Ionesco
Ionesco d’André le Gall
Entre l’œuvre et la vie d’Eugène Ionesco la frontière est mince, voire perméable. Il y a un jeu permanent entre le réel et la fiction dans lequel Ionesco excelle, à la fois personnage et auteur, en mettant sa vie en scène autant dans son théâtre que dans ses journaux intimes et ses livres autobiographiques.
Comment dégager une image objective dans ce jeu de camouflages et de confidences, de révélations dont il était prodigue, de contradictions et de pluralité des identités qui l’habitaient, redistribuées entre les personnages de son théâtre ?
Dans son excellente et passionnante biographie de Ionesco, André le Gall prend parti d’une approche polyphonique de l’homme et de l’écrivain dont la voix est constamment présente et où événements, circonstances, anecdotes, rêves racontés dans les journaux intimes et exploités dans les fictions dramatiques sont en permanence mis en rapport avec les faits et les données objectifs fournis par les archives, les coupures de presse, les mémoires des contemporains, des témoignages de comédiens, de compatriotes, d’amis.
Ainsi, dans ce jeu de miroirs ,se dégage l’image d’un Ionesco ,homme de doute et de foi, non pas chantre de l’absurde mais grand ressasseur des questions devant l’état du monde, poète de l’insolite, de l’étonnement et de l’émerveillement au sein de l’être, se transportant dans la vie chargé de lourdes valises, partagé entre les élans ascensionnels et des pesanteurs telluriques.
En suivant la chronologie des étapes décisives de la vie et de l’œuvre d’Ionesco, André le Gall les fait s’interférer constamment. De sorte que sa biographie se présente comme une scène d’un théâtre de vie. André le Gall recourt parfois à l’interview ou au dialogue entre l’orateur et l’intervenant extérieur, où Ionesco, par des citations tirées de ses journaux intimes et de textes autobiographiques , corrige certains points de vue, explique ses partis pris, ses positions politiques, et ses goûts littéraires.
Par exemple sur Beckett : « Le rapport n’est pas du tout le même qu’avec Sartre, Sartre n’est pas un rival, Beckett si. »
Une biographie remarquable, empreinte de l’esprit ionesquien qui se lit comme un roman d’une vie. Complétée par d’abondantes notes, une bibliographie, un index et un cahier de photos. Un ouvrage indispensable pour découvrir ou redécouvrir la figure paradoxale et l’œuvre d’Ionesco, dont on célèbre cette année le centenaire de naissance.
Irène Sadowska Guillon
Ionesco d’André le Gall
Éditions Flammarion, Collection « Grandes biographies », 2009
650 pages, 25 €