Turandot

Turandot, ou le congrès des blanchisseurs de Bertold Brecth


  Leçon de rhétorique politique : comment rectifier le réel, le retourner en son contraire ou tout simplement en détourner l’intention, à la demande de l’empereur de Chine qui a lui-même détourné les stocks de coton pour faire monter les prix. Ce n’est que la première étape. La seconde se passe même de masquer la supercherie : elle est pur cynisme, les Tui, les intellectuels propagandistes du régime, les lâches, les vaincus sont écartés et persécutés comme trop pensants, et les malfaisants prennent le pouvoir brutalement, avec l’empereur en otage, sous prétexte  de le protéger. Crise, chômage forcé, chantages, exactions : l’empire de Chine, la princesse Turandot – sorte d’allégorie de l’opinion publique – , séduite par le bandit après avoir fait les yeux doux aux beaux parleurs,  tout cela n’a rien d’exotique, le questionnement ironique du vieillard qui veut apprendre non plus.

  La fable habille à peine le réel, non seulement du temps de Brecht, mais d’aujourd’hui.Nicolas Thibault  a voulu prendre la pièce au mot, dans toute sa rigueur.  Donc une mise en scène sans d’ornement, sans d’exotisme, et sans « réalisme » non plus : du pur théâtre, avec de beaux costumes fonctionnels concentrant les signes tout en restant minimalistes, et aucun autre décor que des cubes empilés figurant des tronçons de corps cibles possibles d’un jeu de massacre.  Pas de rôles attribués : chacun porte la parole de plusieurs « personnages », fictions et fonctions, quitte à se donner la réplique à soi-même ou à sa marionnette. Le metteur en scène parle de manipulation, et manipule sous nos yeux les outils du théâtre. C’est impeccable, et pourtant il manque plusieurs choses, pour que le spectateur ne manque rien des plaisirs de l’intelligence : une vraie virtuosité, si discrète soit-elle, dans la manipulation des têtes de marionnettes, qui ne nuirait en rien à l’économie du spectacle, et une vraie liberté des acteurs. On aimerait les voir entrer dans le jeu sous nos yeux, faire et défaire le théâtre et nous y embarquer pour trois secondes ou dix minutes. Mais ce Turandot manque de cette vie-là : avant même d’entrer en scène, à la vue du public, les acteurs sont déjà enfermés dans une raideur contre-productive – puisqu’il s’agit de cela.Une pièce tout à fait d’actualité, mais  un travail exigeant gâché par une sorte de puritanisme…

Christine Friedel

Théâtre de l’Opprimé 20H30


Archive pour septembre, 2009

Les Piliers

Les Piliers

Ça pourrait commencer comme tous les contes : il était une fois un Roi… Seulement, ce roi-là a disparu, tandis qu’un voyageur sans bagages arrive dans la ville. Il accepte de remplacer le roi, pour un jour, et puis un autre, et un autre… Son travail : écouter, avec le Ministre, les messagers venus de tous les coins du Royaume, sans aucun pouvoir  d’agir en aucune façon, ce qui n’a du reste aucune importance. Il y a aussi un charmant trio de femmes de différentes générations, et un mystérieux jardinier, assez royal.
À l’écoute de ces Piliers, on est emmené loin hors de l’histoire et de la géographie, dans une méditation poétique et philosophique sur le pouvoir, et plus encore sur le sentiment d’existence, sur la “densité“ de la vie. La mise en scène s’efface – un peu trop ?– devant le charme puissant du conte, porté en particulier par la Présence – majuscule nécessaire, tant elle a de force- d’Alain Enjary acteur. À découvrir au Petit Saint-Martin, l’ancienne salle de l’école du mime Marceau.
Christine Friedel
Petit Saint-Martin jusqu’au 7 octobre. Mis en scène Arlette Bonnard, ave Arlette Bonnard, Alain Enjary, Hervé Laudière, Denis Llorca, Odja Llorca, Danielle Van Beyrcheycke, Carine Yvart.

SONIA

SONIA  Théâtre Silvia Monfort  de Tatiana Tolstaya, mise en scène Alvis Hermanis, Nouveau Théâtre de Riga

Cette courte nouvelle de Tatiana Tolstaya née en 1951 qui vit entre les Etats-Unis et la Russie, relate le tour joué en 1930, pendant des années par un groupe de jeunes gens insouciants menés par la jolie et frivole Ada, à Sonia, pauvre fille laide et naïve, toujours prête à s’occuper des autres. On lui invente un Nikolaï, amoureux épistolaire, impossible à rencontrer et Sonia tombe follement amoureuse de cet inconnu qui lui écrit une fois par mois. Deux massifs malfrats viennent cambrioler un appartement bourgeois, puis l’un d’eux revêt le costume de Sonia, une hideuse robe à fleurs, des bas, une perruque avec des bigoudis. C’est son complice qui raconte cette farce émouvante, Sonia reste muette, on la voit dans sa vie quotidienne, préparer un poulet, lire ses lettres, crever de froid, revêtir un fichu et des bottes en feutre, arracher le papier des murs pour le faire bouillir avec ses chaussures. Et devant le déroulement de cette tragi-comédie, on rit, on est émus, on pleure. C’est splendidement joué par Gundars Abolins et Jevgenijs Isajevs deux comédiens lettons qui sont bien surtitré, magnifiquement mis en scène, dans ce Théâtre Sylvia Monfort si bien rénové par Stéphane Ricordel et Laurence de Maghalaes, les nouveaux patrons qui ont mené les Arts Sauts, ces merveilleux fous volants dans le monde entier.

Edith Rappoport

Zoom…


Le zoom, c’est une affaire de regard, un regard venu de loin, venu de pas de regard du tout, qui plonge au fond des yeux… Elle, la mère de Burt, venue à la réunion avec le prof de bio, l’innocente aux mains vides et au parler et au rire francs. Du coup, en effet, on l’entend.  Et elle parle. De son Burt, ado un peu gros, un peu “difficile“, d’elle, plus muette du tout, de la misère et de son rêve d’Hollywood, puisque l’enfant a été conçu au cinéma le Rio, à une projection de Tant qu’il y aura des hommes.
Elle raconte ce que les autres appellent “l’ échec scolaire“, les castings désolants pour son fils, la solitude, les efforts inouïs pour sortir de la petite boîte où l’on enferme les classes “modestes“, le fait-divers … Et elle rit. Jusqu’au jour où, jusqu’au jour où… Et si le petit finissait par trouver ce qu’il voulait, comblant ainsi malgré elle le rêve de sa mère ? L’écriture de la pièce a été expérimentée avec une classe de troisième : les adolescents y attraperont au vol ce que leurs congénères ont lancé dans le texte, la peur de ne pas faire plaisir à leur mère, la révolte contre cette peur, par exemple. Et au bout du compte la fierté partagée.
Le texte de Gilles Granouillet déborde d’une fantaisie qui tape juste : il faut de l’excès et de l’invraisemblable pour arriver aux vérités difficiles à avaler, celle de l’injustice, de la misère, de l’intoxication par l’image.  Et à d’autres que les belles âmes oublient parfois : la grâce de ceux qui n’ont rien et qui s’en sortent par le haut, par le rire et la fantaisie, l’espoir qui se perd et se replace obstinément là où il peut croître et embellir.
La salle de classe où l’on attend le prof offre un terrain parfait aux élans, aux fuites et aux rebonds de Linda Chaïb qui a une énergie de cocotte-minute, parfois trop, jusqu’à l’emballement, ce qui fait patiner le texte. Mais la mère de Burt peut-elle prendre le temps de respirer ?

Christine Friedel

Jusqu’au 25 octobre, T
héâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes.

Zoom

Zoom de Gilles Granouillet, mise en scène François Rancillac
le point de vue d’Irène Sadowska-Guillon

zoom.jpgNommé en mars 2009 à la tête du Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie, fondé en 1973 par Jean-Louis Benoit, Jacques Nichet et Didier Bezace qui ont imprimé à ce théâtre l’identité d’un lieu de création en prise avec le réel, François Rancillac revendique cet héritage.
En clin d’œil à un des spectacles phares du Collectif fondateur de l’Aquarium Un conseil de classe très ordinaire, et en guise de manifeste de sa conception de la fonction du théâtre, il ouvre sa première saison avec Zoom, une commande faite à Gilles Granouillet, un monologue destiné à être joué dans les classes des collèges et des lycées. De fait la pièce a été répétée, créée et jouée en 2008 dans le collège Guy de Maupassant à Houilles.
Même cadre pour la mise en scène de François Rancillac à l’Aquarium. Nous sommes dans une salle de classe reconstituée avec son bureau, son tableau noir, assis à des tables d’école, endossant le rôle des parents d’élèves attendant le professeur principal qui est en retard. Alors que l’attente du professeur principal se prolonge, un petit bout de femme, la mère de Burt se lève, impatiente, prend son courage à deux mains, s’adresse à nous, tente de nous expliquer, de nous faire comprendre, ce qui s’est passé et pourquoi elle est revenue là, dans cet établissement que fréquentait il y a des années son fils. Car la folle histoire de son ambition démesurée de réussite pour son fils commence là.
Un monologue où le récit, l’adresse directe, les citations de dialogues, les retours instantanés dans le présent de la réunion, s’entremêlent, trace le parcours de cette femme paumée et simple qui, avec obstination, met en œuvre son projet de carrière pour son fils. Un projet fou et après tout légitime dans notre société de Star Ac, de réussite facile, d’obligation de bonheur et de succès.
Maladroitement, avec pudeur et courage, consciente de s’exposer à la honte, elle déroule son histoire, en livre les faits essentiels, cruciaux, traumatiques : son premier amour, le fils conçu au cinéma à une séance de Tant qu’il y aura des hommes avec Burt Lancaster, le père de l’enfant qui les abandonne. Puis le foyer pour les jeunes mères, ses déboires avec l’assistance sociale, enfin le verdict du proviseur déclarant son fils Burt enfant inadapté, difficile, sans projet de vie, sans avenir.
Catastrophe et révolte contre le destin tout tracé pousse la jeune femme à s’engouffrer dans le fantasme de faire de son fils une star de cinéma. Elle assiège les festivals de cinéma, harcèle les producteurs, les agents, traîne Burt, petit gros docile, à tous les castings avec pour seul résultat refus et moqueries.
Quand à la fin la chance se présente : Burt est convoqué au casting pour le rôle du fils d’Obélix, elle tabasse le rival de son fils pour ce rôle. Procès, prison, longue séparation avec Burt, devenu violoncelliste, dont elle reçoit au bout des années des cassettes d’enregistrements de concerts. Tant pis pour le cinéma, il a réussi dans la musique, c’est tout ce qui compte pour elle.
Linda Chaïb, une actrice hors du commun, s’approprie le texte de Gilles Granouillet comme écrit sur mesure, vif, elliptique, concentré, alliant simplicité, poésie et humour teinté de grotesque. Nulle tentation de copier ou caricaturer la pauvreté du langage de la marge. Pas de compassion misérabiliste, pas de parti pris ni de procès simpliste fait à la société. Abordant, à travers cette histoire de détresse et d’ambition quasi mystique d’une mère pour faire réussir son fils, les questions des relations parents enfants, de l’éducation, des normes et de l’impératif du succès obligé érigés en conditions sine qua non de bien-être dans notre société, Gilles Granouillet nous en laisse juge.
Linda Chaïb incarne le personnage de la mère de Burt avec une extraordinaire authenticité, une absolue sincérité des sentiments, des émotions, en déployant un impressionnant registre de jeu : désarroi, innocence naïve, douleur, ironie et rire, pirouettes clownesques, éclats de colère et rage, fragilité et force, et toujours une dévotion sans faille pour Burt. Cette « battante », forçant le destin tout tracé de son fils, ne cherche pas à nous apitoyer sur son sort mais à nous faire ressentir et à nous faire comprendre les mécanismes implacables et les injonctions qui conditionnent nos conduites.
Légère, souple, tel un feu follet, elle se meut dans l’espace de la classe, monte sur une table, s’adresse à tel ou tel spectateur, écrit sur le tableau noir, toujours avec cet air de quelqu’un surpris lui-même par son audace d’avoir pris la parole.
Si François Rancillac choisit délibérément un cadre réaliste pour la pièce, à la fois l’écriture de Gilles Granouillet et le jeu de Linda Chaïb, à connotation métaphorique, la décalent du réalisme.
Un spectacle d’une rare intelligence, profond et bouleversant, qui ne se prive pas pour autant d’humour. À voir absolument

Irène Sadowska Guillon

Zoom de Gilles Granouillet, mise en scène François Rancillac
au Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie
du 23 septembre au 25 octobre 2009
réservations 01 43 74 99 61
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Lansman. D’autres textes de Gilles Granouillet sont publiés aux Éditions Actes Sud Papiers.

WOYZECK ON THE HIGHVELD

WOYZECK ON THE HIGHVELD  Festival d’automne Beaubourg
De William Kentridge d’après Georg Büchner, reprise de la mise en scène Luc de Wit, Handspring Puppet Company (Johannesburg).

Je n’avais jamais vu de spectacle de William Kentridge, célèbre dans le monde entier depuis le début des années 90, par l’extraordinaire créativité qu’il déploie en matière de films d’animation, de marionnettes et de décors de théâtre et aussi à travers sa lutte contre l’apartheid. Son Woyzeck ( s’il ne fallait garder qu’une pièce, c’est celle-là que je garderais) a pour décor un film sombre dessiné au fusain projeté sur un écran au fond d’un castelet, le bonimenteur est un Noir massif et ventru, les marionnettes, Woyzeck non plus Franz mais Harry, Marie est Maria avec son tambour major sont manipulées à tiges et parfois à vue, l’anglais sud-africain leur donne une étrange et bouleversante naïveté. Il y a une scène  étonnante avec un splendide rhinocéros manipulé à vue, dont je n’ai pas compris le sens. Incarnait-il le démon de la jalousie qui s’empare de Woyzeck avant son crime fatal ? Une belle découverte à faire !
Edith Rappoport

Philoctète…

Philoctète…

le point de vue de Christine Friedel

22651pop.jpgLa guerre de Troie est loin. Depuis des années Philoctète est abandonné seul sur l’île de Lemnos. À la guerre comme à la guerre : un serpent l’a piqué, lui infligeant une blessure infecte et puante, on ne va pas garder cette chose dans l’armée des Atrides. Seul, il n’a pour vivre qu’une flaque d’eau boueuse et l’arc infaillible qui lui permet d’attraper au vol quelques maigres oiseaux de mer. Mais voilà, à la guerre comme à la guerre, toujours. Le siège de Troie s’éternise, Achille est mort, son fils Néoptolème est appelé à le terminer à sa place, à condition de récupérer l’arc infaillible de Philoctète. C’est ce que les dieux ont dit. Il faut un négociateur, ce sera Ulysse, l’opportuniste brutal. Son astuce : placer la mission entièrement sur les jeunes épaules de Néoptolème. Ici commence l’exemplaire dialectique de l’honneur et du mensonge, une impeccable leçon de manipulation : pour égaler la gloire de son père, le jeune homme accepte de mentir à Philoctète, de se placer, apparemment, du côté de sa rancune et de sa haine. Mais une fois le fameux arc obtenu, il ne peut accepter de gagner les honneurs contre son honneur. Au bout de compte, la sincérité, l’honnêteté s’imposent comme des armes simplement plus efficaces que la ruse.
La pièce finit par une réconciliation,   pas tout à fait d’ “homme à homme“. La souffrance, l’humiliation, la trahison ont été trop fortes pour Philoctète, sa solitude trop glorieuse, sa haine trop tenace. Il faut l’intervention d’Hercule, l’Hercule souffrant, mortel fils d’un dieu, celui qui avait donné les fameuses armes à Philoctète, pour valider l’affaire et ramener celui-ci, avec promesse de guérison, parmi les Grecs.
On est du côté d’Œdipe à Colone, avec la même force dans l’invective et la plainte, et une fin moins apaisée.
Le texte est de Jean-Pierre Siméon, qui annonce une « variation » sur Sophocle. Non, cher ami, quoi que vous en disiez, il ne s’agit pas d’une variation, mais d’une interprétation, d’un travail comparable à celui de l’acteur. Vous vous êtes imprégné de Sophocle, vous l’avez assimilé, vous avez fait votre son propos, vous êtes allé en chercher la vérité en vous-même. Ainsi vous avez rejoint son incroyable simplicité, et vous lui avez permis de faire son travail vivant, par-dessus les siècles.
Quant à celui qui porte ce Philoctète, c’est Laurent Terzieff . Laissons les superlatifs à la discrétion du lecteur et remercions le avec joie, avec émotion, de donner à Philoctète son corps brûlé par le théâtre, son humour et sa ténacité inépuisés, sa voix qui réveille tous les étonnements. Ses partenaires jouent avec une justesse remarquable de leur différence avec lui de statut – dans le métier et dans la ficton - : mention spéciale au jeune David Mambouch – Néoptolème- qui tient le bras de fer avec vaillance, et sobrement. Également à Christian Ruché, dans le rôle du faux marchand venu appuyer les mensonges – on a envie de dire les carabistouilles- de Néoptolème, personnage populaire drôle et rusé qui rappelle le gardien d’ Antigone. On regrette de ne voir dans le bel Ulysse fatigué (en grec, “polutlas“, celui qui en a pris plein la gueule) de Johan Leysen que l’Ulysse fatigué (et résolu) : la pièce permet les volte-faces et ruptures du “rusé Ulysse“ et sa virtuosité cynique à retourner sa veste, au besoin.
Finissons arbitrairement par la mise en scène : elle est présente dans tout ce qui a été dit, simple directe, mordant sur la salle, car c’est notre affaire, cette histoire, avec un jeu plein d’humour sur le rideau de fer qui se lève à peine, ou davantage, quand le dialogue, la négociation s’ouvre à peine, ou un peu plus…
Façon on ne peut plus efficace de montrer qu’il s’agit (comme dans Œdipe Roi) du plus grand suspense de tous les temps. Allez-y.

Christine Friedel
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 18 octobre. Mise en scène de Christian Schiaretti. Avec, comme David Mambouch de la troupe du TNP, Olivier Borle  Damien Gouy, Clément Morinière, Julien Tiphaine.

Philoctète

Philoctète de Jean-Pierre Siméon, variation d’après Sophocle,
mise en scène Christian Schiaretti

le point de vue d’Irène Sadowska-Guillon

C’est pour la troisième fois que Christian Schiaretti monte Philoctète, cette fois d’après Sophocle « métamorphosé » sous la plume de Jean-Pierre Siméon et avec le grand Laurent Terzieff dans le rôle-titre.
Pour venir à bout de Troie assiégée depuis dix ans par les Grecs Ulysse charge le jeune Néoptolème, fils d’Achille, de s’emparer par la ruse de l’arc et des flèches de Philoctète sans lesquels Troie ne peut être prise. Seul Néoptolème, qui a rejoint l’armée grecque plus tard, peut gagner la confiance du vieux Philoctète qui n’a jamais pardonné aux Grecs et surtout à Ulysse, de l’avoir abandonné seul, souffrant atrocement, sur une île déserte, pour ne plus avoir à supporter ses hurlements de douleur et la puanteur de sa plaie inguérissable. Ainsi Néoptolème se trouve-t-il pris dans un conflit de devoir et de conscience contradictoire : mentir et trahir Philoctète ou désavouer et trahir les Grecs ?
Contrairement à Heiner Müller qui fait poignarder Philoctète par Néoptolème, Jean-Pierre Siméon suit dans sa « variation » la trame de Sophocle y compris le « happy end » : intervention miraculeuse d’Héraclès qui convainc l’intransigeant Philoctète de s’embarquer avec son arc et de suivre les Grecs à Troie
Ni traduction, n’y adaptation, Jean-Pierre Siméon s’approprie la pièce de Sophocle en la réécrivant, la transmutant dans une langue poétique propre, simple et belle.
Aucune tentation, dans la mise en scène de Christian Schiaretti, de réactualisation de la pièce ni de produire des effets scéniques, hormis le coup de théâtre final inhérent à la pièce. La scénographie de Fanny Gamet se réfère à la topographie du théâtre antique. Les Grecs arrivent de la salle sur l’île, sur l’avant-scène coupée du reste du plateau par un rideau de scène métallique baissé qui cache la grotte de Philoctète. Il se soulève légèrement pour laisser Néoptolème se glisser dans la grotte et se lève dans les scènes avec Philoctète.
Dans le final le rideau métallique se découpe en un pan triangulaire incliné qui monte vers une ouverture sur le fond de scène dans laquelle apparaît, sur un fond de ciel, Héraclès avec son casque et son bouclier.
Aucun objet sur le plateau. Les costumes militaires réduits aux signes essentiels : pantalons, maillots de corps kakis, gros ceinturons, glaives et boucliers pour les Grecs, même type de costume et l’arc pour Philoctète.
Le chœur est joué par les soldats de Néoptolème.
Un parti pris radical d’austérité dans la mise en scène, pas de représentations inutiles. Seule la parole souveraine opère, agit, la poésie et la force du verbe font l’image. La parole armée de mensonge, de ruse, affronte celle d’un homme humilié, trahi par les siens, terrassé par la souffrance et la solitude. Mais grâce à l’intelligence, la finesse du texte et de la mise en scène qui confèrent aux personnages une profondeur, une vérité et une fragilité humaine nous ne sommes jamais dans la rhétorique d’un débat. Tel un maître stratège du plateau Christian Schiaretti architecture l’immobilité et les mouvements des personnages, dégage et dose les tensions, les rythmes et les énergies du jeu qui se passe de tout psychologisme.
Une distribution sur mesure dans laquelle l’exceptionnel Laurent Terzieff n’écrase personne. Admirable dans Philoctète qu’il rend complexe avec naturel, sans jamais rien souligner : blessure vivante, à la fois se défiant et prêt à faire confiance, accablé par la solitude, fragile et intransigeant, bouleversant de vérité dans ses accès de fierté, de violence, de faiblesse, de dignité, dans les moments d’extrême souffrance. Face à lui l’excellent David Mambouch qui trace finement, sans appui psychologique, l’évolution et le conflit de Néoptolème : de l’engagement à contrecœur dans la ruse, dans le mensonge, au doute, à la compassion, à la révolte, enfin cherchant à concilier l’humanité, la raison et le devoir. Johan Leysen créé un Ulysse champion de ruse, manipulateur, justifiant tout par la fin mais tout de même non dépourvu de quelques sentiments.
L’irruption du soldat déguisé en marchand (Christian Ruché) son discours manipulateur, sans relâcher la tension, crée un effet à la limite du comique. Le groupe des soldats de Néoptolème prend en charge instantanément, avec un naturel admirable, les parties du chœur . Le tout traité avec une extraordinaire fluidité, avance sans aucune chute de tension dramatique vers le dénouement, l’apparition magique, sur le mode du deus ex machina, d’Héraclès (Julien Tiphaine) qui va réconcilier tout ce petit monde et le renvoyer à Troie.
Un spectacle exceptionnel comme on en voit rarement, à ne manquer à aucun prix.philocyete.jpg

Irène Sadowska Guillon

 

Philoctète de Jean-Pierre Siméon
mise en scène Christian Schiaretti
Théâtre de l’Odéon Théâtre de l’Europe
du 24 septembre au 18 octobre 2009
réservations 01 44 85 40 40
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs

L’européenne

L’européenne de David Lescot
mise en scène de l’auteur au Théâtre des Abbesses à Paris.

existetil1.jpgDavid Lescot est auteur, acteur, metteur en scène et musicien. Il aime intégrer la musique dans ses spectacles. Ce qu’il fait aussi dans L’Européenne, une pièce musicale et polyglotte, « spectacle – dit-il – en plusieurs langues, sans surtitrage, joué, parlé et chanté, qui mêle les formes et pose à travers la question du jouer ensemble la question du vivre ensemble en Europe. »
Trois musiciens qui jouent aussi la comédie et neuf acteurs de nationalités, cultures et langues différentes : français, italiens, portugais, bulgare, forment ici une communauté artistique, échantillon de la Communauté Européenne.
À travers l’anecdote : comment se comprendre, comment créer ensemble un nouvel hymne européen « l’Européenne » qui remplacerait « l’Hymne à la joie » de Beethoven, David Lescot met en scène la métaphore du chantier d’une utopie pour l’Europe de demain. Le spectacle démarre par l’évocation de « l’armée » de traducteurs traduisant dans les assemblées européennes 23 langues différentes.
Puis surgit une troupe hétéroclite d’artistes musiciens, comédiens et chanteurs, qui, sous la baguette d’un compositeur, tenteront d’inventer un nouvel hymne européen.
On a la trame musicale mais pas de texte qui remplacerait celui de Schiller. Comment construire un texte et en quelle langue ? Un texte qui ne serait pas suspect d’hégémonie, d’exclusion ou de préférences quelconques, bref qui tout en étant commun, exprimerait les différences. Question insoluble.
Débats, controverses, polémiques surgissent, les langues : le français, l’italien, le portugais, le slovaque, le bulgare, l’allemand se mêlent, s’entrechoquent, se confondent dans une cacophonie chaotique. Comment concilier les différences, intégrer le passé sans oublier les conflits et les horreurs des guerres, résoudre les différends d’aujourd’hui pour arriver à former un chœur harmonieux ?
On accouche enfin du premier couplet se réduisant au mot « Europe » puis le second couplet « pan Europa », ce qui amène la plaisanterie « Europe en panne ». L’humour d’ailleurs ne manque pas dans le spectacle. Dommage qu’il soit souvent au ras du sol, réduit à des plaisanteries simplistes et à des clichés sur les ratages européens, appuyés, répétés avec insistance, comme par exemple l’allusion au référendum (oui – non), à la Constitution et au Traité de Lisbonne.
David Lescot a réussi dans le spectacle une parfaite adéquation de la forme et du contenu en orchestrant sur le plateau, avec une remarquable maîtrise, la diversité des langues, des musiques, des tempéraments, des identités culturelles. Réussi aussi son pari de ne pas passer par un système de surtitrage, mais d’intégrer la traduction dans le spectacle en la théâtralisant : le personnage de l’interprète italien ayant pour fonction de traduire une partie de ce que disent les autres.
À dessein peut-être, comme reflet des identités culturelles différentes, pas d’harmonie dans le jeu : assez raide et criard chez les acteurs français, spontané, souple, naturel chez les Italiens et les Portugais.
À travers la métaphore de la mise en œuvre difficile de l’hymne européen se dégage une utopie possible pour l’Europe non pas comme une architecture bureaucratique mais comme une communauté humaine qui se construirait dans un effort de compréhension mutuelle.

Irène Sadowska Guillon

L’Européenne de et mise en scène par David Lescot
Théâtre des Abbesses à Paris
du 22 septembre au 7 octobre 2009
réservations 01 42 74 22 77
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Actes Sud Papiers

LA CHAPELLE EN-BRIE

LA CHAPELLE EN-BRIE  Théâtre du Rond Point

Texte et mise en scène d’Alain Gautré, Tutti non troppo André Chétié monologue dans un capharnaüm de bouteilles de vin dans une ancienne ferme héritée de son père à la Chapelle en Brie. Il pleut, la Brie est inondée depuis des semaines, survient son frère, les rapports entre les deux homme sont peu amènes, ils s’apaisent un peu avec le vin offert et partagé. Il est question d’héritage dont André gère le partage, il a vendu la ferme et donne à ses frères qui surviennent ensuite leurs chèques. Il a pris des billets pour partir en Nouvelle- Calédonie avec sa fille qui a disparu, dont on apprendra la mort à la fin de la pièce. Il est question de la vie municipale de droite, le Père a été maire, André lui aussi, seulement un an. À la fin du spectacle, avec l’arrivée du dernier frère et son violon, on découvrira l’ascendance tzigane par leur mère, disparue pendant la guerre. On reste attentifs grâce à la présence de bons acteurs, Jean-Pierre Daroussin, Pascal Elso et Patrick Bonnel en particulier. Mais on comprend mal le drame caché de la disparition de la mère. Il y a nettement un problème d’écriture que Gautré devrait revoir, au delà d’un problème de mémoire de l’un des acteurs.

Edith Rappoport

 

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