Les Petites Comédies de l’eau, mise en scène de Mustapha Aouar.
Cet auteur et metteur en scène dirige depuis 96, Gare au Théâtre à Vitry et a mis en place cette opération maintenant bien connue Nous n’irons pas en Avignon qui constitue une sorte de tremplin pour de jeunes compagnies; Mustapha Aouar met en scène depuis 2004 des pièces courtes ( environ) 15 minutes, commandées à quelques auteurs d’un pays à chaque fois différent ( Algérie d’abord, puis Brésil,( fleuve Amazone), Québec (Fleuve Saint-Laurent, Espagne (Fleuve Ebre) et Burkina Faso, Mali (Fleuve Niger). Soit quatre ou cinq pièces pour chaque représentation.
L’endroit est du genre difficile et c’est un euphémisme: un petit chapiteau en longueur un peu ouvert à tous les vents mais surtout côté jardin le fracas heureusement lointain de l’orage et côté cour le bruit infernam des très nombreux train rapides ou TER qui passent à quelques dizaines de mètres, et là c’est plus difficile à gérer mais les comédiens s’en sortent admirablement., et autant de spectateurs dans la salle que de comédiens sur la petite scène… Et pourtant, miracle du théâtre, les choses arrivent à fonctionner.
Au programme d’abord, La Fontaine 1 puis 2, d’Aristide Tarnagda, auteur burkinabé de 26 ans, déjà bien connu en France: c’est l’histoire d’une femme qui doit faire la queue chaque jour pour aller prendre de l’au à l’unique fontaine du quartier qui est loin et où elle doit se battre avec les autres mères de famille qui en ont toutes aussi besoin qu’elles. Son fils Dri, lui va au vidéo-club sans se soucier trop de cette eauxindispensable pour boire, cuisiner et laver les enfants ; lui, en réclame à sa mère pour laver ses vêtements.
Prenant alors conscience de cette injustice, il veut venger sa mère, et aller en découdre avec les responsables de ce manque d’eau, alors que dans les belles maisons d’Ouagadougou, on dépense l’eau sans compter pour nettoyer les voitures et arroser les jardins. C’est écrit dans une très belle langue, et sous les apparences d’une petite fable, en dit long sur la situation tragique des femmes africaines obligées de compter le moindre verre d’eau.
La seconde pièce est de Tiecoro Sangaré, écrivain et journaliste malien qui prépare une thèse à Paris; ça ne coule pas de source est un petite comédie farcesque sur les rapports parfois difficiles entre les anciens et les leurs enfants: il s’agit d’un jeune homme Teddy, qui suit des études d’hydraulique et qui revient au village voir son Nitaki, son père, fort riche et qui possède de nombreuses terres . Ce dernier, gardien des voit d’un très mauvais oeil, le fait que son fils soit devenu étudiant et surtout qu’il ait une liaison avec Safira, la fille de son vieil ennemi, surtout quand il apprend qu’elle est , comme lui, ingénieur en hydraulique ; tous deux ont un projet de barrage sur le Fleuve Niger qui pourrait remédier au manque d’eau évident du pays. Bien entendu, le père pense que c’est une injure faite à la nature. Mais, dans la seconde petite pièce, Le Souffle de la Source, Tedy et Safira qui ont réussi à construire le barrage avec des aides internationales attendent un enfant… Bahari le père de Safira va voir Nitaki, pour lui expliquer qu’ils vont être tous les deux grands-pères, et qu’ils serait sans doute l’occasion d’enterrer la hache de guerre. mais, toujours aussi obstiné, Niaki vaudrait absolument que son petit-fils naisse au village…
Là aussi, les répliques sont justes et drôles, et l’éternel débat entre tradition et modernité, entre homme mûr qui croit déceler la vérité et jeune homme assoiffé de progrès pour le bien de son village, est évoqué avec beaucoup de finesse et bien mis en scène ,comme les deux autres pièces, par Mustapha Aouar qui dirige de façon remarquable les comédiens. Avec, entre chaque pièce, de merveilleuses chansons africaines, dont le célèbre Anciens combattants que j’avais autrefois entendu à sa création à Brazzaville et qui a fait depuis un véritable tabac.
Les deux dernières petites pièces ont été écrites par Frédérique Sempé Lemon, Béninoise, à la fois auteur et comédienne: Dans l’eau, l’amour m’attend est une courte pièce où deux jeunes filles dont on n’entend que la voix et que l’on ne verra pas sur scène- voudraient bien posséder un être merveilleux, à la fois homme et poisson; le texte tient plutôt d’un poème et constitue une sorte de prologue à A l’eau l’amour, la mort m’attend: ce sont deux hommes âgés, tous les deux dans une pirogue la nuit et chacun sait que les nuits africaines sont très noires. Pas rassurés, Ils semblent désemparés, parce qu’ils ont décidé de s’enfuir de leur maison, où ils ne supportent plus leur épouse, et s’apprêtent à en finir avec la vie en plongeant. Malgré leur amitié et leur connivence devant leur situation commune, il y a aussi de vieilles querelles de jeunesse qui ressurgissent, mais , finalement, par manque de courage, ils remonteront dans leur pirogue pour rentrer chez eux. C’est servi par les deux comédiens avec une gestuelle et un sens du conte remarquables… Et la langue de Frédérique Sempé-Lemon est tout aussi brillante que celle de ses deux collègues écrivains.
Les quatre acteurs, (Felhit Kimbirina, Roch Amedeth Banzouzi, Marina Ahoui et Lamine Diarra, dans un cadre difficile, avec une simplicité et une vérité dont pourraient s’inspirer nombre de leurs collègues français, font un travail de tout premier ordre. Il faudrait que ce spectacle, ( de trois fois quinze minutes) soit repris dans de bonnes conditions. Il nous touche, même si c’est parce que nous connaissons quelques pays africains mais , ce qu’il dit, écrit dans une langue irréprochable, a une portée universelle, et mériterait d’être repris en plein air, cet été. Avis aux programmateurs… Monsieur Maréchal, vous n’avez pas une petite, une toute petite place, au Festival de Figeac?
Philippe du Vignal
Gare au Théâtre ( Nous n’irons pas en Avignon) à Vitry-sur-Seine ( à trente mètres de la gare ) jusqu’au 5 juillet.
Le 29 août à Blaye (33), en 2010 au théâtre 95
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Gare au théâtre – Nous n’irons pas à Avignon – Les petites comédies de l’eau – la fleuve Niger
Encore un de ces lieux récupérés – le modèle étant toujours la Cartoucherie de Vincennes – où le théâtre prend le parfum du voyage. Cette fois, c’est une ancienne gare de marchandise à Vitry-sur-Seine, au pied de la station RER. On entend les trains passer, mais en douceur, il y a des buvettes et, pour cette fois, de la cuisine indienne, des salles de cabaret et une tente où l’on vous raconte des histoires. Un « off » tout près de Paris offert modestement aux compagnies qui veulent montrer leur travail loin de l’enfer ruineux d’Avignon.
La tente va bien aux Petites comédies de l’eau. Poursuivant son projet de « théâtre minuscule », Mustapha Aouar a passé commande à trois auteurs, Frédérique Sempé Lemon, Tiécor Sangaré et Aristide Tarnadga, de courtes comédies, dont le fleuve est, d’une manière ou d’une autre, le personnage central. Conflits de voisin, conflits de générations, tentation de quitter ce monde… : les trois auteurs ont le sens de la situation, mais seule Frédérique Sempé Lemon parvient à un style, à une poésie. Qu’on ne nous en veuille pas : nous attendons du théâtre qu’il nous transporte, comme le fleuve, pas moins.
Christine Friedel
Le 29 août à Blaye (33), en 2010 au théâtre 95