Salle des fêtes
Salle des fêtes, un spectacle de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff.
Cela fait presque trente ans qu’on les connaît et le premier spectacle Boulifiche et Papavoine de Jérôme Deschamps avait eu lieu dans ce même théâtre quand Antoine Vitez en avait pris la direction…. Depuis la roue a tourné: quelque vingt spectacles, dont plusieurs opéras, (Jérôme Deschamps est devenu directeur de l’Opéra-Comique) dont Les Précipitations, C’est magnifique, Les Pieds dans l’eau et le très fameux Lapin-Chasseur créé dans cette même salle Jean Vilar; Canal + s’est fait aussi un plaisir d’aller chercher ces comédiens hors normes dont la plupart ont fait depuis un beau parcours: Jérôme Deschamps, bien sûr, Michèle Guigon, comédienne et metteuse en scène, Philippe Morel, comédien, Yolande Moreau, comédienne et réalisatrice de films, Olivier Saladin, comédien, Philippe Duquesne qu’on a pu voir récemment dans La Cerisaie, mise en scène d’Alain Françon, et Lorella Cravotta que l’on retrouve dans cette Salle des Fêtes
Les Deschiens, c’était eux, cette pathétique galerie d’être humains à l’intelligence comme au vocabulaire et à la diction très limités, à la ridicules et émouvants, et habillés par Macha Makeïeff d’invraisemblables vêtements à fleurs, à poix ou à rayures, aux couleurs discordantes tels qu’on en voyait dans le catalogue de La Redoute ou de la feue Camif des années 50-60. Et en général, sévèrement dirigés par un patron ou une directrice hurlant ses ordres auxquels ils n’obéissaient jamais, en se contentant de grommeler. Du côté du matériel,, rien n’était non plus dans l’axe: portes à battants que l’on reçoit dans le nez, début d’incendie, fumées, chutes d’appliques lumineuses, et recours fréquent au coup de rouge qui tache,sur fond d’accordéon et de chansons populaires. D’année en année, Jérôme Deschamps, ET Macha Makeïeff à qui ces spectacles doivent énormément pour la scénographie, ont peaufiné leurs méthodes de travail, et il y a peu des spectacles où tout soit en apparence aussi bordélique et aussi magnifiquement mis en scène, joué et chorégraphié, bref, un vrai travail d’orfèvre dont fait partie Salle des Fêtes.
Le rideau se lève dans un bruit d’enfer; nous sommes dans une espèce de hangar / salle à tout faire dont des fêtes, avec, dans un coin, un petit bar minable avec trois tabourets hauts couverts de skaï rouge, un petite calculatrice à ruban de papier, un poste de télévision de surveillance en noir et blanc un peu partout des bidons de plastique ( dont certains ne sont pas d’époque comme ceux pour poêles à pétrole, on aurait bien aimé ne pas voir cette horrible morceau trapézoïdal de table de conférence rescapée des greniers de Chaillot et repeint en vert) . Désolé, chère Macha, mais j’ai l’oeil; côté cour, deux portes à battant un peu basses, un petit podium pour quelques musiciens… Derrière le bar, un gros chien que l’on ne verra jamais, et qui ne cesse de faire bouger sa chaîne. Et la patronne: madame Cravotta, qui se prend pour la grande chef de cet endroit minable , donne ses ordres par interphone à une tribu de jeunes gens venus probablement là essayer qui, son air de guitare électrique, qui, sa petite chanson ou sa danse dans l’espoir de passer le soir de la fête. Sont convoquées les grands tubes des Rita Mitsouko, Nirvana, mais aussi des airs disco; Bob Marley aussi bien que Claude François et le fameux El Condor Pasa de Paul Simon… Bref tout est bon et le public, pas très jeune et ravi de récupérer quelques bribes de sa jeunesse passée, applaudit pratiquement à la fin de chaque air…
Quant à Lorella Cravotta, elle joue avec un plaisir non dissimulé son rôle de patronne qui s’emmêle dans ses comptes et qui dicte ses ordres dans le vide , accablant sa pauvre serveuse de sarcasmes et de mépris. L’ancienne élève de Claude Régy au Conservatoire, qui, à l’époque faisait plutôt dans la tragédie, se livre ici, comme autrefois dans Lapin Chasseur, à un numéro prodigieux d’intelligence verbale et gestuelle. Et il en faut une sacrée dose pour jouer les cintrées de son espèce. Et elle est d’autant plus remarquable qu’elle est presque toujours seule sur ce plateau qui a 18 mètres d’ouverture… Et elle a cette maîtrise impeccable du jeu qu’elle impose dès le début, et qui maintient le spectacle en équilibre jusqu’au bout. Deschamps lui doit une fière chandelle comme on dit.
Mais comme les jeunes comédiens danseurs : Tiphanie Bovay-Klameth, David Déjardin, Catherine Gavry, Hervé Lassince, Gaël Rouilhac et Pascal Ternisien, ont aussi du talent à revendre, la petite affaire fonctionne à peu près,parce que tout est supérieurement dirigé: on ne rit pas vraiment mais on ne s’ennuie pas non plus, du moins pendant les cinquante premières minutes. Malgré les gags qui se répètent un peu trop, il y a quelques moments jubilatoires comme ce lancer d’oranges qui vont finir dans une lessiveuse pour une sangria douteuse que va préparer avec les pieds, Stéphanie, la pauvre serveuse souffre-douleurs, ou cette parodie déjantée de danse africaine. Mais, en général, les dernières quarante minutes du spectacle ont du mal à s’imposer et révéleraient , s’il en était encore besoin, les défauts de la cuirasse…
Tant pis: on va jouer aux vieux cons qui en ont beaucoup vu, mais, très franchement, quelle que soit et la qualité de la mise en scène et de la scénographie, quelle que soit le talent de ces comédiens – Cravotta en tête- qui ne quittent pas un instant leur personnage, on a un peu l’impression que Jérôme Deschamps nous recycle ses vieilles recettes qui ont bien marché. Pas un seul gag comique,qu’on n’ait déjà vu chez lui, pas un petite chorégraphie ou une mise en valeur de comédiens qu’il n’ait déjà utilisée, pas un moment d’émotion ou de délire poético-comique qui n’ait déjà servi… Bref, pour dire les choses un peu crûment, il y a un un sérieux manque d’inventivité et les choses semblent vite plombées.
Certes le répertoire de gags n’est pas illimité, (chaque artiste comique a allègrement pillé ses prédécesseurs ), puisqu’en général, il s’appuient sur l’inattendu mais, quand même, là, on reste un peu sur sa faim.
De plus,il y a une erreur de construction qui ne pardonne pas: Lorella Cravotta joue son sketch, puis un des jeunes gens arrive avec son petit air de guitare, sa chanson ou sa danse, puis on remet le couvert: Lorella Cravotta revient en en maltraitant sa serveuse, puis une fille improvise une petite danse, etc.. Il y aussi un petit clin d’oeil sur le spectacle contemporain qui réjouit les seuls initiés, c’est à dire une poignée de spectateurs. Ouf! Tous aux abris! Ce genre de mille-feuilles ne fonctionne pas et Jérôme Deschamps a prouvé, surtout jusque vers les années 2000, qu’il savait faire beaucoup mieux que cela, en créant de véritables scènes presque muettes à plusieurs personnages ,d’un comique tout à fait magistral.
Mais on dirait qu’absorbé par ses multiples tâches: installation de la Villa Arpel de Mon Oncle au 104, rétrospective Tati à la Cinémathèque française, Direction de l’Opéra Comique- Jérôme Deschamps ait conçu et réalisé ce dernier spectacle dans l’urgence et en utilisant ses bonnes vieilles recettes qui ont autrefois fait la preuve de leur efficacité.Eh! Bien non, le compte n’y est pas vraiment. Il y a aussi une question de dimensions : tout se perd un peu sur cet immense plateau, même quand on en réduit la profondeur, et la salle Gémier, où il avait créé l’excellent Les Pieds dans l’eau, aurait sans doute été mieux adaptée. Question de durée aussi: cette heure et demi, on l’a dit, n’en finit pas de finir et l’on quitte la salle en se demandant ce qu’on a bien pu vouloir nous dire en essayant de nous amuser.
Comme le public hier dimanche après-midi n’était pas trop difficile, cela passait à peu près (mais les applaudissements n’étaient quand même pas enthousiastes) mais, vingt minutes avant la fin, on avait envie de siffler la fin de partie. En fait, tout se passe comme s’il y avait du troisième degré dans l’air: Jérôme Deschamps regardant ses spectacles d’autrefois qui, eux-même, regardaient une réalité d’autrefois: et là, cela ne fonctionne plus vraiment, malgré la virtuosité des interprètes et un travail technique magistral: rendons hommage aux techniciens remarquables mais invisibles du plateau qui participent à cette mécanique superbement rodée.
A voir? Oui, si vous n’êtes pas très exigeant et qu’une grande salle pas trop pleine ne vous fait pas peur quand il s’agit d’un spectacle comique. Mais si vous ne connaissez pas encore Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps , invitez plutôt quelques bons copains, offrez-vous une sangria correcte et partagez ensemble la découverte de leurs précédents spectacles devant un grand écran, ( les DVD ne manquent pas) ;certes, ce n’est pas du spectacle vivant mais, croyez-moi, j’en ai fait l’expérience avec des groupes d’étudiants, cela marche tout à fait bien…Et cela vaut mieux que cette sauce souppe réchauffée… regrets que qui l’enfer se donde disait Apolinnaire.
Philippe du Vignal
Théâtre national de Chaillot, jusqu’au 16 mai; et exposition de la Villa Arpel de Mon Oncle,au 104 (Paris 19 ème) et exposition Jacques Tati à la Cinémathèque française: Deux temps, trois mouvements.