Philoctète
Philoctète de Jean-Pierre Siméon, variation d’après Sophocle,
mise en scène Christian Schiaretti
le point de vue d’Irène Sadowska-Guillon
C’est pour la troisième fois que Christian Schiaretti monte Philoctète, cette fois d’après Sophocle « métamorphosé » sous la plume de Jean-Pierre Siméon et avec le grand Laurent Terzieff dans le rôle-titre.
Pour venir à bout de Troie assiégée depuis dix ans par les Grecs Ulysse charge le jeune Néoptolème, fils d’Achille, de s’emparer par la ruse de l’arc et des flèches de Philoctète sans lesquels Troie ne peut être prise. Seul Néoptolème, qui a rejoint l’armée grecque plus tard, peut gagner la confiance du vieux Philoctète qui n’a jamais pardonné aux Grecs et surtout à Ulysse, de l’avoir abandonné seul, souffrant atrocement, sur une île déserte, pour ne plus avoir à supporter ses hurlements de douleur et la puanteur de sa plaie inguérissable. Ainsi Néoptolème se trouve-t-il pris dans un conflit de devoir et de conscience contradictoire : mentir et trahir Philoctète ou désavouer et trahir les Grecs ?
Contrairement à Heiner Müller qui fait poignarder Philoctète par Néoptolème, Jean-Pierre Siméon suit dans sa « variation » la trame de Sophocle y compris le « happy end » : intervention miraculeuse d’Héraclès qui convainc l’intransigeant Philoctète de s’embarquer avec son arc et de suivre les Grecs à Troie
Ni traduction, n’y adaptation, Jean-Pierre Siméon s’approprie la pièce de Sophocle en la réécrivant, la transmutant dans une langue poétique propre, simple et belle.
Aucune tentation, dans la mise en scène de Christian Schiaretti, de réactualisation de la pièce ni de produire des effets scéniques, hormis le coup de théâtre final inhérent à la pièce. La scénographie de Fanny Gamet se réfère à la topographie du théâtre antique. Les Grecs arrivent de la salle sur l’île, sur l’avant-scène coupée du reste du plateau par un rideau de scène métallique baissé qui cache la grotte de Philoctète. Il se soulève légèrement pour laisser Néoptolème se glisser dans la grotte et se lève dans les scènes avec Philoctète.
Dans le final le rideau métallique se découpe en un pan triangulaire incliné qui monte vers une ouverture sur le fond de scène dans laquelle apparaît, sur un fond de ciel, Héraclès avec son casque et son bouclier.
Aucun objet sur le plateau. Les costumes militaires réduits aux signes essentiels : pantalons, maillots de corps kakis, gros ceinturons, glaives et boucliers pour les Grecs, même type de costume et l’arc pour Philoctète.
Le chœur est joué par les soldats de Néoptolème.
Un parti pris radical d’austérité dans la mise en scène, pas de représentations inutiles. Seule la parole souveraine opère, agit, la poésie et la force du verbe font l’image. La parole armée de mensonge, de ruse, affronte celle d’un homme humilié, trahi par les siens, terrassé par la souffrance et la solitude. Mais grâce à l’intelligence, la finesse du texte et de la mise en scène qui confèrent aux personnages une profondeur, une vérité et une fragilité humaine nous ne sommes jamais dans la rhétorique d’un débat. Tel un maître stratège du plateau Christian Schiaretti architecture l’immobilité et les mouvements des personnages, dégage et dose les tensions, les rythmes et les énergies du jeu qui se passe de tout psychologisme.
Une distribution sur mesure dans laquelle l’exceptionnel Laurent Terzieff n’écrase personne. Admirable dans Philoctète qu’il rend complexe avec naturel, sans jamais rien souligner : blessure vivante, à la fois se défiant et prêt à faire confiance, accablé par la solitude, fragile et intransigeant, bouleversant de vérité dans ses accès de fierté, de violence, de faiblesse, de dignité, dans les moments d’extrême souffrance. Face à lui l’excellent David Mambouch qui trace finement, sans appui psychologique, l’évolution et le conflit de Néoptolème : de l’engagement à contrecœur dans la ruse, dans le mensonge, au doute, à la compassion, à la révolte, enfin cherchant à concilier l’humanité, la raison et le devoir. Johan Leysen créé un Ulysse champion de ruse, manipulateur, justifiant tout par la fin mais tout de même non dépourvu de quelques sentiments.
L’irruption du soldat déguisé en marchand (Christian Ruché) son discours manipulateur, sans relâcher la tension, crée un effet à la limite du comique. Le groupe des soldats de Néoptolème prend en charge instantanément, avec un naturel admirable, les parties du chœur . Le tout traité avec une extraordinaire fluidité, avance sans aucune chute de tension dramatique vers le dénouement, l’apparition magique, sur le mode du deus ex machina, d’Héraclès (Julien Tiphaine) qui va réconcilier tout ce petit monde et le renvoyer à Troie.
Un spectacle exceptionnel comme on en voit rarement, à ne manquer à aucun prix.
Irène Sadowska Guillon
Philoctète de Jean-Pierre Siméon
mise en scène Christian Schiaretti
Théâtre de l’Odéon Théâtre de l’Europe
du 24 septembre au 18 octobre 2009
réservations 01 44 85 40 40
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs
Brigitte salino dans le Monde est plus sévère que vous.