Identité

Identité , un spectacle de Gérard Watkins, scénographie de Michel Gueldry.

image3.jpgCela se passait rue du Faubourg du Temple, au fin fond d’une ruelle pavée,  bordée d’anciens ateliers, avec des tas de plantes et de géraniums en pots; c’est une ancienne usine où l’on fabriquait des petites cuillers; le lieu a dû servir ensuite à un plombier, vu le nombre de tuyaux et de ferrailles entassés. Dans le fond, une vaste cuve d’électrolyse d’une dizaine de mètres sur sur deux et demi de largeur et d’une profondeur de deux mètres environ, qui tient lieu de scène avec au-dessus sur toute la longueur des gradins sommairement aménagés pour une soixantaine de spectateurs.

   Les gens de théâtre n’ont pas leur pareil pour reconvertir les anciennes cartoucheries, raffinerie de sucre, usines , entrepôts divers et variés, petits ateliers de  confection, base-sous marine allemande, j’en passe et des meilleurs!  Mais celui-ci est exceptionnel d’étrangeté et de poésie; tel qu’il est, c’est déjà une installation artistique avec son mobilier récupéré, son gros poêle  en fonte bricolé et ses nombreux recoins. Cela fait du bien ,de temps en temps,  de voir un lieu de spectacle au charme aussi prégnant, même s’il n’est sans doute pas aux normes…  L’endroit a vraiment quelque chose de magique, et c’est une belle   idée que d’avoir obligé le public à voir les deux comédiens en plongée  dans ce lieu très clos aux murs  peints en blanc, avec un sol gris, juste couvert de deux longs tapis de laine flokati. Donc l’endroit est peut-être d’autant plus fascinant  qu’il est voué, parait-il, à la démolition comme le reste de l’îlot.  Dommage, dommage que la Mairie ne s’en soit pas occupée avant. Paris verra-t-il disparaître un à un ses havres de vie paisibles, à quelques centaines de mètres de la Place de la république? 

  Gérard Watkins a eu l’idée d’y créer sa dernière pièce Identité ; il s’agit d’un jeune couple , André et Marion Klein,  désargenté qui croit avoir déchiffré sur une bouteille de vin une sorte de règlement de concours qui leur permettrait, leur permettrait seulement,  d’être éligible, comme on dit maintenant,et donc de figurer sur une possible liste d’heureux gagnants.Mais elle, Marion, a décidé de se lancer dans une sorte de jeûne/grève de la faim; cela ne l’empêche pas avec André d’absorber allègrement le contenu d’une bouteille de vin blanc , arrivée avec d’autres par miracle sur leur paillasson dans une caisse en bois, avec une pochette de  tests, du genre:  » Vos parents sont-ils vos parents? », à fort  relent de lois racistes et de possibles contrôles physiologiques à partir d’échantillons ( cheveux, mouchoirs, tache de sang, sperme….). 

  André évoque la rafle du Vél d’Hiv et s’interroge avec elle sur cette invraisemblable loi parue au Journal Officiel du 18 juin 1940, pondue par l’administration française et  validée par le Maréchal Pétain, chef de l’Etat français et par les ministres concernés: « Est regardé comme juif, pour l’application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou deux grands parents de la même race, si son conjoint lui- même est juif, lit Marion Klein. » Les deux jeunes gens ne cessent de s’interroger sur la nature même du ou des cerveaux humains qui ont pu réussir à mettre en place ce savant calcul…

  Le droit rabinnique classique considère lui,qu’est juif toute personne née d’une mère juive même si son père n’est pas juif; inversement, il considère qu’en enfant né d’un père juif et d’une mère non juif ne l’est pas et doit, s’il veut être reconnu comme juif, se convertir ».. André, obsédé par la question de cette reconnaissance d’identité, va même, fantasme ou réalité, au cimetière de Montrouge, violer la tombe de sa mère pour y récupérer une de ses dents,  puis ira voir son père,  vieil homme qui habite dans un HLM de banlieue. Quant à Marion, elle est allongée, délirante,  en proie à des sortes de râles assez inquiétants…. Le téléphone sonnera et il finira par décrocher; une personne lui dira de sortir de l’appartement après avoir pris soin de fermer l’eau, le gaz et l’électricité…
Ce huis-clos, plutôt bien écrit, ne manque pas d’intérêt, même si le texte est d’inégale valeur et que cela  traîne en longueur mais, comme la direction d’acteurs et la mise en scène sont impeccables, on se laisse prendre au jeu inventé par Gérard Watkins, d’autant plus que les deux comédiens Anne-Lise Heimburger et Fabien Orcier maîtrisent parfaitement les choses. Et puis, il y a cette idée formidable de faire jouer la pièce dans cette fosse, sans aucune pause, ni entrée ni sortie des personnages, ce qui place le public en curieuse position  de voyeur.
Alors, à voir? Oui, mais, à moins de miracle, comme ce lieu merveilleux doit être démoli, la reprise se fera ailleurs, et même si le metteur en scène réussit à  à faire bâtir par son complice Michel Gueldry une scénographie comparable, cela n’aura sans doute pas le même charme. A moins de trouver un endroit  du même genre dans Paris…

Philippe du Vignal

Comète 347, 45 rue du Faubourg du Temple. Métro République; même si c’est fini, allez jeter un coup d’œil sur le lieu si vous passez par là, vous ne le regretterez pas.


Archive pour 6 mai, 2009

Puck La marionnette et les autres arts

Puck
La marionnette et les autres arts

revue de l’Institut International de la Marionnette

Le numéro 15, monographique, de la revue est consacré entièrement à la relation et aux diverses formes d’alliance de la marionnette et du cinéma depuis plus d’un siècle. Un historique retrace l’évolution de cette relation depuis les mécanismes du pré – cinéma : machines, lanternes magiques, etc. en passant par les expériences des avant-gardes du XXe s. et les inventions du cinéma d’animation contemporain aux multiples facettes.
De nombreux articles et entretiens abordent les formes de présence de la marionnette au cinéma à travers les analyses des techniques et des démarches de créateurs spécifiques. Un vaste tour d’horizon qui va des maîtres tchèques du cinéma d’animation à la marionnette dans le cinéma africain, en passant par la marionnette selon Stanislavski, la tradition de la marionnette chez Ingmar Bergman, l’usage qu’en fait John Malkovich, sa présence dans le cinéma occidental et au Canada, la relation entre le théâtre d’ombres et le cinéma en Chine, les poupées animées au Japon.
De nombreuses photos illustrent cet essai de réunir les divers aspects du mariage fécond entre la marionnette et le cinéma qui ne cesse d’engendrer de nouvelles et très percutantes formes d’approche du réel.

Irène Sadowska guillon

Numéro 15 de la revue Puck

La marionnette et les autres arts
Publiée par l’Institut International de la Marionnette et les Éditions Entretemps
156 pages, 22 €

Arlequin

Arlequin
Vie et aventures de Tristano Martinelli, acteur
de Siro Ferrone
traduit de l’italien par Françoise Siguret

image12.jpgNous connaissons tous la figure d’Arlequin, personnage emblématique de la commedia dell’arte, mais nous ignorons son origine : qui, quand et où l’a créé, l’a incarné et l’a immortalisé au point que ce malicieux et insolent personnage a été érigé en icône d’art théâtral depuis quatre siècles ?
S’appuyant sur des documents d’archives, correspondances, sources littéraires et iconographiques, actes des notaires, lettres de prince et de comédiens de l’époque, Siro Ferrone, professeur d’histoire du théâtre à l’Université de Florence, reconstruit la biographie de l’acteur Tristano Martinelli inventeur et premier Arlequin de l’histoire. Cet ouvrage sur la vie, l’art, les inventions et les techniques de Tristano Martinelli, acteur, acrobate, funambule, improvisateur, né à Mantoue en 1557 et mort en 1630, se lit comme un roman d’aventures.
Il n’y a pas de textes littéraires permettant de dater précisément l’apparition d’Arlequin du fait que l’art de Tristano Martinelli, consistant en actions, gestes et paroles improvisés, créés sur la scène, n’a pas été transféré sur une page écrite.
Arlequin tire son origine des Zanni, personnages très anciens transmis par la tradition médiévale, créatures grossières, bouffons balourds, protagonistes des spectacles populaires improvisés sur les places et les scènes de théâtre éphémères. Contrairement aux personnages supérieurs s’exprimant, dans le spectacle, en florentin littéraire, les Zanni baragouinent en bergamasque. On retrouve cet antagonisme linguistique et social dans la commedia dell’arte.
À partir de ces archétypes populaires Tristano Martinelli construit son personnage d’Arlequin qu’il fait découvrir et impose avec succès en Europe lors des voyages de sa troupe à Francfort, Londres, Madrid, Orléans, Paris où elle arrive en 1584.
Siro Ferrone replace la carrière de Tristano Martinelli, alias Arlequin, dans le contexte des événements politiques, guerres civiles, alliances princières etc. en citant de nombreux documents et les registres, brossant ainsi un tableau passionnant de la situation du théâtre à l’époque, de la condition des comédiens et de leurs rapports avec le pouvoir politique et religieux.
Un important cahier d’illustrations inséré dans l’ouvrage apporte des précisions sur la diffusion de l’art d’Arlequin et sur la représentation du personnage, protagoniste de la commedia dell’arte. Ainsi des cartes représentant les haut-lieux d’Arlequin dans la ville et dans la région de Mantoue, à Paris (Hôtel de Bourgogne, place de grève, palais du Louvre, Pont-Neuf, quartier des comiques italiens, foire Saint-Germain…). De nombreuses planches représentent Arlequin amoureux, Arlequin à cheval, Zanni, Horacio, Pantalone, le Capitaine Matamoros, des scènes de spectacles, des estampes des œuvres, etc..
Depuis sa création par Tristano Martinelli Arlequin ne cesse de se réincarner sur scène. Siro Ferrone dresse la généalogie théâtrale des Arlequins célèbres depuis le XVIIe s. jusqu’aux plus récents : Marcello Moretti (1910 – 1961) et Ferrucio Soleri, Arlequin fétiche de Strehler.
En annexes : bibliographie, index des noms et chronologie comparée, complètent cette histoire passionnée d’un acteur immortalisé dans son personnage.

Irène Sadowska Guillon

Arlequin
vie et aventures de Tristano Martinelli, acteur
de Siro Ferrone
collection « Les voies de l’acteur » Éditions Entretemps, 2008
250 pages, 25 €

Artaud, pièce courte – Identité

Artaud, pièce courte

Cet Artaud-là n’est le prophète ni le martyr de rien. Il est juste le grand interrogateur, dont les questions deviennent d’autant plus en plus laconiques qu’elles sont plus graves : alors elles rencontrent celles des grands poètes du XXème siècle et de tous les temps. Le sens n’appartient à personne, il se constitue de tout ce qui nous traverse, la poésie est perméable et contgieuse… La compagnie Les corps secrets cherche le corps secret de ces poètes dans l’écart entre le texte, la vérité du lieu (l’une des splendides caves de la Maison de la Poésie), les projections documentaires et une bande son très élaborée. Les spectateurs sont face au mur, appelés à leur gauche par la voix du diseur ( Marie-Jeanne Laurent ou Eugène Durif) et par l’écran haché où défilent des hordes lentes de soldats défaits ou la cohue d’une sortie d’usine à casquettes, à sa droite par le son, en haut par quelque accident délicatement provoqué. Tout est dans l’écart et l’interstice, toute la résonance du travail poétique et du travail du spectateur.
Cela semble très intellectuel, et cela nous ramène sans cesse au réel, réel des sensations, réel de la “vraie vie“, de la souffrance des hommes. À quoi la seule réponse est le respect.
Christine Friedel


Artaud, pièce courte
, composition pour voix et espace, se trouve constituer le premier volet d’une trilogie. À suivre : Nietzche (travaillé en partie en public au 104), puis La Mâchoire vous parle ( a tribute to Heiner Müller).

Conception Diane Scott. Maison de la Poésie jusqu’au 22 mai

***

Identité

Cette fois, ça se jouait dans un atelier voué à la démolition, faubourg du temple, la verrière laissait passer une lumière de crépuscule. Les deux acteurs se trouvaient dans une fosse “en couloir“, à nos pieds, sous nos regards penchés. Un beau piège, un bel espace pour le malaise. Ailleurs, la scénographie de Michel Gueldry trouvera un autre mode d’oppression.
Un homme, une femme. Ils sont jeunes, ils sont d’aujourd’hui, c’est-à-dire à peu près toujours en mouvement, précaires. Lui lit l’étiquette d’une bouteille, elle un manuel de la grève de la faim. Deux façons de “s’en sortir“. Il l’emmène dans un banal jeu publicitaire : « voulez-vous gagner de l’argent ? ». Oui, bien sûr, le téléphone fixe est coupé, et le portable n’a plus de forfait.  Numéro vert : il suffit de répondre à une question, de remplir un formulaire. Facile. La question : « vos parents sont-ils vraiment vos parents ? ». C’est ainsi que ça commence, et que se construit le piège. Les organisateurs invisibles envoient des cadeaux, des lettres glissées sous la porte sans adresse ni de destinataire ni d’expéditeur. Ça avance, ils sont “réglo“, et ne lâchent pas leur question. Le jeu, le défi pour les cobayes : se procurer des échantillons d’ADN des géniteurs. Ça ne va pas sans turbulences. Inutile de dire la fin : les deux jeunes gens s’appellent Marion et André Klein.
La pièce avance masquée, en douceur, en un mouvement de spirale qui plonge à chaque tour un peu plus dans l’inquiétude et l’angoisse : on rit, on sourit, et puis de moins en moins. La trouvaille du metteur en scène – de sa propre pièce – est d’avoir enchaîné les six scènes en un seul déroulement continu, sans “noirs“ ni sorties : on n’échappe pas à l’enroulement du serpent. Les acteurs, chacun dans sa fonction, tiennent l’affaire avec une magnifique présence.
Gérard Watkins a écrit Identité au moment du débat sur le fichage ADN. C’est une belle pièce, importante. Elle sera reprise à l’automne. À ne pas manquer.

Christine Friedel

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