Une journée en Avignon à l’écart du bruit et de la fureur....
D’abord à 11 h 30, la grand messe ,disons pour faire court, des Syndicats et organisations syndicales du Spectacle dans la Cour du Palais des Papes, avec sur la scène le décor d’Apollonia mise en scène de Warilowski que nous irons voir ce soir, et dans les gradins aux trois quarts pleins- soit un millier de personnes, des comédiens, techniciens , quelques figures poltiques dont François Parly, mais aussi de très nombreux directeurs de lieux, y compris Hortense Archambault, directrice avec Vincent Baudriller du Festival d’Avignon, tous inquiets et à juste titre pour l’avenir de la profession du spectacle vivant en France. François Le Pilouer , directeur depuis déjà longtemps du Théâtre National de Bretagne a d’abord rappelé avec calme mais fermeté que les trop fameux entretiens dits de Valois, du nom de la rue où officie désormais Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture,avaient été porteurs d’espoir mais qu’ils avaient finalement accouché d’une souris.
En attendant, l’on voit bien qu’effectivement , l’engagement de l’Etat s’effrite de tous les côtés. Mais François Le Pilouer a aussi reconnu l’habileté de ce gouvernement à faire passer les pilules amères; le secrétaire adjoint de la CGT pour le personnel du Ministère a dénoncé toute la malfaisance de la RGPP , sigle devenu maudit ( Réduction drastique des dépenses…) Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point à Paris a mis en garde contre les ouvertures rapides qui sont, a-t-il dit dans un raccourci, autant de fermetures éclair. Ce qui est loin d’être faux!
Les intervenants ont aussi rappelé avec raison que 80% de la profession gagnait 1, 3 SMIC, qu’un tiers de la profession avait été sortie du régime des intermittents du spectacle, et qu’enfin 1% seulement des intermittents ( les mieux rémunérés évidemment) se partageaient 25 % des indemnités de chômage…. Emmanuel Wallon, professeur d’Université, dans un très court exposé aussi brillant que concis, a fait remarqué qu’il ne pouvait y avoir d’appel à l’Etat qui ne soit aussi un appel au peuple, et que le gouvernement était pour le moment , passé en force, parce qu’il avait réussi à gagner l’opinion publique., et qu’il fallait donc réfléchir d’urgence à la nature des ripostes et à recréer un univers de mobilisation générale .
En effet, comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, de nombreux lieux de spectacle vivant étaient devenus pauvres, voire exsangues, y compris certains des plus prestigieux… Il faut tout de même remarquer que, les centres dramatiques et chorégraphiques importants, même s’ils ont dû rogner sur leurs dépenses de personnel, ont quand même en général un niveau de vie que peuvent leur envier bien des compagnies indépendantes qui ne savent même pas de quoi leur avenir est fait.P
Puis François Le Pilouer a demandé que la salle vote pour l’élaboration d’un loi d’orientation spécifique à la profession du spectacle vivant, ce qui fut fait à l’unanimité moins trois abstentions, pour servir à la fois à des créations d’emplois, à la mise en place de contrats plus longs, et à des augmentations de salaires, et que soit mis d’urgence aux oubliettes cette espèce de monstre mis en place par les amis de M. Sarkozy, sorte de comité d’experts nationaux qui déciderait des grands axes de la création artistique, coiffant ainsi au poteau à la fois les différents structures nationales , notamment les directions régionales des affaires culturelles mais aussi les instances ministérielles. Bref, hier dans la grande cour du palais des Papes, il y avait , enfin, comme le commencement d’une véritable prise de conscience de la situation et de la nécessité d’une d’unité.
Le Festival d’Avignon , on l’oublie un peu trop souvent, est aussi un formidable lieu de rencontres professionnelles, tous genres confondus et une chambre d’écho efficace.Un appel a été lancé pour un grand rassemblement le 21 septembre. A suivre donc…Frédéric Mitterrand aura ainsi l’occasion de mesure l’ampleur du travail qui l’attend; en tout cas, une chose est certaine: la France de la Culture est, elle aussi, entrée dans l’ère de la récession. Bienvenue dans le club….
Philippe du Vignal
Hommage à André Benedetto
Sur la Place des Carmes où est situé son théâtre qui était noire de monde, a eu lieu la cérémonie d’adieu à celui qui fut le premier créateur d’un spectacle off en 1967 ; le Corse Jean Guérini, avait envoyé un message émouvant qu’a très bien lu un petit garçon, où il rappelait que ce poète engagé avait aussi accueilli nombre de troupes étrangères dans son théâtre, à une époque où la chose ne passait pas pour évidente.
Greg Germain , comédien des Caraïbes et directeur de la Chapelle du Verbe incarné, a magnifiquement lu un court poème de Derek Walcott, et a évoqué ses premières rencontres avec Benedetto, ses colères magistrales et sa générosité . Beaucoup d’autres, dont son frère René qui joua aussi dans ses spectacles , ses enfants, petits enfants ont rappelé le père et le grand-père qu’il avait été, l’homme qui n’avait rien à faire d’une quelconque carrière et était resté ancré à Tavel comme en Avignon, et n’avait pas cherché à monter à Paris, comme on disait alors. Il y avait aussi sa famille théâtrale: ses comédiens d’abord: Hélène Raphel et Ludivine Bizot, qui jouent dans La Sorcière , son scénographe Claude Djian, Guy Lenoir, le metteur en scène bordelais qui était à ses côtés depuis tant d’années,et qui rappela qu’il avait reçu généreusement les comédiens de Tananarive et d’Afrique dans son théâtre, Philippe Caubère , comédien et ami de toujours, Clémence Massart, comédienne qui a joué à l’accordéon et à la trompette Le temps des Cerises, Ernest Pignon-Ernest, peintre maintenant renommé , qui fit le décor d’Emballage en 69, Melly Puaux, l’amie et la veuve de Paul Puaux qui succéda à Jean Vilar à la tête du Festival, Jean-Pierre Léonardini, le critique théâtral de L’Humanité, Viviane Théophilidès, comédienne. …
Tout le monde était bien triste. Mais au moins, comme disent les paysans, le poète et metteur en scène n’est pas parti tout seul, et c’est bien que ,loin du bruit et de la fureur, les quelques centaines d’amis qui, sans doute , ne l’avaient pas tous vraiment connus de près, aient ce vendredi , le matin devant le Palais des Papes et le soir Place des Carmes aient pris de leur temps pour aller le saluer une dernière fois. C’est en tout cas, encore une page de l’histoire de ce Festival qui se tourne, et André manquera aux siens d’abord et au paysage avignonnais. Chaque fois que nous passerons Place des Carmes, une chose est sûre, nous aurons maintenant et plus qu’avant, une pensée pour lui.
Philippe du Vignal
Ph. du V.