Anjo Negro
Anjo Negro de Nelson Rodrigues, mise en scène de Marc Adjadj.
Nelson Rodrigues, auteur brésilien ( 1912-1980) est maintenant bien connu en France, où son théâtre- en particulier Valse n°6- fut très vite accueilli avec intérêt, ( voir notamment les divers numéros de la revue Théâtre Public) alors que dans son pays, la censure en avait longtemps interdit les représentations à plusieurs reprises; sans doute les thèmes qu’il développait, dont la représentation scénique de l’inconscient, du non-dit ou non-avouable, et des relations sexuelles hors-norme, dérangeaient singulièrement les autorités comme les universitaires.
Dans Anjo Negro, Ismaël a des rapports d’une violence inouÏe avec son épouse Virginia qui a tué ses trois premiers enfants; en fait, Virginia n’a qu’une idée en tête: redevenir la jeune fille, pure et vierge qu’elle a été autrefois: autant dire qu’elle nie sa propre identité. Tout comme Ismaël qui lui refuse sa négritude, dont on ne sait plus trop si Virginia aime ou n’aime pas finalement son mari noir parce qu’elle est blanche. Et elle finira par faire l’amour avec un blanc, Elias, le frère aveugle d’Ismaël, pour enfin, croit-elle, accéder vraiment à al part la plus intime de l’autre, même s’il est aveugle. Noir, blanc, clairvoyance, cécité, fascination sexuelle, désir aussi absolu que la répugnance la plus absolue: on a l’impression que tout se bouscule dans la vie de ces trois puis quatre personnages, puisque Virginia accouchera d’une fille blanche. Preuve irréfutable de sa trahison pour Ismaël qui avait pourtant jeté sa femme à la porte, si l’on a bien compris.
Ismaël finira par tuer cet amant blanc aveugle de Virginia qui séduit aussi sa propre fille. En fait, rien n’est simple chez Nelson Rodrigues y compris cette étrange répulsion pour le métissage, et la pièce qui a parfois des airs de mauvais mélo écrit à la lumière de papa Freud, va plus loin que cela et nous renvoie souvent , comme à travers un miroir grossissant, à nos désirs comme à nos peurs les plus enfouis au fond de nous-même. Mais Nelson Rodriguez arrive toujours à tenir à distance l’horrible et la noirceur absolue de l’action en cours.
La mise en scène de Marc Adjadj a de la tenue, même s’il ne dirige pas très bien ses comédiens et que tout semble flotter un peu; seul est vraiment convaincant Ricky Tribord ; mais Brune Renault ( Virginia) , est au début , tout à fait crédible mais a plus de mal à s’imposer, parce que la pièce est sans doute un peu longuette, et qu’il y a de la répétition des thèmes traités dans l’air.Mieux vaut aussi oublier les images vidéo sans aucun intérêt qui sont diffusées sur les rideaux noirs qui entourent la scène: comme d’habitude, la vidéo surligne , tout en mobilisant le regard du spectateur, ce qui n’était sûrement pas le but de l’opération.. Il y a aussi un choeur de deux jeunes femmes africaines qu’Adjadj a du mal à introduire sur le plateau.
Le travail de Marc Adjadj est honnête et scrupuleux, trop sans doute; il manque à sa mise en scène la prise en compte d’une certaine violence qui nous ferait entrer dans cet univers où la haine, celle des autres comme de soi-même, et le racisme le plus ordinaire serait traités plus en profondeur. Alors à voir? Eventuellement, si vous avez envie de découvrir l’univers assez glauque de Nelson Rodriguez ….
Philippe Du Vignal
Chapelle du Verbe incarné, jusqu’au 31 juillet, rue des Lices. Avignon