et une Japonaise responsable des services, un Français travaillant à l’hôtel rejoint par sa femme et la sœur de celle-ci dont il est amant. Chacun parle dans sa langue essayant de comprendre l’autre. Des propos échangés : présentations, clichés habituels, tentatives de nouer des conversations, parfois quelques confidences et conflits personnels affleurent : le Français s’entête à faire comprendre aux autres l’histoire de la chansonnette de son enfance sur le renne au nez rouge, on compare les traditions de Noël respectives, le propriétaire de l’hôtel, hospitalité orientale oblige, distribue des cadeaux à ses hôtes etc. On recourt à un english rudimentaire et au langage maladroit des gestes, tentant de pallier aux difficultés de communiquer, aux incompréhensions et aux quiproquos parfois hilarants.
En deuxième partie nous sommes dans les coulisses pendant la dernière représentation de Noël à Téhéran d’Oriza Hirata, dont on perçoit, à travers une toile de fond plus ou moins transparente, quelques silhouettes et par moments des bribes d’échanges et la chanson.
Les acteurs portent leur propre nom, se préparent à entrer en scène. On voit leurs difficultés à nouer des relations, à parler aux autres, les trois groupes s’observent, restent à distance comme si une invisible frontière se dressait entre eux.
Ils parlent entre eux de leurs vies, de leurs problèmes, de leurs projets ou de l’absence de projets. Au terme de cette expérience de vie et de création commune les contradictions, les décalages entre leurs cultures apparaissent inévitablement. L’acteur iranien, tenté de rester, ne voit pourtant aucun avenir pour lui en tant qu’acteur ni ici ni dans son pays. L’Iranienne questionne sa place au théâtre, le port du foulard et ses convictions religieuses l’empêchant de jouer certains rôles. En même temps elle remarque l’artifice dans le port du foulard chez les Françaises et les Japonaises qui devient une caricature de ce qui a un sens pour elle.
La Japonaise apporte pour fêter la dernière un gâteau en forme de champignon atomique et se lance dans un discours enthousiaste sur l’amitié franco-japonaise scellée par divers accords militaires et commerciaux qu’elle cite avec une bonne foi comique.
Le spectacle s’achève par une danse des acteurs portant tous des masques à gaz, les effets sonores, bruits de tonnerre, éclairs d’explosions, faisant soudain irruption dans la musique. Belle métaphore d’une utopie de vivre ensemble dans un monde en permanente guerre.
On pense aux alliés japonais dans la guerre d’Irak, aux Français en Afghanistan et sur d’autres fronts « à pacifier », à la menace nucléaire iranienne. Que peuvent des utopies culturelles et des projets d’artistes face à cette réalité ?
Un spectacle exemplaire autant par l’intelligence, la lucidité de l’approche de l’utopie du dialogue des cultures, que par la conception dramaturgique et sa mise en œuvre sur le mode de la mise en abîme dans une fiction de théâtre de l’expérience concrète de création théâtrale par des artistes de langues et de cultures différentes. À l’opposé des visions idéalistes, angéliques et superficielles de ce type de rencontre des cultures, Des utopies ? rend compte avec un certain humour des difficultés dans le quotidien de sortir des habitudes de penser et d’être, de comprendre et d’accepter l’autre et son environnement culturel, bref d’assumer les différences.
Une remarquable cohérence dans le glissement de la fiction du théâtre dans la réalité de l’expérience vécue. Maîtrise absolue de l’espace, des tensions dramatiques, de la rythmique du jeu tout en nuances. Avec un admirable naturel et savoir-faire les acteurs réussissent à conférer à leur personnage la particularité de l’individu et le caractère spécifique du groupe culturel dans les postures et les comportements sans l’accentuer ni rester dans les clichés.
Un spectacle qui, à travers l’expérience de la création théâtrale, parle avec simplicité et humour, sans didactisme et démagogie, des différences réelles, des difficultés d’arriver à vivre ensemble. Absolument à voir !

 

Irène Sadowska Guillon

 

Des utopies ? Écrit et mis en scène par Oriza Hirata, Amir Reza Koohestani et Sylvain Maurice
Au Théâtre Dijon Bourgogne CDN du 14 au 17 avril 2009
au CDN Thionville Lorraine du 21 aux 24 avril
et au Prisme à Élancourt le 29 avril


Archive pour 16 avril, 2009

L’Ecornifleur

L’Ecornifleur de Jules Renard, adaptation de Renée Delmas et Marion Bierry, mise en scène de Marion Bierry.

ecornifleur.jpg  Jules Renard (1864-1910) est finalement un auteur que l’on redécouvre de temps à autre, surtout pour son Journal (1905), où les vacheries écrites dans un style ciselé fleurissent, sans aucun état d’âme; sans doute,  Jules Renard a-t-il plus ou moins vécu les situations qu’il décrit dans ses textes , en particulier dans Poil de carotte, quand il dut accepter les rebuffades et les sournoiseries d’une mère qui ne l’aima guère et d’un père indifférent. Quant à cette longue nouvelle qu’est  au départ L’Ecornifleur, c’est l’histoire d’ Henri,un jeune homme, brillant et quelque peu cynique, volontiers misogyne qui s’introduit dans l’intimité d’un couple sans enfants, monsieur et madame Vernet; de visite en visite, puis de dîner en dîner, il devient vite leur compagnon inséparable qui se rend presque quotidiennement dans leur appartement parisien. Bref, en quelques mois,il est vite devenu l’ami proche, voire le confident des époux et il acceptera volontiers d’aller passer deux mois de vacances au bord de la mer avec eux. D’autant plus que la jeune femme n’est pas insensible  à ses charmes, et que son mari a tout du bourgeois benêt et satisfait : « Je vous confie mes bagages et ma femme » lui dit-il, avant de prendre le train suivant.
   Il y a aussi dans cette maison de vacances, cadre de tant de pièces du début du vingtième siècle, Marguerite, une nièce que le jeune homme va discrètement séduire sans trop de scrupules.Le chapitre de la nouvelle  est d’ailleurs intitulé: un demi-viol…  Comme la jeune personne ne demandait que cela, tout va pour le mieux…Même si, dans le texte original,  Henri dit de Marguerite que c’est un animal…. Elégant, non? Comment se sortir de ce guêpier où il s’est mis; il choisit la solution classique  qui ne peut tromper que les naïfs, celle du faux télégramme le rappelant d’urgence à Paris.
  C’est écrit dans une langue raffinée et l’on sent que Jules Renard a pesé chaque phrase d’un dialogue souvent brillant qui fait déjà penser à Guitry, et, où, curieusement, on retrouve parfois le charme des films d’Eric Rohmer. Mais, ici, plus rien de la tendresse et du désir rohmériens ! Dans L’ Ecornifleur, tout est noir: aucun amour véritable, aucune amitié réelle, pas de sympathie mais du cynisme et du mépris au kilomètre et la phrase finale ne laisse aucun doute là-dessus! Henri part en laissant  ce billet à ses hôtes:  » Mes chers amis,une dernière fois merci et adieu; il ne me reste plus qu’à me coller au dos l’étiquette trouvée dans le Journal des Goncourt: A céder: un parasite qui a déjà servi. »
   Marion Bierry a réussi à mettre en scène son adaptation  avec une certaine maîtrise, malgré un décor de bord de plage avec rochers  approximatif. Quant aux comédiens, Sarah Haxaire donne une tonalité bizarre à certaines fins de phrase mais Julien Rochefort, Hugo Seksig et, en particulier la jeune Lola Zidi, s’en sortent assez brillamment. La dernière partie du spectacle s’essouffle un peu, et il aurait sans doute fallu couper quelques dix bonnes minutes de ce qui n’est tout de même qu’une adaptation, et trouver un rythme plus rapide, ce qui, par ailleurs,  aurait nui à cette espèce de nonchalance cynique dont sait user si habilement Jules Renard. C’est toute la difficulté de faire passer sur scène une écriture qui ne lui était pas à priori destinée, et où les personnages n’ont peut-être pas la consistance nécessaire  et tiennent davantage d’aimables silhouettes…
  A voir ? Ce n’est pas le genre de soirée dont on ressort ébloui, mais, bon, si vous avez une vieille petite préférence pour les écrits de Jules Renard, pourquoi pas?

Philippe du Vignal

Théâtre la Bruyère
 

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