Suzanne, une femme remarquable
Suzanne, une femme remarquable.
Rencontre avec une femme remarquable : Suzanne – c’est un pseudonyme – dit avoir été façonnée elle-même, conduite par les rencontres. Juriste (comme sa mère), elle aurait pu aussi bien être médecin (comme son père). Femme, elle découvre que les droits de l’homme ne recouvrent pas tout à fait les droits des femmes, et milite pour une parité révolutionnaire, partout. Car elle se dit née de la Révolution, inspirée par le « tous les hommes naissent libres et égaux en droits… » de 1789, active dans le réseau Jeanson durant la guerre d’Algérie, longtemps militante au parti communiste, où cette bourgeoise a rencontré une famille – remarquable -, scandalisée par un capitalisme qui enchaîne les jeunes générations à cinquante ans de dettes, scandalisée par l’impossible transgression dans la société d’aujourd’hui…
On peut se demander ce que c’est que cet objet, dans le « théâtre documentaire » de Laurence Février, après Quartiers et Ils habitent la goutte d’or. Un moment de l’histoire des femmes, l’interview sans scories d’un personnage exceptionnel : ce serait déjà beaucoup, mais ne suffirait pas à nous tenir en haleine. C’est qu’il y a bien du théâtre, là-dedans. Un théâtre de la pensée en mouvement, de la pensée naissant avec les mots. Suzanne parle avec l’aisance, l’autorité de l’universitaire et de la conseillère de tel ou tel ministre. Mais ce qui nous est donné à voir et à entendre, ce n’est pas un discours répété, mis au point, c’est le bouillonnement d’une pensée à la fois sûre d’elle et toujours en marche et en interrogation. De la même façon, la comédienne n’imite pas son “modèle“ : elle travaille et trouve le rythme de cette pensée passionnée, son exactitude, et par-là son humour, le tout un fer à repasser à la main : le « genre » ne se laisse pas oublier, mesdames.
Laurence Février avait testé il y a deux ans sa Suzanne au Théâtre des Halles d’Avignon. Elle revient avec plus d’acuité, avec un enjeu affûté : faire du théâtre un lieu de débat, bien sûr, et surtout faire la preuve que l’émotion théâtrale, le suspense, l’attente, peuvent trouver leur source dans la réflexion. Gai savoir, joyeuse pensée, qu’elle avait déjà mise en scène avec La fontaine ou Erasme.
Christine Friedel
Spectacle de et avec Laurence Février. Théâtre du Lucernaire, 21H
avec son « théâtre documentaire »,