Le Mariage secret
Le Mariage secret de Domenico Cimarosa, (Il matrimonio segreto) melodramma giocoso en deux actes , livret de Giovani Bertati, direction musicale: Antony Hermus, avec l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris; mise en scène: Marc Paquien, en italien , surtitré en français).
Du célèbre compositeur vénitien (1748-1801), au nom aussi merveilleux que sa musique, on sait qu’il fut l’auteur de nombreuses cantates et sonates pour clavecin redécouvertes il y a peine un siècle, d’un très beau Requiem et de quelque 70 opéras dont l’un des plus connus est ce Mariage secret. L’intrigue pourrait être celle d’une pièce de Goldoni; c’est aussi compliqué que brillant: Paolino, commis de Geronimo, riche commerçant et Carolina sa fille, ont eu l’idée pour forcer le cours des choses, de se marier secrètement. Ce qui était déjà interdit depuis le 16 ème siècle, mais encore pratiqué à l’époque et qui, évidemment a été la base de nombreuses comédies…
Donc, le jeune et beau Paolino, pressentant la colère de celui qui est devenu son beau-papa mais qui reste son employeur, ( c’est un peu comme chez Marivaux, il y a toujours des histoires d’argent qui interfèrent avec les sentiments) a l’idée de faire épouser sa jeune belle- soeur Elisetta par le comte Robinson. Ainsi , le mariage d’Elisetta avec un noble et riche aristocrate anglais compensera en quelque sorte celui d’un pauvre commis comme lui, avec Carolina. Mais la belle idée fait évidemment psschit, comme disait autrefois Chichi., sinon il n’y aurait pas de scénario digne de ce nom..On vous épargnera la suite d’intrigues , de rebondissements, le tout se réalisant dans la confusion. Mais Paolino, suspecté d’infidélité par Carolina, aura le plus grand mal à la convaincre de son innocence, et, puisque leur mariage ne peut être rendu public , il proposera à son épouse de fuir le soir même chez une parente.
C’est admirablement joué par l’orchestre que dirige avec une joie communicative Antony Hermus ) et chanté- ce jour-là- par Nahuel di Pierro ( Geronimo), Julie Mathevet ( Elisetta), Elisa Cenni (Carolinaa, Letita Sigleton ( Fidelma et soeur de Geronimo), Aimery Lefevre ( Le Comte anglais Robinson) et Lanuel Nunnez Camelio ( Paolino), et plutôt bien joué, notamment par Letitia Singleton qui possède une gestuelle remarquable de drôlerie et par Elisa Cenni. Vraiment, c’est un grand plaisir musical… et cela fait beaucoup de bien.
Reste la mise en scène de Marc Paquien; il sait diriger des acteurs- aucun doute là-dessus- et Dominique Reymond dans Le Baladin du monde occidental de Synge qu’il avait réalisé, il y a quelques années à Chaillot, était absolument remarquable. Mais la conception d’ensemble, que ce soit pour Witkiewicz, Synge, ou pour Crimp dont il avait monté cette saison La Ville au Théâtres des Abesses, et cette fois-ci pour ce Mariage secret, a toujours quelque chose de compliqué et d’un peu m’as-tu vu assez exaspérants, surtout quand il s’agit de créer des images, comme s’il se laissait piéger par des idées qui auraient dû ne jamais quitter l’écran d’ordinateur où elles ont été conçues..
Imaginez, pour cet opéra de Cimarosa, sur un tulle transparent , une sorte de gare maritime 1950 dans la baie de Naples avec, dans le fond, le Vésuve, puis quelques caisses en bois copiées des caisses à munitions militaires, et d’autres caisses à claire-voie contenant des moulages en plâtre de nus masculins et féminins romains. qui, à la fi,n pivotent pour laisser apparaître, devinez quoi, un beau soleil à figure humaine…On retrouvera ces mêmes statues en plâtre blanc parmi des bosquets de faux lierre. Et , pour faire sans doute plus kitch, ou plus second degré, les pauvres personnages descendent du Vésuve par un escalier…Il y a aussi, inspirés du fameux modèle conçu à l’origine par Salvador Dali en forme de lèvres féminines pulpeuses, deux canapés, un premier rouge et un second plus tard, tout noir dont sortiront des flammes par derrière. On ne sait pas ce que Marc Paquien a pu demander à Gérard Didier, au demeurant, excellent scénographe, mais c’est d’une laideur assez accablante!
On ne saurait trop conseiller au metteur en scène d’aller voir des expos (cela instruit toujours le regard), mais aussi de regarder le DVD des Brigands d’Offenbach, monté il y a quelque dix ans par Jérôme Deschamps, et costumé par Macha Makeieff , à l’Opéra-bastille, ou le fabuleux Chantecler, mis en scène par Jérôme Savary à Chaillot avec les costumes de Michel Dussarat… Il verra alors ce que l’on peut réussir sans doute de mieux , comme mise en scène de travail musical, bourré de savoir-faire et de métier scénique mais aussi de délire et d’humour intelligents : cela lui donnera l’occasion de réfléchir sur une possible dramaturgie et d’éviter ainsi d’infliger une telle médiocrité au public.
Quant aux costumes, ma chère consoeur Edith Rappoport vous en avait déjà dit ici le mal qu’elle en pensait, et elle avait tout à fait raison! Les robes bleu ou orange en tissu vaporeux, aux couleurs sans unité entre elles, sans unité non plus avec le décor, dont on peut penser qu’elles ont dû être conçues avec du second degré dans l’air, doivent absolument être offertes au Musée du costume de Moulins, de façon à instruire les jeunes générations de stylistes sur les aberrations produites pour l’opéra en 2009. Cela veut être novateur et ne réussit en fait qu’ à être une mauvaise citation des années 50 d’une impitoyable sottise. Comme de plus , la lumière n’est pas très inventive et relève plutôt du genre chichiteux…
C’est vraiment dommage pour les personnages de Cimarosa et pour les excellents chanteurs qui les incarnent. Quitte à se répéter, on ne saurait trop conseiller à Marc Paquien, de lire les pages consacrées au costume de théâtre par le grand Roland Barthes : cela lui évitera peut-être d’être aussi peu rigoureux quant à la gestion des décors, des costumes et des lumières , et, ainsi, de ne pas plomber son prochain spectacle. Le plaisir d’entendre un opéra passe aussi par le plaisir visuel, et l’étymologie du mot est bien là pour nous le rappeler.
Alors, à voir? A entendre surtout… Pour le reste, vous aurez compris tout le bien que l’on en pensait.
Philippe du Vignal