Ubu-Roi
Ubu-Roi d’Alfred Jarry, mise en scène de Jean-Pierre Vincent.
Ubu qui a maintenant plus de cent ans , avait pour origine une petite pièce issue du cerveau intelligent de quelques lycéens de Rennes . Créée au Théâtre de l’Oeuvre en 96 dans un scandale total, recréée dans un forme pour marionnettes ( signée Pierre Bonnard-eh! oui), la pièce nous est maintenant bien connue, du moins à la lecture, bien qu’elle soit relativement souvent montée, en général sous une forme abrégée; mais, quel que soit le théâtre et la mise en scène- et nous en avons vu une dizaine- (Vilar, Vitez, Sobel, Topor, etc…) l’entreprise n’est pas facile à mener à bien.
D’abord, parce que la,pièce comporte quelque trente personnages et nombre de tableaux: la conspiration d’Ubu contre le roi Venceslas d’une Pologne mythique » c’est à dire nulle part » comme Jarry prend soin de le préciser, puis l’assassinat du Capitaine Bordure par les gens d’Ubu et le meurtre de Bodeslas et Ladislas les deux enfants du roi. Puis la décision d’Ubu de ne pas nommer Bordure duc de Lituanie, malgré l’avertissement de la mère Ubu et de réformer l’Etat en instituant des impôts extravagants qu’il décide d’aller prélever lui-même. La demande d’aide de Bordure au tsar de Russie , ce qui décidera Ubu à déclarer une guerre où il sera battu. Les retrouvailles miraculeuses avec la mère Ubu dans une grotte de Lituanie où il s’est retrouvé abandonné de tous . Des renforts qui viennent les sauver jusqu’à leur voyage en bateau pour la France où Ubu espère se voir attribuer le poste de Maître des Finances.
C’est, on l’aura compris, une sorte de vaste fresque épique ,aussi caricaturale que parodique ( on peut penser à Shakespeare) et on comprend que le public de l’époque ait été décontenancé par les merdre à répétition prononcés par Ubu ( qui ne font plus du tout rire) et par un vocabulaire tout à fait provocateur pour l’époque, fait de mots inventés ou reconstruits, d’archaïsmes. Et certaines des répliques sont même devenues culte comme : « Oui, de par ma chandelle verte. Je crève de faim. Mère Ubu, tu es bien laide aujourd’hui. Est- ce parce que nous avons du monde? » ou cet impérissable: « Les militaires font les meilleurs soldats » …. Il y a déjà du Vian et de l’Ionesco chez lui. Ubu roi restant malgré tout le seul véritable succès dramatique de Jarry, même s’il déclina par la suite les aventures du personnage mythique qu’il avait créé dans Ubu enchaîné, Ubu sur la butte, et Ubu Cocu.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que Jarry, mort d’abus d’absinthe à 37 ans ,écrivit aussi nombre d’articles pour des revues prestigieuses et traduisit Coleridge, Stevenson et l’allemand Grabbe. Mais son nom restera attaché à celui de ce personnage dément , tyrannique, découvreur de solutions miracle pour résoudre les problèmes de l’Etat, et sans aucun scrupule quand il s’agissait d’éliminer ses adversaires, bref l’archétype de la grande famille des dictateurs qui ont fleuri au 20 ème siècle et dont la race continue à prospérer au 21 ème, tous continents confondus avec trois paramètres incontournables: destruction des élites c’est à dire des gêneurs, mise en place de lois absurdes, pillage des richesses à son seul profit et à celui de sa proche famille…
Et la pièce ne manque pas de scènes courtes mais géniales où Jarry sait manier le grotesque et l’absurde, même si elle est souvent inégale dans sa construction. Alors que fait-on de ce matériau assez fabuleux pour exciter l’imagination, puisqu’il y a très peu de didascalies et que dans L’Inutilité du théâtre au théâtre, Jarry finalement laisse le champ ouvert aux metteurs en scène qui seraient tentés par l’aventure. Jarry, savait bien que la plus grande réussite d’Ubu avait été de commencer par être un échec/scandale tonitruant auprès d’un public peu habitué à ce genre de provocation.
Reste à savoir comment appréhender aujourd’hui – c’est à dire cent après- un pareil matériau qui peut devenir théâtral si l’on sait faire preuve d’intelligence et d’imagination. Ce dont Jean-Pïerre Vincent n’ jamais manqué. Mais c’est autre chose de tenter le coup avec les acteurs de la Comédie-Française qui a décidé ( mieux vaut tard que jamais! ) de faire entrer l’œuvre à son répertoire. Rien à dire, le travail est bien fait; il y a même de très bons comédiens comme Michel Robin, excellent roi Venceslas, Martine Chevallier ( la reine) ou Anne Kessler presque à contre-emploi en mère Ubu qui s’en sort assez bien, ou Gilles David en Capitaine Bordure et Serge Bagdassarian en Ubu. Mais il y a comme un curieux manque d’unité dans le jeu.
En fait, Vincent a surtout travaillé sur les gags, comme s’il avait cherché un moyen de faire oublier la durée de la pièce ( presque deux heures) jouée ici dans son intégralité, qui semble surtout vers la fin bien longue. Vincent semble s’être amusé en faisant une sorte de lecture personnelle d’Ubu-Roi; le public étant prié de se débrouiller pour décoder les choses. Et le spectacle va ainsi , cahin-caha, sans beaucoup de rythme, ce qui s’améliorera peut-être avec le temps ; il y a même quelques scènes drôles où l’on peut rire mais ni le texte ni la mise en scène ne risquent de choquer grand monde: l’ensemble reste sage et conventionnel, emprisonné dans un décor de carrelage gris sale, pas très réussi de Chambas avec une fosse en bord de scène qui semble paralyser les comédiens (et il y a de quoi!). Quant aux costumes, Patrice Cauchetier semble lui aussi s’être amusé mais il y aurait fallu, non pas de ces clins d’œil un peu faciles mais plus de rigueur pour parvenir à la démesure nécessaire .
Bref, du travail honnête mais qui manque singulièrement de cette folie, essentielle à Ubu comme si Jean-Pierre Vincent avait bien pris garde de ne froisser personne. Il a créé un personnage, celui d’Alfred Jarry (Christian Gonon) qui ,de temps en temps, fait un petit tour en vélo sur le plateau ( Jarry faisait beaucoup de vélo) et prononce d’un ton doctoral quelques didascalies, comme si cela allait aider les choses. Après tout, pourquoi pas, même si cela ralentit encore l’action… Christian Gonon , excellent acteur au demeurant, fait ce qu’il peut mais, rien à faire, le spectacle reste englué dans un conformisme de bon aloi, où il n’y a plus que les seules apparences de la provocation, mais plus rien de l’esprit loufoque et déjanté de la pièce .
Que fallait-il faire alors, du Vignal ? En tout cas, sûrement pas cela; comme le dit finement, Pierre Notte, secrétaire général de la Comédie-Française: « Un théâtre national n’a pas vocation à être provocateur ». Voilà ; la messe est dite. L’Ubu -Roi de Vitez, même si ce n’était pas une de ses meilleures mises en scène, avait au moins le mérite d’avoir assez d’humour ravageur pour faire encore (en 85) étrangler d’horreur quelques dames d’âge canonique ( voir plus bas la lettre indignée à Antoine Vitez d’une spectatrice par ailleurs directrice d’un collège de jeunes filles dans ce même blog, que nous vous avions offerte en guise d’œufs de Pâques et qui avait rencontré un immense succès ; l’on vous la mis à la suite de l’article pour vous éviter de la chercher si vous ne l’avez déjà point lue.
Il ne fallait pas rêver: que pouvait-on espérer de plus , que cette pâlichonne entrée au répertoire du premier théâtre national français plus de cent ans après la création de la pièce. Après tout, Ubu-Roi pouvait continuer à vivre sa vie sans la Comédie-Française… Alors, y aller ou non? A la rigueur, mais vraiment à la rigueur, avec votre vieille tatie en visite dans la capitale, qui pourra doucement somnoler en respirant les délicieux fumigènes qui envahissent le plateau déjà bien peu éclairé mais surtout pas avec votre amoureux ou votre amoureuse , ou avec des adolescents qui vous en voudraient à mort et qui riront dix fois plus en lisant le texte….
Philippe du Vignal
Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance.