L’avenir du chant lyrique est assuré
Depuis janvier 2005, Christian Schirm dirige l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris, centre d’insertion professionnelle qui accueille de jeunes artistes de tous pays à l’issue de leurs études au conservatoire ou à l’université.
Christian Schirm a d’abord enseigné à Vienne pendant cinq ans, tout en faisant des émissions en français et en allemand à la radio autrichienne. «Puis j’ai travaillé pendant dix-sept ans avec Hugues Gall, qui m’a appris mon métier : pendant sept ans à Genève (où j’ai été assistant metteur en scène, puis chargé des publications et de la dramaturgie), puis pendant dix ans à l’Opéra de Paris. Quand Gérard Mortier est arrivé, il m’a demandé de rédiger un rapport sur le Centre de formation lyrique de l’Opéra de Paris, raconte Christian Schirm, puis m’a proposé de reprendre cette structure, sous réserve bien entendu de la renouveler. J’ai accepté avec joie en songeant à deux expériences marquantes : l’Atelier de l’Opéra de Lyon, avec Éric Tappy ; et l’Opéra-Studio de l’Opéra de Paris, animé par Bernard Lefort et Louis Erlo, d’où sont sortis Michèle Command, François Le Roux, Jean-Philippe Lafont et d’autres.»
L’Opéra-Studio disposait à l’époque de la salle de l’Opéra-Comique. Et l’Atelier lyrique ? «Nous avons l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille, mais nous nous produisons aussi à Bobigny, au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, au Théâtre de l’Athénée, voire à Rennes, etc. Il nous arrive aussi de quitter la France : nous avons fait 3 concerts à la Villa Médicis à Rome, un concert à Bucarest. Gérard Mortier a été exemplaire, il m’a laissé carte blanche tout en soutenant cette entreprise de A à Z. Aujourd’hui, je suis heureux de voir arriver Nicolas Joel, que je connais bien.»
Approfondir, participer, être distribué
L’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris n’est pas une école mais peut être considéré comme un sas de perfectionnement et d’insertion, comme il en existe dans le cadre de l’Opéra de Munich, de Covent Garden, du Théâtre Mariinski ou du Metropolitan Opera de New York. «Il propose à ceux qui en font partie, précise Christian Schirm, d’approfondir et d’étoffer leur propre répertoire, de participer à des concerts et des spectacles de l’Atelier, enfin d’être distribués dans des petits rôles ou des rôles relativement importants sur la scène du Palais Garnier ou de l’Opéra Bastille. Il y a eu la saison dernière quatre ou cinq membres de l’Atelier dans Idomeneo, cinq ou six dans La petite renarde rusée. Mieux : à la suite de l’annulation de Christine Schäfer, c’est à une jeune chanteuse venant d’achever son cursus à l’Atelier, Elena Tsallagova (qui est désormais en troupe à Munich), que fut confié le rôle de Bystrouska, la petite renarde.»
Chanter dans de telles conditions permet évidemment à ces jeunes interprètes de côtoyer leurs aînés et de susciter l’intérêt du milieu professionnel. Andrea Hill, par exemple, s’est ainsi trouvé un agent dans le cadre de l’Atelier. «D’une manière générale, ajoute Christian Schirm, il faut préparer ces jeunes interprètes aux conditions de leur métier, qui ne consiste pas uniquement à chanter. Un artiste lyrique doit aujourd’hui savoir jouer, lire facilement la musique, apprendre rapidement un rôle, etc. Il faut qu’il sache s’adapter à son époque pour pouvoir durer. Le marché est difficile, il y a de plus en plus de chanteurs, la compétition est rude : au printemps dernier, nous avons reçu 350 candidatures à notre audition, venues de tous les pays, pour huit postes disponibles !»
Hugues Gall avait souhaité que de jeunes pianistes répétiteurs fassent également partie du Centre de formation lyrique. Aujourd’hui, le nombre de chanteurs a été réduit (ils sont seize, qui restent en moyenne deux ans), et les salaires ont été augmentés. «Les membres de l’Atelier sont salariés de l’Opéra, explique Christian Schirm ; ils reçoivent 1 700 euros brut par mois, pendant neuf mois (avec congés payés, assedic, etc.), et doivent 40 services à l’Opéra. Ils touchent un cachet supplémentaire s’ils dépassent ce nombre, puis un cachet sur trois ans quand ils sont engagés à l’Opéra. Pour l’Opéra, c’est ce qu’on peut appeler un retour sur investissement ; pour les chanteurs, une relative sécurité, le temps que leur carrière se mette en place.»
Des français, des étrangers
D’où viennent ces jeunes chanteurs ? «Nous prenons les bonnes voix, sans chercher à respecter tel quota de français ou d’étrangers. Les chanteurs venus d’autres pays apprennent le français à Paris, ce qui leur sera utile pour ensuite défendre notre répertoire avec la couleur et le style qui conviennent.» Et le chant français, comment se porte-t-il ? «Il y a de plus en plus de bons chanteurs français, répond Christian Schirm sans hésiter : Ludovic Tézier, Mireille Delunsch, Annick Massis, Béatrice Uria-Monzon, Yann Beuron, Stéphane Degout, Sophie Koch et bien d’autres font tous une carrière internationale. Natalie Dessay est adulée aux États-Unis, où elle a renoué avec la tradition de la colorature française qu’avait illustrée autrefois Lily Pons. De jeunes artistes qui sont passés par l’Atelier commencent une belle carrière : David Bizic, Xavier Mas, par exemple. Il y a aussi Ivan Geissler, qui a chanté dansPastorale de Pesson au Châtelet, et Aimery Lefèvre, qui sera Momus dans Platée la saison prochaine.
«L’équipe d’encadrement de l’Atelier lyrique se réduit à quatre personnes. Elle ne comprend aucun professeur permanent de chant. Nous faisons intervenir des spécialistes en fonction de la discipline, du répertoire, etc. Ainsi, Guillemette Laurens pour le chant baroque. Chaque semaine est organisée différemment ! Pour nos spectacles, j’ai fait appel à des metteurs en scène de théâtre tels que Dominique Pitoiset, Marc Paquien, Jean-Yves Ruff, Jean Liermier. J’ai fait venir également des membres de l’Académie Fratellini, qui elle aussi est vouée à l’insertion professionnelle.»
En 2009-2010 ?
A la rentrée prochaine, nous allons travailler avec Irène Bonnaud, qui a mis en scène l’an dernier Fanny au Vieux-Colombier. Avec également un orchestre de jeunes musiciens du Conservatoire national supérieur dirigé par Jérôme Corréas, qui est aussi chanteur et est passé par l’Atelier lyrique. Il y aura par ailleurs deux concerts Schumann, pour fêter le cent-cinquantenaire de la naissance du musicien : Le Pèlerinage de la rose avec le Chœur de l’Opéra, et un concert de duos et de quatuors. Mais aussi un concert au Palais Garnier avec l’Orchestre de l’Opéra, et un concert consacré à la musique de Philippe Fénelon à l’occasion de la reprise de son Faust. Sans oublier un spectacle à Bobigny : Mirandolina, un opéra de Martinu sur un livret italien.» Cet ouvrage sera donné en création française.
Propos recueillis par Anne Rodet
A propos de L’Enfant et les Sortilèges (amphithéâtre Bastille, le 24 juin) :
Il faut rendre hommage à Christian Schirm d’avoir choisi L’Enfant et les Sortilèges de Ravel, une partition scintillante qui permet à de nombreux chanteurs d’aborder chacun plusieurs rôles différents, mais toujours évocateurs. Le livret de Colette met en scène un enfant aux prises avec les éléments tout à coup perturbés ; il y a là le Pastoureau, la Tasse chinoise, la Chatte, l’Ecureuil, le Fauteuil, l’Arbre, le Petit vieillard, etc., et l’imagination est vraiment la reine. Nous avons particulièrement apprécié, parmi l’équipe de jeunes chanteurs issus de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, la jeune Julie Mathevet qui interprétait le Feu et le Rossignol. Coup de chapeau aussi à Didier Puntos, qui s’était chargé de la réduction de la partition pour piano à quatre mains, flûte et violoncelle. Coup de chapeau enfin aux jeunes musiciens et au metteur en scène Jean Liermier, directeur du Théâtre de Carouge à Genève, qui d’un rien sait créer l’enchantement.
A. R.