La dame de chez Maxim
La dame de chez Maxim de Georges Feydeau mise en scène de Jean-François Sivadier.
C’est avec cette Dame de chez Maxim, le troisième Feydeau de la saison dont nous vous rendons compte, après La Puce à l’oreille, mise en scène par Paul Golub au Théâtre de l’Athénée, et les Fiancés de Loches à Nanterre -Amandiers, mise en scène de Jean-Louis Martinelli, ( voir les critiques dans theatredublog) tous les trois créés dans un théâtre public. Il faudrait aussi signaler aussi au théâtre Saint-Georges, sa toute première pièce Chat en poche où il fait déjà preuve d’une sacrée imagination pour faire vivre deux familles des situations ingérables.
Bref, c’est l’année Feydeau, dont les pièces débarquent, dans un style ou un autre, comme de bons antidotes à ce que l’on appelle « la crise ». Jean-François Sivadier, l’excellent metteur en scène d’Italienne avec orchestre ( 1996 déjà ), du Mariage de Figaro et d’une très remarquable Vie de Galilée de Brecht, s’est emparé avec la plupart de ses acteurs habituels de la pièce de Feydeau .
Sans être la meilleure de l’auteur ( la dernière partie s’essouffle un peu ), elle est un bel exemple de la la machinerie mise en place pour faire naître le comique à partir d’une situation qui est déjà au départ ingérable et qui va, au fil du temps et des circonstances, engendrer quiproquos, malentendus, délires et mensonges en tout genre improvisés à la dernière seconde, pour arrêter la catastrophe imminente le plus souvent au sein d’une famille ou d’un couple. Et cette Dame de chez Maxim n’échappe pas à la règle; on ne va pas vous résumer toute la pièce , ce serait trop long , impossible et surtout inutile.
Il s’agit des mésaventures du brave docteur Lucien Petypon qui ,après une nuit où , avec son collègue et ami, le docteur Monchicourt; il n’ pas bu que de l’eau, et retrouve , dans son lit la Môme Crevette, , une danseuse du Moulin-Rouge. Il est évidemment prêt à tout pour se débarrasser de cet élégant fardeau, (qu’il ne se souvient même plus d’avoir ramenée chez lui)avant que son épouse Gabrielle ne s’en aperçoive.. Mais la jolie fille, a bien envie de laisser pourrir la situation qui ne peut que lui profiter, puisque la balle est dans son camp. Ce qui parait déjà difficile à résoudre pour Lucien, mais ,comme chez Feydeau,une catastrophe n’arrive jamais seule, son oncle, le colonel Petypon, de retour d’Afrique, vient le prier de venir au mariage de sa fille dans son château de Touraine.
Bien entendu, le colonel croit que la môme Crevette est l’épouse de Petypon qui se verra donc obligé de l’emmener au mariage, en prétextant un déplacement d’ordre médical des plus urgents. Et bien entendu aussi , Gabrielle prendra le train suivant et arrivera elle aussi au château; et Monchicourt ne tarde pas on plus pour venir en aide à son vieux copain. Mais c’est un peu comme dans La puce à l’oreille avec son hôtel du Minet galant, tout ce beau monde se retrouve là où la môme Crevette n’a aucune raison d’être , d’autant plus qu’elle y retrouve ,par hasard, son ancien amant, le lieutenant Corignon et … futur époux de la fille du colonel; mais, au cours de la réception, la môme Crevette accumule gaffe sur gaffe avec un plaisir évident et une sorte de perversité , et devient de plus en calamiteuse au grand désespoir de Lucien ; en effet, elle est pige vite et est capable avec cynisme et sang-froid, de renverser une situation au tout dernier moment, elle réussit même à être au mieux , sous une fausse identité de cousine, avec Madame Petypon. La môme Crevette, dans ce domaine là, ne doit pas en être à son coup d’essai et connaît bien les hommes…
Coup de théâtre inattendu: elle s’enfuira avec son ancien amant. Les hasards chez Feydeau, même programmés sont toujours formidables , parce qu’inattendus, et sauvent les choses in extremis. Et même quand on connaît la pièce, on est comme des enfants, on les savoure encore… Revenu à Paris, le brave docteur Petypon arrive à se tirer, lui, des situations les plus accablantes , grâce à une invention diabolique de son crû: le fauteuil extatique , sorte de chaise électrique inoffensive qui a le don de figer en une demi- seconde, dès que l’on appuie sur un bouton, les gestes et les paroles de la personne qu’il y fait asseoir. ( voir photo plus haut) .
Gabrielle a fini par tout comprendre ( elle aura mis du temps! ) mais le couple Petypon, arrivera ,tant bien que mal, à se réconcilier. Même après tant de demi-scandales et autant d’incroyables aventures qui n’auraient jamais dû se produire si Petypon n’était pas rentré ivre mort chez lui. Un couple, semble nous dire Feydeau , reste un couple. La morale est un peu grinçante et cynique; qu’importe, il y aura eu , entre temps, des scènes du plus haut comique, dès lors que l’on accepte les conventions et l’invraisemblable des situations, qui, plus d’un siècle après la création de la pièce , fonctionnent encore parfaitement; et dans l’écriture comique, chacun sait que c’est loin d’être évident.
Reste à savoir maintenant , comment s’emparer en 2009, d’une pièce aussi magnifiquement délirante; Golub et Martinelli avaient choisi de situer la pièce à notre époque; avec des décors assez laids et une mise en scène discutable chez Golub, et plutôt réussis mais peu crédibles chez Martinelli; Jean-François Sivadier a lui choisi de situer les choses sur un plateau nu ,avec toute une machinerie de fils que l’on fait fonctionner à vue sur le côté. Quelques chaises de bois blanc alignées ou non, un canapé, un lit , avec un ciel de lit blanc qui restera ensuite comme drapé et des panneaux de latté qui descendent des cintres pour figurer des portes ou une table de buffet, voire les tableaux historiques du château, et un grand coffre en miroir sans tain pour figurer la chambre de madame Petypon où elle est enfermée mais d’où elle peut observer la réception. Sivadier adore la machinerie, les praticables qui se déplacent au fur et à mesure , bref, tout l’endroit comme l’envers, et peut-être encore plus l’envers de la représentation théâtrale. A vrai dire, ce qui peut fonctionner pour Brecht , n’est pas aussi réussi chez Feydeau, et tout se perd un peu sur le grand plateau de l’Odéon.
On a souvent l’impression que Jean-François Sivadier s’est fait lui-même piéger par la scénographie qu’il a installée avec la complicité de Daniel Jeanneteau et de Christian Tirolle, en voulant faire, à tout prix, preuve d’invention: du genre, je ne vais pas me contenter de ce que les autres ont déjà fait ( entre autres, Alain Françon qui avait réussi les choses avec un décor beaucoup plus malin), et vous allez voir ce dont je suis capable pour dire toute la modernité du texte de Feydeau! Mais les costumes sont de toutes les époques et assez hideux, disons les choses! Il doit sûrement y avoir une intention là-dessous, mais laquelle?
Et cela finit évidemment par nuire à la mise en scène qui reste quand même bien menée, même s’il y a une baisse de rythme dans la seconde partie, en partie, à cause de la pièce qui commence à patiner un peu. Mais cette déconstruction prétentieuse appliquée à Feydeau était- elle indispensable? La réponse est carrément non. C’est dommage; surtout, quand Sivadier a eu l’intelligence de faire appel à quelques grands interprètes , qu’il dirige très bien ,comme Nora Krief en môme Crevette, qui joue à la perfection et avec gourmandise,cette sale gamine intelligente,pas vraiment vulgaire mais trop heureuse de pénétrer dans un milieu qui n’est pas du tout le sien pour se payer une bonne tranche de rigolade , à coup de provocations et de coups tordus qu’elle ira raconter à ses copines.Du grand art…Nicolas Bouchaud, excellent comédien, lui aussi, joue, avec beaucoup de finesse et de second degré, le pauvre docteur Petypon qui, complètement égaré d’abord, puis, assommé par tant d’ennuis, remonte la pente pour la redescendre aussitôt ,en dégoulinant de sueur et d’accablement. Et Gilles Privat, avec sa silhouette et sa voix inimitable , est un merveilleux colonel stupide et arrogant… Et le spectacle doit beaucoup à ces trois acteurs exemplaires. Le reste de la distribution est aussi de bonne tenue, même si, mais- est-ce évitable sur un aussi grand plateau?- les acteurs crient souvent et sans raison.
Alors à voir? Oui, si l’on veut, mais l’on peut aussi regarder le spectacle sur Arte demain, mais ce n’est pas et ,de loin, malgré des airs de fausse modernité et des trucs bien usés comme ces allers et retours dans la salle qui ne servent à rien, la meilleure des Dame de chez Maxim que l’on ait pu voir. Ce dimanche dernier, la salle était bien remplie et une bonne partie du public était même assez jeune, ce qui fait toujours plaisir, mais les applaudissements , malgré plusieurs rappels, n’étaient pas non des plus délirants.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 25 juin puis à partir d’octobre à Sceaux, Reims, Grenoble, Amiens, Annecy, Caen, Nantes et Valence; et demain soir donc mercredi à 20 H 45 sur Arte.
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LA DAME DE CHEZ MAXIM Théâtre de l’Odéon par Edith Rappoport
de Georges Feydeau, mise en scène Jean François Sivadier
Ils sont seize comédiens, une vraie troupe, pour brosser l’imbécillité d’un drame bourgeois et en dépit de la minceur de l’intrigue, peut-être à cause d’elle, c’est un régal jubilatoire qui déploie des rires salutaires et bien rares au théâtre. Un médecin Lucien Petypon se retrouve au lendemain d’agapes arrosées, il ne se souvient plus de rien. Il a ramené chez lui la Môme Crevette (émoustillante Nora Krief), dont il cherche désespérément à se débarrasser, au moment où son vieil oncle,le Général Petypon, vient l’inviter au mariage de sa nièce. Il prend la Môme pour son épouse, émoustillé, il l’invite aussi. De fil en aiguille, toujours au bord du scandale, la femme de Petypon (excellente Nadia Vonderhuyden) finira par pardonner et se révéler, le général emmènera la Môme en Afrique. Comme toujours, Nicolas Bouchaud est prodigieux dans le rôle principal, mais on peut saluer l’ensemble de la distribution, en particulier Gilles Privat en général et Stephen Butel en Mongicourt, l’ami fidèle
Edith Rappoport