Impressions sur le théâtre russe.



 Impressions  sur le théâtre russe.

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     Il y a en Russie une grande différence entre le théâtre des deux «  capitales », Moscou et Saint-Pétersbourg et le théâtre en province. Le théâtre des villes de province est resté davantage un théâtre de troupe, plus fidèle à la tradition soviétique, moins exposé à la pression du «  marché » et aux influences occidentales. En mars dernier j’ai séjourné à Samara, une ville d’un million d’habitants, situé à 860 kilomètres à l’Est de Moscou. C’est un centre industriel important (constructions mécaniques et de fusées, pétrochimie, etc…) qui possède aussi plusieurs théâtres: le Dramthéâtre, le Théâtre Principal d’Art Dramatique, dirigé par Viatcheslav Gvozdkov et le Samart dirigé par Serguei Sokolov et dont le principal metteur en scène  est Adolphe Schapiro, un créateur appartenant à la vieille Ecole, qui a mis en scène récemment Mère Courage avec un vif succès.  Et cette saison, le Samart a créé   Le Revizor, la célèbre pièce de Gogol, dans une mise en scène très dépouillée d’ A.  Kouzin qui a fait un excellent travail: décor ingénieux, rythme, jeu des comédiens…Et surtout on entend le texte comme s’il venait d’être écrit, sans aucun effort d’ « actualisation » ! On ne peut que louer la modestie d’un metteur en scène qui se met au service d’une œuvre au lieu de l’utiliser pour assouvir ses propres fantasmes. Pourtant, ce même Kouzin a complètement échoué dans sa vision d’un autre classique du théâtre russe, La Forêt d’Ostrovski, qu’il vient de créer au Dramthéâtre. Accentuant le côté rocambolesque de l’histoire, exagérant les situations, outrant les  caractères, il n’a réussi qu’à déformer complètement une œuvre qui perd aussi bien l’acuité de sa peinture sociale que sa force poétique pour sombrer dans un grotesque de Grand Guignol. C’est fort dommage car s’il est un auteur aujourd’hui en Russie qui est «  notre contemporain », c’est  bien Ostrovski, qui, dans la deuxième moitié du XIX ème siècle, a fondé le théâtre russe moderne. Il reste l’auteur le plus joué et la peinture corrosive qu’il a donnée de la société de son temps s’applique parfaitement aux mœurs et à la mentalité des Nouveaux Russes d’aujourd’hui.  On  a pu voir aussi  au Dramthéâtre Les Coccinelles, une pièce intéressante de Sigarev, un auteur  qui a fait ses débuts avec le groupe de Koliada à Ekaterinbourg.  L’histoire est celle d’adolescents qui habitent une petite ville paumée de province, en proie au désarroi devant l’absence de perspectives qui leur sont offertes dans la société russe actuelle… Cela se passe dans un appartement où un mafieux  menace en permanence deux jeunes filles et trois garçons, une situation dont la sinistre banalité risquerait d’ennuyer les spectateurs, si elle n’était vécue avec une belle intensité par de jeunes acteurs  issus de l’Ecole de théâtre de Samara. Cela confirme une constante du théâtre russe qui, depuis la fin du communisme, repose davantage  sur la qualité du jeu d’acteurs que sur l’invention des mises en scène.  Nous avons vu aussi à Samara Le Colonel-Oiseau, pièce de l’auteur bulgare Hristo Boytchev qu’avait montée il y a dix ans pour  Avignon,  Didier Bezace avec Jacques Bonnafé et André Marcon; c’est l’histoire de quelques hommes et d’une femme repliés dans un asile de fous qui reçoivent un colis venu du ciel, c’est à dire pour eux du paradis que représente, à leurs yeux, l’Europe de l’Ouest,  colis en fait destiné  à leurs voisins bosniaques. Ce qui va déclencher chez eux l’idée de se constituer en territoire indépendant. La fable est sans doute un peu mince, quand il s’agit de parler de la folie ou du rattachement de la Bulgarie à l’Europe. C’est en fait aussi toute la question  des identités nationales que l’auteur veut traiter et qui, on le sait bien, préoccupe beaucoup les pays de l’Est, au moment de rejoindre l’union des pays européens. La mise en scène signée par le directeur du théâtre,  est intelligente avec un beau travail de scénographie. Et c’est toujours émouvant de voir un public qui s’habille  pour aller au théâtre, avec ce même  rituel coutumier aux pays de l’Est. Chose plus étonnante, il y a dans la salle de nombreux jeunes gens étudiants ou lycéens et des ouvriers comme des employés; le théâtre a encore, à Samara comme  dans les autres grandes villes de province,  une fonction sociale tout à fait reconnue. Si la routine est le péril qui guette une troupe permanente, en revanche, la stabilité et la sécurité qu’elle assure est un facteur de vie collective. Dans les théâtres que j’ai eu l’occasion de visiter, à Samara, à Tioumen, les comédiens forment une vraie famille car le théâtre en Russie, depuis toujours, est un refuge où l’on oublie les difficultés de la vie réelle ; la scène est le lieu  de la «  vraie vie », une vie de l’esprit trop souvent absente d’une société sans merci. Et ces théâtres permanents subissent moins la tentation de commercialisation des spectacles qui est le fléau des théâtre privés, dits «  théâtres d’entreprise », où avec quelques «  têtes d’affiche » on bâcle des spectacles dont les billets sont à prix d’or pour le public des nouveaux riches. La troupe de Koliada, installée à Ekaterinbourg, est un bel exemple de la pérennité et la noblesse d’une tradition qui préfère la qualité artistique aux avantages matériels.  J’ai été, il y a deux ans, membre du jury du Festival de Tioumen et l’on a  donne le Grand Prix au Revizor monté par Koliada, qui vient d’être invité au Festival Passages de Nancy. Ce Revizor, d’une liberté audacieuse d’interprétation, renouait avec les sources populaires du théâtre de foire et donnait à une œuvre si souvent jouée  la fraîcheur de la surprise et de la nouveauté.
A Moscou, au théâtre Maly, qui est le grand théâtre académique, le «  petit » frère  du Bolchoï pour l’art dramatique, nous avons vu Les enfants du soleil de Gorki, un spectacle très controversé du même Adolphe Schapiro, que nous avions rencontré à Samara. La querelle qui divisait la troupe, la critique et le public,  opposait les modernistes et les conservateurs et portait sur l’introduction d’un motif yddish rajouté par Schapiro et qui mettait la pièce dans un contexte auquel Gorki n’avait sans doute pas songé, d’où une contestation non dénuée d’arrière-pensées «  patriotiques ». Cet incident avait pris, d’ailleurs, une telle importance parce qu’il prenait place dans un lieu de culte devenu le symbole même du théâtre russe. Au Maly, même les plus mauvais spectacles font régulièrement salle comble, une salle le plus souvent remplie de jeunes gens endimanchés, qui viennent là comme à l’église. Il est curieux, d’ailleurs, de constater, qu’au cours du temps, les acteurs qui, dans leur jeunesse, ont adhéré aux mouvements d’avant-garde, finissent presque toujours leur carrière au Maly.  J’y ai vu, jadis, les acteurs de Meyerhold et d’Eisenstein, on y applaudit à présent des  acteurs, des actrices qui ont fait leurs débuts chez Vassiliev et sont devenus des « icônes » de ce théâtre d’Etat où l’on ressent encore fortement la nostalgie de l’Empire.

 
Gérard Conio

 


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