Européana, une brève histoire du XX ème siècle

  Européana, une brève histoire du XX ème siècle de Patrik Ourednik, mise en scène de Myriam Marzouki.

 

europeana2lightdrdavidschaffer.jpgL’auteur  (52 ans), praguois d’origine s’est exilé en France depuis 1984 où il vit actuellement; on le connait comme l’auteur de récits, essaits et poésies mais il est aussi traducteur en tchèque de Rabelais, Jarry, Queneau, Beckett et Michaux. Europenana , publié en tchèque en 2001, a été  traduit en français*.

  C’est, comment dire les choses un peu vite, une sorte de manuel d’histoire de feu notre vingtième siècle ( essentiellement occidental) où , en quelque cent cinquante pages , Patrik Ourednik a compilé, malaxé, trituré des centaines de faits qui appartiennent aussi bien à la » Grande » histoire »   qu’à la petite, celle des individus vécue  au quotidien; en vrac: les atrocités de la guerre de 14 -18 et celles de 39-40,  l’annonce du fameux bug électronique qui aurait pu se passer au passage du XXI ème siècle, le droit de vote des femmes, les camps d’extermination nazis avec toutes leurs  horreurs, Auschwitz, Buchenvald et Therensienstadt, le camp des artistes, fausse vitrine à l’intention des visiteurs de la Croix -Rouge,les non moins tristement  goulags soviétiques  et puis l’invention de l’électricité,  de l’escalier roulant, et  de la poupée Barbie , du bas nylon, de  la psychanalyse déclinée sous toutes ses formes, du soutien-gorge..

  Cela part de la fin du 19 ème siècle , passe jusqu’en mai 68, repasse par les tueries de 14 , revient à l’époque contemporaine dans une espèce de vérité historique qui aurait été apprise puis mal digérée  par un élève du secondaire; on ne sait plus très bien où l’on en est ,de la vérité historique avérée qui semble cependant sorties d’un manuel scolaire de bas étage avec son lot de stéréotypes sur les races et les peuples; c’est peu de dire ,  comme Myriam Marzouki, que l’auteur brouille les pistes… Il  s’y complait  et accumule des chiffres et des statistiques qui s’entrechoquent jusqu’à ne plus avoir leur  sens primitif. C’est à la fois le charme  et le défaut de la cuirasse  de ce texte qui a tendance à ressasser un peu les choses; et ce qui peut passer sans difficulté à la lecture, encore que, devient à la longue assez lassant sur un plateau…

  La science historique  et la mémoire populaire chez  Ourednik provoquent de sacrés court-circuits, comme un cerveau qui n’arriverait plus à débrouiller le vrai du faux, le passé du présent, les faits reconnus et la fiction la plus délirante. Patrik Ourednik sait , mieux que personne, pointer les  stéréotypes de la langue orale comme écrite, les vérités scientifiques considérées comme absolues qui, vingt ans après, apparaissent comme totalement dépassées.

  C’est souvent brillant, toujours poétique, parce que l’auteur a bien compris, dans la sillage du dadaïsme et du surréalisme que  ce manque de hiérarchie dans les événements  et l’énoncé « naïf  » des faits provoquait  comme une sorte de feu d’artifice poétique, même quand il traitait des choses les plus sinistres qu’ait pu inventer l’homme du vingtième siècle dans les supposées démocraties  occidentales. Myriam Marzouki,  en philosophe avertie, a vu là  matière non pas à  du théâtre traditionnel ,mais à un forme de »théâtre concert » , dit -elle,  qui  se transforme en délire poético-musical.Aucun décor qu’un tapis rose bonbon et une guirlande de lampes rouges aussi absurde qu’efficace traînant sur le bord de scène, et trois petits praticables  noirs et ronds et qui tournent de temps en temps.  Au-dessus de la scène ,un écran pour la traduction simultanée de quelques phrases en allemand ou en anglais, histoire de compliquer encore un peu les choses….

  Il y a en, fond de scène ,le plus souvent ,trois garçons, trois musiciens ,auteurs de la partition originale( Nicolas Laferrerie, Emilien Pottier et Stanislas Grimbert )qui jouent de tout: piano, batterie, guitare ,contrebasse, accordéon, synthé et ce curieux petit instrument que l’on appelle melodica .Il  y  a aussi trois  jeunes comédiennes qui s’emparent de ce récit à tour de rôle, ou parfois en choeur, habillées comme les garçons d’une  salopette bleu foncé à la Meyerhold, ou en robe  et escarpins noirs avec perruque blonde. Et elles disent les choses  les plus horribles, les plus consternantes sans verser la moindre larme avec une candeur et une naïveté mêlées  d’une rare insolence, comme de sales gamines qui voudraient renvoyer à leurs parents un cours d’histoire  imbécile qu’on leur a forcé à apprendre en classe .

  Et c’est vrai que le spectacle sonne souvent comme une piqure de rappel à l’intention des générations passées, bien que personne ne soit dupe :les mêmes constats accablants pourront être faits à celles  qui les auront suivies…Rappelons- nous que Jacques Chirac faisait encore joujou avec la bombe atomique sur le territoire français et que Simone Weil a dû subir les injures d’une bonne partie du Parlement français quand elle réussit à faire voter la fameuse loi sur l’interruption volontaire de grossesse… On en passe et des meilleures…

  Et elle disent tout cela, avec une étrange diction,  à la fois langoureuse et sotte ,aussi impeccable dans l’énoncé des ces barbaries et stupidités en tout genre, que leur  gestuelle. très élaborée. Elle s’appellent Charline Grand, Clémence Léauté et Alice Benoit , et c’est un vrai régal que de les voir sur un plateau, d’autant qu’elle savent ne pas en faire trop et  qu’elles ne sont jamais vulgaires , ce qui aurait été chose facile…
  Myriam Marzouki a su imaginer, comme elle l’avait fait pour ses précédents spectacles, une mise en scène qui accorde à la musique, au texte dit , comme à la parole chantée , disons à l’oralité en général,une unité scénique, et sait diriger ses musiciens comme ses actrices, avec beaucoup de maîtrise. Ce qui n’était pas gagné au départ.

  Le spectacle est encore un peu vert, et la balance entre la musique jouée et le texte des trois comédiennes pas toujours très au point; d’autant que les trois comédiennes  ont un micro, presque en permanence, ce qui n’est vraiment pas indispensable. Ces foutus micos HF en effet, la plupart du temps et , c’est le cas ici ,  tuent les nuances et uniformisent les voix, ce qui est bien dommage; quant au  texte, il  mériterait sans doute  quelques coupes; il y a deux fausses fins qui plombent  le spectacle qui n’en finit pas de finir . Mais tout cela devrait être  réparable…
  A voir?  Oui, si vous voulez voir comment une jeune  réalisatrice intelligente et douée, réussit avec trois musiciens et trois comédiennes un spectacle bien construit , sans doute  actuellement trop long mais  tout à fait jubilatoire, même si l’horreur , le sang et les larmes sont souvent au rendez-vous de ces pages d’histoire que l’homme,  c’est à dire nous. avons réussi à léguer à nos enfants. Cela dit , bienvenue quand même dans ce monde de brutes à la petite Hannah  née il y a quinze jours qui dormait du sommeil des justes dans les bras de sa metteuse en scène de maman. Elle aura soixante ans en 2069, cela suffit à donner le vertige…

 

Philippe du Vignal

Le texte est édité aux Editions Allia ( 2004).

Maison de la Poésie, Passage Molière 157 rue Saint-Martin. Paris, jusqu’au 28 juin.

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EUROPEANA  par Edith Rappoport

De Patrik Ourednik, mise en scène Myriam Marzouki, compagnie du dernier soir
J’avais vu ce texte présenté à Aurillac par le Groupe Merci, mis en scène par Solange Oswald dans un cylindre de la mort (161) et je m’interrogeais sur l’intérêt de ce texte dans une scénographie moins originale…Et bien malgré le beau dynamisme de cette compagnie du dernier soir, trois belles actrices et trois musiciens qui brossent cette brève histoire du 20e siècle, de l’émancipation de la femme au camp de Theresienstadt en passant par l’invention du soutien gorge et de la psychanalyse, je reste sur mes positions. Europeana ne m’a pas captivée.

 

 

 

 

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