Nuit Blanche chez Francis
Nuit Blanche chez Francis, textes, chansons, vérités profondes et autres plaisanterie, spectacle conçu, réalisé et présenté par La Belle Equipe: Jean-Baptiste Artigas- Guillaume Destrem- Alain Dumas- Didier Le Gouic.
Francis Blanche a, pour beaucoup d’entre nous, disparu des écrans radar depuis bien longtemps… Il était né en 1921 et a commencé vers 17 ans au cabaret; il a joué au théâtre avec les fameux Branquignols de Robert Dhéry , écrivit aussi et interpréta plusieurs pièces dont Adieu Berthe, joua dans une centaine de films dont un bon nombre de nanars comme il le reconnaissait lui-même, mais a tout de même joué dans Belle de nuit de Luis Bunuel, dans plusieurs films de Jean-Pierre Mocky, et dans Les Tontons de Georges Lautner . C’était lui encore le dialoguiste du film La grande bouffe de Marco Ferreri.Il aussi fait de tout, quelques 673 chansons dont la fameuse Débit de lait, débit de l’eau de Charles Trenet , de nombreux poèmes réunis notamment dans le recueil Mon Oursin et moi, Il était sans aucun ans doute curieux de tout, je l’avais même rencontré en 1967, à Mysteries and smaller pieces, le fameux spectacle qui fit connaître le Living Theatre en France.
C’était aussi le précurseur des canulars téléphoniques comme cette réclamation à propos d’un ouvre-boîte dont il n’arrivait pas à se servir pour ouvrir une boîte de petits pois. Il s’était aussi rendu célèbre avec son complice et ami Pierre Dac, en créant les fameux feuilletons radiophoniques comme Malheurs aux barbus ou Signé Furax ( 1043 épisodes!) ; au lycée, ceux qui avaient le privilège de pouvoir rentrer chez eux déjeuner, racontaient aux copains l’épisode quotidien…
Francis Blanche était une sorte d’ovni dans le monde artistique, qui ne manquait pas d’impertinence et d’irrespect par rapport aux valeurs établies, politique comme religieuses, et l’on reste encore admiratif trente cinq ans après sa disparition, des jeux verbaux, mots à tiroirs, devinette stupides, calembours, tous porteurs d’une véritable poésie, comme ses chansons réécrites sur des musiques célèbres, que ce soit sa formidable Truite de Schubert d’après son Quintette en la majeur , ou d’autres comme La Pince à linge d’après La Symphonie n°5 de Beethoven.
On connaît beaucoup de choses de Francis Blanche mais c’est un vrai régal de les redécouvrir aussi subtilement interprétées. Donc, La Belle Equipe s’est emparée de ces chansons, petites fables « idiotes », imitées des grandes, devinettes stupides , faux interviews ou poèmes, aphorismes et autres pensées, avec beaucoup de savoir-faire et d’intelligence scénique. Disons,les choses sans hésitation, c’est un spectacle tout à fait remarquable : à la fois bien équilibré ,avec une dramaturgie exemplaire où rien n’est laissé au hasard; entre le cabaret et le théâtre; à quatre ,ils savent à peu près tout faire; ils chantent aussi bien qu’ils jouent, sans jamais en faire de trop, en s’ accompagnant au piano ou à la guitare…
Il n’y a pas grand chose sur la scène que des rideaux noirs et cinq chaises tubulaires d’école maternelle. Et ils ont tous les quatre un réel talent de conteur: diction et gestuelle très précise, unité dans le jeu, facilité pour passer du chant choral au jeu. C’est à la fois tout à fait simple et d’une grande rigueur; le seul petit bémol est l’évidente médiocrité des costumes qui ne sont pas signés et qui devraient être revus et corrigés d’urgence.
Et tous les sketches qu’ils soient joués en solo ou en groupe sont de petit bijoux: comme celui du cinéaste italien très branché qui déclare : » Le cinéma pour moi est visuel » et précise avec beaucoup de prétention qu’il a innové ces dernières années en supprimant la voix et le son, c’est à dire en inventant un cinéma qu’il qualifie de muet On retrouve ce qu’il y a de meilleur dans l’univers déjanté de Francis Blanche: à la fois cette espèce de délire et de jubilation devant la bêtise et la prétention humaines, souvent teintée d’une certaine mélancolie en filigrane qui fait tout le charme de ces textes où chaque mot est pesé, chaque phrase est à sa juste place.
Et vraiment, cela fait du bien, de rire mais de rire vraiment, surtout en fin de saison, quand on a vu des spectacles aussi sinistres que le Let me alone de Bruno Bayen à la Colline ; même si, parfois, il y de la tristesse dans l’air quand les quatre compères disent des extraits de Mon oursin et moi: » On ne peut ruiner que celui qui fut riche. Et l’on ne peut tromper que celui qu’on aima » ou » Le chagrin est une sorte de chat sauvage, de couleur grise. son cri est plutôt triste et lugubre. Il faut se mettre à plusieurs pour en venir à bout. Car tout seul, on arrive mal à chasser le chagrin ».
A voir? Pas le moindre doute là-dessus; et cela aurait fait plaisir à Francis Blanche,cette nuit blanche se passe dans la salle du Théâtre noir….
Philippe du Vignal
Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs, à 20 heures
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