La Lettre
La Lettre de Jean-Luc Jenner, mise en scène de l’auteur.
Le Théâtre du Nord-Ouest où Jean-Luc Jenner s’est installé voilà douze ans, est plutôt du genre glauque et pas propre, où, malgré les panneaux d’interdiction, les gens ne se gênent pas pour fumer dans le hall comme dans la cour; cela sent évidemment une odeur de tabac froid et de saleté très agréable jusque dans la petite salle. Bonjour l’accueil! Mais c’est à prendre ou à laisser si l’on veut voir cette Lettre.
C’est l’histoire d’un couple pas très jeune, marié sur le tard comme ils le disent eux-mêmes. Le soir tombe et, malgré la guerre, le petit village est paisible… Ils dînent en silence, un dîner correct pour l’époque, pas comme dans les villes ,puisque nous sommes en pleine » drôle de guerre » Ici, tout le monde se connaît et passe son temps à parler des autres: du brave type qui parle quand même de fusiller les résistants mais aussi de la fille qui est enceinte dont on ne sait trop qui. Comme il dit: « Si dans un petit village, on ne sait plus qui baise avec qui. ».. Bref, ils parlent tous les deux calmement en s’asticotant un peu comme un vieux couple mais il règne une certaine angoisse: une lettre de leur fils qu’ils attendaient , le facteur ne l’a toujours pas apportée!
Alors, ils continuent quand même à manger sans grand appétit. Coup de sonnette électrique ( ce qui n’existait guère à la campagne mais passons…), elle va vers la porte d’entrée et se retrouve devant deux policiers qui veulent voir le mari pour lui remettre la lettre de leur fils. Le père qui a déjà compris, revient, complètement défait et finit par décacheter la lettre qui est en fait une lettre d’adieu où il dit qu’il attend, avec ses camarades sans trop de peur mais quand même un peu, d’être fusillé à l’aube pour faits de résistance. Le père se met à lire les mots qu’il attendait et continue à lire ce long adieu à ses parents où, ma foi, il y a beaucoup de choses très belles et très justes.
C’est malheureusement ensuite encombré d’une espèce de pathos métaphysico-catholique insupportable qui n’a pas grand chose à faire là. Et , tout d’un coup, la pièce , au lieu de monter en puissance, s’écroule assez vite, ce qui était prévisible. C’est plutôt pas mal joué par le comédien, un peu moins bien par elle , parce que c’est très difficile:dans des circonstances pareilles, elle devrait s’écrouler en larmes aussitôt et sortir de table. En fait, toute la pièce est presque un monologue. Il y avait, ce soir-là, dix spectateurs , dont un excellent ronfleur, face aux comédiens, dans cette salle déjà peu accueillante, encombrée de poteaux où l’on entend la musique et le son du spectacle qui se joue dans l’autre salle! Cela n’arrangeait donc rien et c’était un exercice vraiment difficile pour des acteurs: cette Lettre tout ne retenait pas l’attention très longtemps.
Alors à voir? Non, sans doute pas, cette lettre n’a pas une écriture suffisamment convaincante et il est difficile de considérer le spectacle comme un travail en cours, dont il faudrait revoir toute la dernière partie… A moins aussi que vous ne comptiez au nombre des fans de Jenner qui fait preuve d’une énergie et d’une ténacité exemplaires, pour maintenir les deux salles de son petit théâtre en vie. Il y a, chaque saison au Théâtre du Nord-Ouest, un cycle consacré à un grand auteur et dont les créations sont confiées à de jeunes metteurs en scène: cette année Molière en intégrale ( Jenner assure lui-même la mise en scène de Don Juan, quelque 38 pièces qui traitent du personnage de Don Juan sont aussi inscrites au programme!!!! Aucun commentaire!
C ‘est vrai que Jenner devrait revoir d’urgence sa politique de programmation ( chaque pièce est jouée en alternance! et dans des conditions matérielles très difficiles pour les compagnies), et les orientations artistiques du Théâtre du Nord-Ouest sont ctuellement peu visibles. On se demande même par quel miracle, Jenner arrive à faire jouer autant de spectacles et à survivre.. Mais ce stakanovisme théâtral est- il bien efficace? En tout cas, l’ Etat comme la Ville, semblent avoir quelque peu baissé les bras et ne sont guère enthousiastes quant à un soutien possible…
Philippe du Vignal
Théâtre du Nord-Ouest ( en alternance)