Somewhere… la Mancha

Somewhere… la Mancha
Librement adapté de Don Quijote de Cervantès par Irina Brook et Marie-Paule Ramo
mise en scène Irina Brook.
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    Irina Brook ne cache pas qu’elle est fille de Peter Brook et de l’actrice Natasha Parry. Sa dernière création pourtant n’ajoute pas de lauriers au  patrimoine théâtral familial. On n’hérite pas forcément du talent de ses parents! 

L’ambition d’Irina Brook est « de faire un théâtre accessible à l’ensemble des strates du public de théâtre sans aucune autre distinction. » Mais c’est plus compliqué que cela, et un théâtre pour tout public n’est pas synonyme de théâtre nivelé, ramené à un produit prêt à consommer, à un fast-food culturel. Après En attendant le songe, version digest pour tous du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, voici venu le tour du chef-d’œuvre de Cervantès de passer à la moulinette du comics dans le plus pur style américain. Un coup de grâce pour l’héroïque Chevalier à la Triste Figure.
Dans Somewhere… la Mancha , c’est en Amérique d’aujourd’hui que le mythique couple Don Quijote et Sancho Panza va vivre ses aventures, accompagnées de musiques bluegrass gospel, et agrémentées de numéros de cirque, de music-hall et mais aussi de clichés sur la réalité américaine vue d’Europe, bref une sorte de road- movie américain. Une disribution  sur mesure pour incarner la mosaïque culturelle et linguistique de la société américaine : six acteurs d’origine différente , parlant français, québécois, américain avec tout un registre d’accents, espagnol et même polonais. Ce mélange de langues et d’accents, par moments cacophonique, incompréhensible, n’est sans doute  pas une bonne idée. Augustin Ruhabura (Rwandais) interprète Don Quijote, et Gérald Papasian (Arménien) Sancho Panza, Lorie Baghdasarian (d’origine arménienne), Jerry Di Giacomo (Américain), Christian Pelissier (Français), Bartlomiej Soroczynski (d’origine polonaise) jouent les autres personnages sur le mode réaliste, expressif, parfois  outré. « Ce qui nous frappe dans l’extraordinaire récit de Cervantès – explique Irina Brook, c’est la modernité du thème et la vitalité, d’ailleurs très shakespearienne, du texte ».

  Pour nous en convaincre, dans son spectacle , Don Quijote combat les injustices de la société contemporaine et Sancho Panza, apprenti acteur, tente à plusieurs reprises, sans succès, de venir à bout d’une tirade de Shakespeare. Dans l’espace quasi mythique du Théâtre des Bouffes du Nord, pas de décor : quelques chaises, des  sièges pliants apportés à certains moments, des tonneaux métalliques figurant un bar, une toile cirée servant de lit de fortune, un chariot et ,au fond,  une toile tendue sur laquelle on projette un moulin  pour  la scène au Moulin Rouge. Les bruits de la circulation urbaine, les sirènes de police, évoquent l’univers sonore du cinéma américain.

Les costumes, mélange de vêtements actuels de  style country et western, blue-jean, chapeau de cow-boy. Don Quijote en veste, maillot de corps troué, Sancho Panza en jean à bretelles, tee-shirt. Un couple de clodos SDF new yorkais. : Quijote, chômeur, lit des romans de chevalerie qu’il traîne dans une valise à roulettes, Sancho Panza avec sa guitare et un caddie de supermarché, rêve, lui, d’être acteur, mais ils sont chassés par le propriétaire de la maison devant laquelle ils campent. Ils décident alors de partir pour la Californie, une Mancha moderne. Don Quijote  est  là pour accomplir quelques glorieuses actions en pourfendant des injustices, Sancho pour faire carrière à Hollywood.

  Une jeune fille,  rencontrée sur la route, fera l’affaire pour devenir l’incomparable Dulcinée. Suit une série d’aventures traitées avec humour, quiproquos, parfois réussis. Rencontre dans un bar et adoubement de Don Quijote à l’aide d’un drapeau américain noué sur son cou , par une bande de motards qu’il prend pour des chevaliers. Quijote et Sancho affamés rencontrent un vendeur de hot-dogs qu’ils ne payent pas, ce qui vaudra au vendeur une raclée de son patron. On assiste ainsi à bien d’autres situations dans lesquelles Don Quijote intervient en croyant défendre une bonne cause et ne cesse de prendre des coups, victime de son idéalisme héroïque. Tout cela entrecoupé de danses et de chansons  folk américain, d’aphorismes de Woody Allen, de blagues usées du niveau d’une émission télévisée dite populaire, d’anecdotes sur les stars et sur les « beautyful people » d’Hollywood, dont la répétition nous ennuie.

  L’aventure des moulins, transposée au Moulin-Rouge, donne lieu à une parodie caricaturale des numéros d’un acrobate, d’un ventriloque avec un singe qui prédit le passé et le présent, d’un flamenco à l’américaine exécuté par une danseuse en minijupe, bottes et chapeau de cow-boy etc. Une Amérique « typique », avec ses mythes et ses clichés touristiques au complet. Notre couple rencontre même un Amish, des hippies, goûte aux cookies, Sancho Panza apporte un joint à Quijote exténué qui réclame un élixir pour guérir, etc…

   Arrêtés par un policier qui les prend pour de dangereux terroristes,  ils apprennent qu’ils se trouvent toujours dans les alentours de New York, loin de la Californie. Sancho renonce à son rêve d’acteur célèbre à Hollywood, Don Quijote à celui de glorieux chevalier et, mourant, est emmené dans un  chariot de supermarché par son fidèle compagnon. On pourrait y voir la métaphore du traitement infligé par Irina Brook au mythe du héros cervantesque, ramené ici à un produit de supermarché culturel. Mais ce théâtre , à force de vouloir faire populaire,  tombe dans le panneau du populisme. Au lieu de consommer ce « théâtre McDonald », mieux vaut  relire Don Quijote de Cervantès et les romans de Jack Kerouac.

Irène Sadowska Guillon

Somewhere… la Mancha
de et mis en scène par Irina Brook
du 14 avril aux 9 mai 2009 au Bouffes-du-Nord à Paris

 

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