La vie sinon rien

 La vie sinon rien d’Antoine Rault, mise en scène de Bruno Abraham Kremer.image13.jpg

  Les présentations d’abord: Antoine Rault est l’ auteur du Caïman qu’avait mis en scène Hans- Peter Cloos avec Claude Rich et dont Le Diable rouge , toujours avec Claude Rich, mais en scène par Christophe Lidon, a été récompensé cette année par deux Molières. Et cette fois, c’est Bruno Abraham Kremer qui met en scène et qui joue ce long monologue.

  C’est l’histoire du parcours d’un homme de cinquante ans qui va s’ouvrir à la vie, à la suite d’un choc terrible. Pierre ,en effet, est un homme qui a, comme on disait dans les années 50, une bonne situation; il est marié depuis toujours avec Mathilde, ils ont eu deux enfants, dont une fille qui a déjà un petit garçon qui l’appelle évidemment grand-père, ce qui ne lui plaît pas trop. Pierre, cadre d’entreprise  constamment stressé, fatigué, et après un cauchemar où il voit son corps se refroidir  et passer à l’état de cadavre, décide de consulter son médecin qui va le diriger, au vu des analyses , sur un spécialiste qui  lui révèle sans trop de ménagements qu’il est atteint comme une dizaine deFrançais d’une maladie très rare…
  Le monde s’écroule alors devant lui: et c’est le ballet bien connu de ceux qui l’ont vécu pour eux-mêmes ou pour un proche où le corps- votre propre corps -est sans cesse baladé de salle d’attente en salle d’attente avec son cortège interminable de radios, scanners, coloscopie, endoscopie, etc…, bref le parcours d’un homme ordinaire aux mains d’un spécialiste qui va lui répéter qu’il ne souffre d’aucun cancer mais d’une maladie rare, ce qui, bien entendu, ne le rassure pas pour autant. Chaque parole, chaque mot du spécialiste en question étant soigneusement analysé et  sans cesse repensé dans sa tête, jusqu’à l’obsession .

  Il acceptera, pour se changer les idées d’aller avec quelques collègues de son entreprise faire un petit voyage en Autriche, sans Mathilde.. à qui il prétend qu’il n’y a plus de place. Voyage  proche de la catastrophe: il se fait draguer par une collègue , Bernadette,-devenue subitement veuve -qui le laisse assez indifférent. Seul avec lui-même, il succombe, sans beaucoup de plaisir , aux charmes d’une jeune personne chèrement  tarifée, avant d’aller rejoindre ses collègues dans une auberge pour touristes tristounette et  enfumée.
  Revenu à Paris, il finira par céder- c’est d’une rare banalité mais c’est tellement juste ! -  aux recommandations d’une amie proche de Mathilde qui, justement, connaît, elle,  un excellent  spécialiste de cette maladie rare qui lui annoncera sans détours qu’il  en est au stade 3, le dernier stade étant le stade 4, ce qui , dit-il , lui assure un an, voire dix huit mois de survie dans le meilleur des cas, mais ce serait, lui précise-t-il, exceptionnel. Il lui conseille donc de mettre ses affaires en ordre avant le grand départ…

  Pierre, l’homme solide et bien dans sa peau, heureux  de sa vie et de sa carrière, est   accablé, anéanti, et s’aperçoit alors qu’il est  seul et, même si c’est  naïf, s’estime victime d’une injustice, lui, le citoyen honnête et travailleur au sein d’une entreprise qu’il a contribué à faire évoluer dans une France riche et prospère. Être relégué au rang d’un citoyen d’un pays du Tiers-Monde, obligé de subir les choses au lieu de les diriger, passer au rang d’objet médical et donc changer radicalement de statut, lui semble insupportable, surtout quand il s’aperçoit  qu’il représente davantage une gêne, voire un  poids pour ses proches et pour la société, lui,  le grand malade, qu’on traite avec compassion, voire avec une certaine indifférence. Bref, pour les autres, ses ennuis ne regarderaient presque  que lui. Petit exemple : sa fille Sandra arrive en larmes chez lui, et Pierre croit naïvement  que c’est à cause de la maladie de son papa  qu’elle pleure autant mais non, malentendu total, Sandra a des problèmes de couple et veut lui refiler son petit garçon pour le week- end, le temps d’aller passer quelques jours à l’étranger avec son bel amant.
 Enfin,  Pierre retrouve un certain goût de vivre, en tout cas suffisamment pour avoir la force d’emmener Mathilde  à l’Opéra puis à un dîner en amoureux, le temps de souvenir qu’il est encore bien en vie, contrairement aux prédictions du grand professeur, et de jouir de cette vie aux petits  bonheurs incomparables. Comme le disait le grand Eschyle qu’Antoine Rault connaît sûrement:  » Jouissez chaque jour des joies que le vie vous apporte car la richesse ne sert à rien chez les morts ».
  Dans une mise en scène d’un extrême sobriété, juste un peu polluée par une inutile vidéo, Bruno Abraham-Cremer se livre à un exercice qu’il connaît et exerce avec beaucoup de passion communicative: le monologue, ou plutôt le faux monologue, puisque le texte comporte finalement de nombreux personnages qu’il incarne avec beaucoup de savoir-faire et de précision. Il est vraiment seul en scène : c’est dire qu’il prend tous les risques. Mais non, rien, pas la moindre hésitation, pas la plus petite erreur d’interprétation ou de mise en scène. Tout est constamment juste et vrai, et Bruno Abraham Cremer sait encore se débrouiller, quand le texte patine un peu sur la fin. C’est d’un grand professionnalisme, et les dieux du théâtre  savent bien que prendre en charge un monologue d’une heure et demi chaque soir n’est pas à la portée d’ un débutant. Il y faut à la fois une sacrée expérience du plateau, une solidité nerveuse à toute épreuve ( c’est du travail sans filet), et en même temps, une sensibilité des plus aiguisées . La salle de la Comédie des Champs Elysées est sans doute moins bien adaptée que celle du Studio  à ce type d’exercice mais Bruno Abraham Cremer sait faire passer le texte d’Antoine Rault avec une rare efficacité. Ce monologue, tel qu’il nous est superbement livré ici  par le comédien-metteur en scène, rejoint la lignée de ses grands ancêtres, que ce soit ceux de Büchner,  Beckett , Berhnard et plus récemment ceux d’ Achternbusch , de Guy Bedos ou encore de l’immense Dario Fô…Ce type de  texte comporte en fait autant de récit,  que de prise de conscience d’un état psychologique du personnage, au moment même où le comédien le profère. Il y faut tout l’art du conteur mais c’est moins évident quand il s’agit de parler de soi-même et d’une maladie sournoise qui vous tombe dessus sans crier gare.

  Mais Bruno Abraham Cremer arrive même à nous faire rire, grâce sans doute à cette universalité qu’il réussit à créer avec ces histoires  d’hôpital , haut lieu de toutes les passions et désespoirs humains. Mais sans malaise ou sinitrose; avec ,au contraire, un humour et une tendresse  qui n’ont rien de factice.Il y a un côté farcesque et bon enfant chez lui, presque forain, qui a quelque chose à voir avec les superbes démonstrations des camelots d’autrefois vendant sur le marché  des produits ou des appareils improbables à la seule force de leur discours.Et quant le comédien sort de scène épuisé, il sait qu’il a gagné un formidable pari; s’il ne le savait pas, la longue ovation du public serait là pour le lui rappeler…
  A voir? Oui, absolument et sans réserve…

Philippe du Vignal

Comédie des Champs-Elysées, puis en tournée.


Archive pour 7 mai, 2009

BIENNALE INTERNATIONALE DES ARTS DE LA MARIONNETTE

LA FLÛTE ENCHANTÉE .BIAM Théâtre de la Cité Internationale

La flûte enchantée : un examen d’après Mozart et Schikenader, Thalias compagnon, Ensemble Kontraste et Daniel Gloger (Allemagne).
Cette flûte enchantée est interprétée par un ensemble de huit musiciens, sur un arrangement musical de Marcus  Marius Reissenberger et Daniel Gloger, étonnant contre ténor qui interprète toutes les voix. Joachim Thorbahn et Tristan Vogt manipulent des marionnettes peu suggestives, plutôt dénuées de dimension poétique, dont les images sont retransmises sur grand écran. Le plaisir pris à écouter la musique compense la déception théâtrale de cet examen dont le microscope ne dévoile pas les facettes cachées. Peut-être est-ce un excès d’amour pour les mises en scène qu’on a pu voir, de Louis Erlo à celle des Grooms…

 

FAUST 3260 WORDS BIAM Théâtre de la Cité internationale

Akhe Théâtre (Russie) texte de Maxim Isaev, mise en scène Yana Tumina
On pénètre dans la Galerie du Théâtre de la Cité dans un vacarme assourdissant de musiques de boîte de nuit, rythmées par des lumières électroniques. Trois acteurs aux costumes étranges se déhanchent, la musique baisse et l’un d’eux s’installe devant une table kiosque de magie noire, étal de commerçant, baraque de foire, lanterne magique. Il va nous conter l’histoire de Faust qui se joue à côté de lui dans un bizarre castelet, habité par un acteur manipulateur. L’étonnante présence des 3 comédiens, la très belle diction du russe dont on peut suivre les principales séquences projetées en français sur un tableau font un régal de cet étrange spectacle. Nous sommes invités à déposer une pièce à la fin du spectacle pour boire un coup avec la compagnie qui a dû jongler entre deux avions venus de Corée pour pouvoir jouer dans cette Biennale Internationale du Théâtre de la marionnette à Paris.

 

 

Edith Rappoport

PEANUTS

PEANUTS Théâtre Paul Éluard de Choisy le Roi de Fausto Paradivino, mise en scène Magali Léris

Magali Léris a travaillé pendant plusieurs semaines avec 23 adolescents de Chevilly Larue et de Choisy le Roi pour donner 4 représentations d’un spectacle plein d’une énergie rageuse, mais dont j’ai eu du mal à démêler les fils. Un jeune homme chargé par un ami de garder un appartement, se voit envahi par une bande d’amis ravageurs, dont il ne connaît que bien peu d’entre eux. Il y a ensuite des scènes de répression dans un commissariat, le détenu soumis à une interdiction de boire comme d’aller aux toilettes finit par succomber. Je n’ai pas compris le lien entre ces séquences, d’autant plus que l’articulation du texte restait imprécise. Mais je reste séduite par le courage et la générosité de la démarche.

Edith Rappoport

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