Les cauchemars du Gecko
Les cauchemars du Gecko, de Jean-Luc Raharimanana,
Pourquoi le gecko ? Parce que lui, au moins, ne ferme jamais les yeux. Nous, si. Ce qui révolte Thierry Bédard : il a mal au monde, et qui a mal au monde a mal à l’Afrique. D’où cette urgence à développer un nouveau travail : le cycle des étrangers(s). C’est ainsi qu’il a passé commande à Jean-Luc Raharimanana de ce qui est devenu Les cauchemars du gecko. La façon même dont le nom de l’auteur est écrit dit déjà la situation : sur le programme du festival, c’est Raharimanana, le pur nom malgache. Dans les entretiens avec Thierry Bédard, c’est Jean-Luc, l’ami, l’alter ego de l’artiste occidental. En deux mots la déchirure et la richesse d’un monde mondialisé. Donc, l’auteur de Za – roman lu en musique, à minuit à l’École d’art deux soirs de suite – a écrit une série de textes, une suite de cauchemars, au sommet desquels se trouvent les massacres au Rwanda, mais aussi les discours de GW Bush. Le cauchemar n’est pas tant qu’il y ait des méchants, mais que ces méchants soient en nous, qu’il y ait du sale, du lâche. Ça rend violent : « souvent dans ne phrase Jean-Luc peut-être très violent – tout en rendant ça très drôle par un jeu syntaxique – et, dans la même phrase, ce qui est porté comme un coup, on entend que cela fait mal aussi à celui qui porte le coup » (T.B., juin 09). Il s’agit de mettre en théâtre le triple cercle infernal : colonisation, indépendance, mondialisation. Trois marches vers le “progrès“, triple source d’inextinguibles cauchemars. Thierry Bédard a dressé face à nous un joyeux rideau de sacs en plastiques – neufs ! -, Rija Randrianovosoa crée un fond musical obstiné, très vivant et très moderne, peut-être ce qui dans le spectacle traduit le mieux la volonté, le désir de vivre, de se sortir de tout ça, de ne pas oublier le passé sans en faire un refuge, un fond, non pas une musique de fond, sur lequel le discours peut marcher solidement. Les essais de bribes de comédie musicale ne fonctionnent pas très bien : tous ces textes, de nature, de rythmes différents, sont trop graves, même dans l’ironie. Tous sont proférés dans le même axe, face public, ce qui les uniformise. On sourit quelquefois, on ne rit pas. On est d’accord, forcément. Il y a là un problème de théâtre non résolu : trop de théâtre s’il s’agit de dire au public et rien d’autre, trop peu s’il s’agit d’ouvrir dans les mots une brèche (une Brecht ? ) qui interroge encore plus. Ici, on dirait que l’artiste s’est à demi effacé devant sa propre conscience. Quelques huées à la fin du spectacle ont du rassurer le metteur en scène autant que les vifs applaudissements de tout le reste du public
Christine Friedel
Avec Rodolphe Blanchet, Mame Fama-Ly, Mélanie Menu, Moustapha Mohamed Mouctari, Phil Darwin Nianga, Véronique Sacri.