Les pointes et le hip-hop

Daniel Agésilas est directeur des études chorégraphiques au CNSMDP (Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris). Il explique pourquoi et comment, selon lui, un jeune danseur doit être ouvert à tous les langages chorégraphiques de son temps.

Le corps et la morphologie

agesilassmall.jpgDanseur ? Une carrière courte et sportive.
«Tout le monde est de plus en plus exigeant avec les danseurs, comme avec les sportifs d’ailleurs, constate Daniel Agésilas. Si l’on se réfère aux années 50, les corps ont changé. On est aujourd’hui plus grand, plus fort, et les performances ont changé elles aussi. Ce qu’on demande à un danseur, aujourd’hui, c’est la morphologie, mais aussi le sens de l’interprétation, la curiosité. Certains vont à l’université, ce que peu de danseurs faisaient autrefois. Et 100% ont leur bac, ce qui n’était pas le cas jadis.»
Les danseurs doivent également connaître le fonctionnement de leur corps dans le mouvement, sans quoi toute maîtrise de la danse est impossible. «Inversement, nous nous préoccupons aussi de leur santé, de leur nutrition. Un nutritionniste, un ostéopathe et un kinésithérapeute travaillent avec nous à plein temps.»

Danse classique ou danse contemporaine ?

«J’ai deux missions, explique Daniel Agésilas : une mission de conservation, une mission d’innovation. Nous nous souvenons tous de Noella Pontois, de Lisette d’Arsonval et d’Yvette Chauviré, qui étaient des artistes hors du commun et faisaient partie de l’élite d’une époque, mais nous formons désormais des danseurs interprètes, c’est-à-dire des danseurs au service de l’interprétation. Et les chorégraphes, de plus en plus, souhaitent recevoir des propositions de la part des danseurs.»
L’une des questions principales concerne le lien entre la pédagogie et le spectacle vivant : faut-il mettre les deux en adéquation ? «Je répondrai à la fois oui et non ! On ne peut pas concevoir notre pédagogie uniquement en fonction des chorégraphes d’aujourd’hui. J’ai récemment vu un spectacle de danse qui faisait appel au kung-fu, sans qu’il y ait véritablement d’écriture chorégraphique ; eh bien, je n’ai pas la possibilité de former mes jeunes danseurs à ce type d’esthétique. En revanche, nous prenons en compte tous les acquis de la danse contemporaine.»
Au Conservatoire de Paris, la manière d’enseigner est différente de celle qui prévalait autrefois. Depuis le début des années 90, c’est-à-dire depuis le déménagement du Conservatoire de la rue de Madrid à La Villette, existent deux cursus : danse classique et danse contemporaine. L’Opéra de Paris abrite une école de danse qui a pour vocation de former des danseurs pour sa propre compagnie ; le Conservatoire, lui, doit former de jeunes danseurs pour toutes les compagnies (y compris celle de l’Opéra !), pour les centres chorégraphiques régionaux, mais aussi pour des institutions situées à l’étranger.
«Nous proposons une formation supérieure organisée sur cinq ans, continue Daniel Agésilas. L’âge de départ étant de quatorze ans pour la danse classique, de quinze ans pour la danse contemporaine. La sélection est rigoureuse : sur plusieurs centaines de candidats, nous en prenons chaque printemps une vingtaine en première année sur audition. Les deux premières années sont appelées Cycle préparatoire supérieur ; les trois suivantes, qui proposent une spécialisation, Cycle supérieur ; après quoi les jeunes danseurs peuvent intégrer le Junior Ballet.»


Parois étanches ou parois poreuses
?

Daniel Agésilas est lui-même danseur classique et danseur contemporain. Il a obtenu un premier prix de danse classique au Conservatoire, il s’est produit au sein de la compagnie de l’Opéra de Paris puis, comme Brigitte Lefebvre (directrice de la danse à l’Opéra), comme Élisabeth Platel (directrice de l’école de danse de l’Opéra), a fait d’autres choix par la suite. «Au Conservatoire de Paris, j’ai souhaité croisé les formations, c’est là ma réforme principale. Les danseurs contemporains étudient la danse classique, et inversement. Il me paraît tout à fait possible de faire de la danse contemporaine sans avoir jamais étudié la danse classique, car la danse contemporaine est une discipline à part entière, avec des techniques qui ont fait leur preuve, mais le fait d’avoir reçu les deux formations est un atout supplémentaire. Après tout, il y a de grands pianistes qui ne savent pas lire une partition !»
Il est vrai aussi que la danse classique, telle qu’elle est illustrée par William Forsythe ou par Thierry Malandain, a elle aussi évolué. Il ne faut pas confondre danse classique et danse académique !
Question subsidiaire : peut-on être chorégraphe sans avoir dansé ? «Oui, car les danseurs sont aujourd’hui une force de proposition. Des directeurs de centres chorégraphiques nationaux qui n’ont pas beaucoup dansé, deviennent, grâce à leurs danseurs, chorégraphes, ou plutôt metteurs en scène de ballet. Frédéric Flamand, actuel directeur du Ballet de Marseille, n’était pas un danseur au départ.


Carrière et pédagogie

La pédagogie menée au Conservatoire ? Une pédagogie évolutive. «Il faut avoir une vision, dit Daniel Agésilas, imaginer quel devra être le profil du danseur dans quinze ou vingt ans, pour que nos jeunes élèves ne soient pas alors à la traîne. Les danseurs doivent savoir travailler au sol, ce qui est nouveau. C’est ainsi que l’an prochain j’inviterai un chorégraphie hip hop,auquel on a d’ailleurs confié la direction du centre chorégraphique de Créteil, à faire un ballet.»
Le département des études chorégraphique réunit une trentaine de professeurs, dont deux qui enseignent la danse-jazz – avec sa gestuelle propre, ses syncopes, etc. – dans des cours dits complémentaires. (La comédie musicale, en revanche, n’est pas inscrite au programme.). La plupart sont d’anciens danseurs titulaires d’un diplôme d’État. «Selon moi, reprend Daniel Agésilas, on ne peut transmettre que ce qu’on a vécu. Un danseur étoile n’est pas nécessairement un pédagogue, mais il me paraît difficile d’enseigner si on n’a pas fait de carrière.»
Le Conservatoire abrite par ailleurs une classe de composition et d’improvisation qui a pour but d’initier à la chorégraphie : on y enseigne les notions d’espace, d’écriture du mouvement, etc. On y donne des outils sans que ce soit une école de chorégraphie.

La musique et la danse

La musique est-elle importante pour les danseurs ? Ou n’est-elle pour eux qu’un support qui leur donne un rythme, un tempo ? «Dès mon arrivée, raconte Daniel Agésilas, j’ai souhaité, avec Alain Poirier, le directeur du Conservatoire, établir des passerelles entre les deux disciplines. Il y a des moments “musique danse” dans le parcours des jeunes danseurs, c’est-à-dire des chorégraphies en direct avec des musiciens, avec de futurs chefs d’orchestre. Tous nos cours sont accompagnés au piano, sachant que les méthodes des uns et des autres sont malgré tout différentes, et que les musiciens sont plus âgés.»

En France et à l’étranger

Le fait qu’il existe en France un ministère de la Culture distinct du ministère de l’Éducation nationale, crée une situation particulière. Comment y remédier ? «Comme le Conservatoire ne peut pas délivrer de diplôme de licence, de master ou de doctorat, répond Daniel Agésilas, nous avons mis sur pied un partenariat avec l’Université Paris VIII, qui tient compte de l’enseignement qu’ont reçu les jeunes danseurs et leur offre les unités de valeur complémentaires qui leur permettent d’atteindre le grade de la licence. Par ailleurs, depuis mon arrivée à la tête du département des études chorégraphiques, il y a six ans, j’ai souhaité aller à la rencontre des grandes écoles, partout en France et en Europe, à Copenhague, à la Scala, à Dresde, au Mariinski de Saint-Pétersbourg, au Bolchoï de Moscou. Le Junior Ballet a dansé à Vilnius, à la London Contemporary Dance School, etc. Et nous avons signé un partenariat avec la Juilliard School de New York : les élèves de cette école sont venus jouer dans notre théâtre il y a deux mois, et bientôt le Junior Ballet contemporain ira danser à New York avec notamment des pièces signées Jean-Claude Gallotta et Christine Bastin.»
Il ne s’agit pas évidemment d’imiter ce qui se fait ailleurs, mais de confronter les méthodes. D’ailleurs, les Français ont fait leurs preuves : la danse classique est française, les mots qu’on utilise («pas de deux», «ballet», etc.) sont là pour le dire.
Et puis, autre souci d’ouverture, Daniel Agésilas aimerait créer des liens avec le Conservatoire d’art dramatique. Il est vrai que musique, art dramatique et danse étaient unis autrefois, dans le bâtiment situé au 2bis, rue du Conservatoire ! «J’aimerais que nos élèves puissent aussi s’exprimer avec la voix. On m’avait d’ailleurs conseillé autrefois de prendre des cours de chant», raconte Daniel Agésilas. En effet : de même que les chorégraphes utilisent la vidéo, les écrans, etc., tous les moyens d’expression sont utiles aujourd’hui pour un jeune danseur.

Propos recueillis par Anne Rodet

• A lire : Frédéric Puilaude, Le Désœuvrement chorégraphique, Étude sur la notion d’œuvre en danse (éd. Vrin, 430 p., 2009).

 

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