Danses et identités
Danses et identités
de Bombay à Tokyo
Comme le fait justement remarquer Claire Rousier qui a assuré la coordination de cet ouvrage, que sait-on en France de l’histoire de la danse en Asie et de ses évolutions? Pourtant c’est une lapalissade, il y a bien, comme en Occident, des types de danse tout à fait différents, même si nous connaissons davantage en Europe le butô, quelques danses de cour et les ballets de la Chine maoiste, ce qui est tout de même un peu court. …
Et ce n’est pas pour rien que le premier texte de cet ouvrage collectif est signé par une danseuse pakistanaise Sheema Kermanidont le pays a interdit aux femmes de se produire dans les spectacles de danse classique,en public, sur scène ou dans les medias, à cause de la quête d’identité culturelle voulue par le gouvernement qui s’est méfié de l’art de la danse. Ce que soit dit en passant, n’est nullement condamné par le Coran. Avec pour ligne idéologique, la religion islamique, et malgré l’influence des Bhutto, père et fille, morts assassinés, les arts du spectacle sont considérés comme hautement subversifs au Pakistan. D’autant plus que l’Etat a mis en place une série de lois contrôlant la vie des femmes, de leur habillement jusqu’à leur sexualité. Sheema kermani explique qu’elle essaye de remettre en cause les idéologies dominantes d’un patriarcat qui abuse de son pouvoir, l’essentiel étant pour elle de redonner la vie à des formes anciennes aussi bien que d’en créer de nouvelles
Il y aussi un chapitre tout à fait intéressant sur la danse contemporaine au Japon, dont on sait toute l’influence qu’elle a pu avoir en Occident et qui, selon Uchino Tadashi, a été marquée par les années 60 d’abord puis par les années 90; la première période post-coloniale où, rappelons-le, les Japonais explorèrent des territoires neufs comme l’art de la performance, comme celles de Hijikata dès la fin des années 50. Et c’est la forme de danse dite detarame qui donna naissance au butô.La seconde période qui parait très importante et qui marque aussi un tournant fut celle de la fin des années 90 avec deux catastrophes, un terrible séisme à l’Ouest du pays et l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, qui eurent des répercussions sur l’ensemble de la vie japonaise. C’est à cette époque que naquit la danse dite contemporaine qui n’appartenait ni au butô, ni à la danse moderne, et que se répandirent les concepts de « subjectivité mince « théorisés par Sakurai Keisuké. Et l’auteur de cet article fait remarquer que cette nouvelle danse, conçue comme exploration du mouvement et du corps, apparait dans une époque de flux , de chaos et /ou de transition sociétale.Le national semblant totalement absent de cette nouvelle danse, ce qui ne signifie pas, ajoute-t-il, qu’elle ne soit pas nationaliste…
Sunil Kothari étudie dans un remarquable chapitre la contribution d’Uday Shankar ( le frère du célèbre musicien de sitar) aux nouvelles orientations de la danse indienne qu’il enseigna et montra aux Parisiens des années 30, puis aux Américains. avant son retour en Inde où il créa un centre culturel dans l’Himalaya, et où il chercha à émanciper la danse indienne, tout en se référant aux grands maîtres des styles classiques comme le bharata natyam,( étudié dans un autre chapître par Avanthi Meduri) le kathakali, le manipuri ou la kathak. La danse contemporaine indienne se trouve actuellement influencée par les medias électroniques et traverse une phase de mutation comme dans les pays occidentaux mais revendique son identité.
Il y a également un article sur le ballet Chinois pendant la révolution culturelle tout à fait précis, et un autre sur l’art de la chorégraphie taïwanaise. Bref , ce livre de témoignages mais aussi de réflexions critiques, permet de mieux aborder la danse sur le continent asiatique et,de voir combien elle a pu jouer sur notre façon à nous Occidentaux de concevoir la danse , mais aussi de mieux percevoir son évolution pendant la dernière moitié du XX ème siècle. Que l’on soit spécialiste ou non de la danse contemporaine, ce livre permet de faire le point et de réviser bien des idées reçues….
Philippe du Vignal
Editions du Centre national de la Danse