Impatience
Impatience , Festival de jeunes compagnies
Olivier Py et ses collaborateurs ont mis en place ce Festival qui comprend sept spectacles, chacun joué deux fois. Mais ce ne sont ni des mises en espaces, ni cette espèce de chose hybride qu’on appelle maquette, à savoir une tranche/ échantillon qui, la plupart du temps, ne signifie pas grand chose, mais de vrais spectacles dont les créateurs sont issus de toute la France ( hélas ! seulement de l’hexagone, il faudra revoir les choses d’urgence), choisis sur plus d’une quarantaine. . Avec cette bonne nouvelle, dont se félicitera La Barbe, sympathique collectif de jeunes femmes, armées de barbes postiches qui, lors des conférences de presse, s’emparent de la scène quelques minutes pour revendiquer la main mise sur tous les lieux de pouvoir, en particulier théâtraux.
Au risque de se répéter,on leur fera quand même remarquer que Muriel Mayette, administratrice de la Comédie Française, Dominique Hervieu à la tête de Chaillot et Julie Brochen, au Théâtre national de Strasbourg dirigent trois des premiers établissements de France. Cela dit, les artistes de La barbe ont remonté les bretelles d’Olivier Py comme de Stéphane Braunschweig, en leur faisant remarquer très justement qu’il n’y avait aucune, ou sinon une,voire deux metteuses en scène dans leur programmation….
Ici, il y en au moins deux: Sabrina Baldassara avec une sorte de portrait de Michel Foucault et de ses amis dans les années 71, et Nathalie Garraud qui s’est emparée d’Ursule de Howard Barker.. dont nous parlons plus bas. Les choix sont larges: cela va de Toâ de Sacha Guitry, qu’il était mal vu de mettre en scène mais dont la cote semble remonter, à deux Shakespeare , deux montages, l’un de Macbeth, associé à Heiner Muller et Ismael Kadaré, écrivain albanais contemporain; et l’autre , à partir d’Henry VI, comme une sorte d’hommage involontaire, rendu à Roger Planchon décédé quelques jours après les deux reprsentations et dont ce fut une des pièces fétiches; il y a eu aussi L’enfant meurtrier, de et mise en scène, par un jeune auteur : Lazare Herson-Macarel. Et enfin, A petites pierres de l’écrivain togolais Gustabe Akakpo .
Cette pièce est une sorte de comédie populaire, au meilleur sens du terme, jouée sur un petit praticable, avec quelques accessoires, que l’on pourrait très bien voir en plein air dans le jardin d’une maison de jeunes à Niamey, Porto-Novo ou Cotonou. C’est une sorte de comédie de Molière africaine qui parle d’un sujet grave, la lapidation d’une femme au Nigéria. Mais cela reste une comédie , puisqu’au départ, il y a une aventure amoureuse qui tourne mal , pour cause de rencontre sexuelle imprévue.
C’est écrit dans une langue française magnifique, souvent très crue, avec de formidables inventions de mots qui se bousculent, des expressions où fleurissent les néologismes. On connaissait la langue d’Akakpo, mais là, c’est un pur délice, d’autant plus que les comédiens sont très bien dirigés par Thomas Matalou, comédien, qui a un sens rigoureux du plateau. De temps en temps, cela a un petit relent brechtien qui n’ose pas dire son nom mais , comme il a imaginé une mise en scène à la fois simple et inventive , cela passe la rampe comme on continue à dire , même s’il y a belle lurette qu’il n’y a plus de rampe nulle part. Et il n’ a pas hésité à faire jouer par des acteurs européens – qui sont tous d’un très bon niveau, un texte destiné à priori à des comédiens africains. Après tout, les africains jouent bien le théâtre européen….
Mais il est rare de voir dans un festival de jeunes compagnies, autant de maîtrise scénique chez un jeune metteur en scène; cela rappelle, dans un tout autre genre Les Soldats de Lenz qui avait lancé Patrice Chéreau. Donc ,longue vie à cette Compagnie de l’ Antre du Monstre… A voir, oui , cela se mange comme une friandise , malgré une petite baisse de qualité dans la seconde partie…
Quant à Nathalie Garraud et Olivier Saccamato dont la Compagnie du zieu dans les bleus, patronnée par Pierre Fourny du Groupe ALIS et installée en Picardie, ils ont osé s’attaquer à Ursule de Howard Barker; ( encore lui! ). Et cela se passe sur la grande scène du théâtre de l’Odéon. C’est encore bien entendu une histoire de catastrophe, comme chez Barker, inspirée de la fameuse légende de Sainte-Ursule, cette Princesse bretonne qui aurait refusé d’épouser Attila et aurait succombé comme ses compagnes -les non moins fameuses onze mille vierges ( sans doute une déformation de onze) sous les flèches des Huns. L’histoire a inspiré nombre de peintres dont Carpaccio , Le Caravage, et l’auteur du fameux rétable du couvent des sœurs noires de Bruges…
Chez Barker, il y a dix jeunes et très belles novices en robes blanches sous la conduite de Placide, une mère supérieure… en tailleur, escarpins et bas noirs. Il y a aussi un jeune prince nommé Lucas qui ne rêve que de se marier avec la belle Ursule à la longue chevelure blonde. Mais Ursule veut se consacrer à Dieu , et toutes les jeunes vierges seront livrées à l’épée de Lucas si l’on a bien compris, et Placide se livrera à Lucas. Le texte est assez fascinant, même et sans doute grâce à une certaine opacité, d’une grande qualité poétique: cela tient à la fois d’une espèce de légende médiévale et d’un bande dessinée.
Même si Barker, à son habitude, ne va pas dans la facilité ni dans l’apparence même d’une intrigue tissée d’un quelconque réalisme; cela veut dire qu’au bout d’une petite heure, on décroche. Dommage! On ne comprend guère que Barker se sente obligé de nous embarquer pour une aussi longue histoire. Quel que soit son indéniable talent poétique. Reste la mise en scène et la direction d’acteurs de Nathalie Garraud et Olivier Scamatto; aucun doute là-dessus, ils ont un sens pictural exceptionnel. Cela est au moins aussi beau que les premiers Bob Wilson des années 70 ( oui, oui) auquel on pense parfois: des tables étroites, une série de chaises identiques placées en biais, quelques accessoires, des grilles suspendues et une maîtrise gestuelle de tout premier ordre où rien n’est laissé au hasard.
Quelle rigueur, quelle intelligence dans le dispositif scénique! Les jeunes femmes habillées de longues robes blanc crème, Placide en noir, et Lucas, nu. Puis, à la fin ce seau de sang qu’un assistant jette sur la scène et qu’entraîne Placide avec sa longue robe. Ce sont des images bouleversantes que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Le tout dans des clairs obscurs, des pénombres et des rais de lumière comme on voit chez Lucas Cranach ou chez Rembrandt , ou plus près de nous chez un peintre comme Anselm Kieffer. Il y a bien longtemps qu’on n’avait pas vu tant de beauté ,aussi discrète que radicalement affirmée chez une jeune metteuse en scène.
On apprécie d’autant, que c’est plutôt bien interprété, notamment par Hugo Dillon, (Lucas) Rena Grimberg (Ursule) et Virginie Colemyn ( Placide), même si l’on avait parfois du mal à entendre quelques phrases un peu boulées. Mais les images, répétons-le, sont tout à fait exceptionnelles. Ursule est le deuxième volet d’une trilogie qui avait débuté par Ismène, d’après les Les Sept contre Thèbes d’Eschyle et Antigone de Sophocle, et avant le dernier: Victoria avec comme compagnon d’écriture Félix Jousserand.
Le spectacle doit tourner un peu partout en France, après Marseille où il a été créé et Bergerac, et Paris. Alors à voir? Oui, oui, oui, si vous vous assez de patience pour supporter d’écouter un texte qui n’a rien quand même d’exceptionnel, pendant deux heures quarante sans entracte, (on vous aura prévenu et pas mal de gens sortent), mais vous serez récompensé par la découverte d’images comme vous en avez rarement vues dans le spectacle vivant. C’est un peu à prendre ou à laisser… Dans ces cas-là, mieux vaut prendre que laisser. Mais n’emmenez tout de même pas votre vieille tante fatiguée ou votre pacsé(e) allergique à ce genre de spectacle…
Philippe du Vignal
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