Zoom de Gilles Granouillet, mise en scène François Rancillac
le point de vue d’Irène Sadowska-Guillon
Nommé en mars 2009 à la tête du Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie, fondé en 1973 par Jean-Louis Benoit, Jacques Nichet et Didier Bezace qui ont imprimé à ce théâtre l’identité d’un lieu de création en prise avec le réel, François Rancillac revendique cet héritage.
En clin d’œil à un des spectacles phares du Collectif fondateur de l’Aquarium Un conseil de classe très ordinaire, et en guise de manifeste de sa conception de la fonction du théâtre, il ouvre sa première saison avec Zoom, une commande faite à Gilles Granouillet, un monologue destiné à être joué dans les classes des collèges et des lycées. De fait la pièce a été répétée, créée et jouée en 2008 dans le collège Guy de Maupassant à Houilles.
Même cadre pour la mise en scène de François Rancillac à l’Aquarium. Nous sommes dans une salle de classe reconstituée avec son bureau, son tableau noir, assis à des tables d’école, endossant le rôle des parents d’élèves attendant le professeur principal qui est en retard. Alors que l’attente du professeur principal se prolonge, un petit bout de femme, la mère de Burt se lève, impatiente, prend son courage à deux mains, s’adresse à nous, tente de nous expliquer, de nous faire comprendre, ce qui s’est passé et pourquoi elle est revenue là, dans cet établissement que fréquentait il y a des années son fils. Car la folle histoire de son ambition démesurée de réussite pour son fils commence là.
Un monologue où le récit, l’adresse directe, les citations de dialogues, les retours instantanés dans le présent de la réunion, s’entremêlent, trace le parcours de cette femme paumée et simple qui, avec obstination, met en œuvre son projet de carrière pour son fils. Un projet fou et après tout légitime dans notre société de Star Ac, de réussite facile, d’obligation de bonheur et de succès.
Maladroitement, avec pudeur et courage, consciente de s’exposer à la honte, elle déroule son histoire, en livre les faits essentiels, cruciaux, traumatiques : son premier amour, le fils conçu au cinéma à une séance de Tant qu’il y aura des hommes avec Burt Lancaster, le père de l’enfant qui les abandonne. Puis le foyer pour les jeunes mères, ses déboires avec l’assistance sociale, enfin le verdict du proviseur déclarant son fils Burt enfant inadapté, difficile, sans projet de vie, sans avenir.
Catastrophe et révolte contre le destin tout tracé pousse la jeune femme à s’engouffrer dans le fantasme de faire de son fils une star de cinéma. Elle assiège les festivals de cinéma, harcèle les producteurs, les agents, traîne Burt, petit gros docile, à tous les castings avec pour seul résultat refus et moqueries.
Quand à la fin la chance se présente : Burt est convoqué au casting pour le rôle du fils d’Obélix, elle tabasse le rival de son fils pour ce rôle. Procès, prison, longue séparation avec Burt, devenu violoncelliste, dont elle reçoit au bout des années des cassettes d’enregistrements de concerts. Tant pis pour le cinéma, il a réussi dans la musique, c’est tout ce qui compte pour elle.
Linda Chaïb, une actrice hors du commun, s’approprie le texte de Gilles Granouillet comme écrit sur mesure, vif, elliptique, concentré, alliant simplicité, poésie et humour teinté de grotesque. Nulle tentation de copier ou caricaturer la pauvreté du langage de la marge. Pas de compassion misérabiliste, pas de parti pris ni de procès simpliste fait à la société. Abordant, à travers cette histoire de détresse et d’ambition quasi mystique d’une mère pour faire réussir son fils, les questions des relations parents enfants, de l’éducation, des normes et de l’impératif du succès obligé érigés en conditions sine qua non de bien-être dans notre société, Gilles Granouillet nous en laisse juge.
Linda Chaïb incarne le personnage de la mère de Burt avec une extraordinaire authenticité, une absolue sincérité des sentiments, des émotions, en déployant un impressionnant registre de jeu : désarroi, innocence naïve, douleur, ironie et rire, pirouettes clownesques, éclats de colère et rage, fragilité et force, et toujours une dévotion sans faille pour Burt. Cette « battante », forçant le destin tout tracé de son fils, ne cherche pas à nous apitoyer sur son sort mais à nous faire ressentir et à nous faire comprendre les mécanismes implacables et les injonctions qui conditionnent nos conduites.
Légère, souple, tel un feu follet, elle se meut dans l’espace de la classe, monte sur une table, s’adresse à tel ou tel spectateur, écrit sur le tableau noir, toujours avec cet air de quelqu’un surpris lui-même par son audace d’avoir pris la parole.
Si François Rancillac choisit délibérément un cadre réaliste pour la pièce, à la fois l’écriture de Gilles Granouillet et le jeu de Linda Chaïb, à connotation métaphorique, la décalent du réalisme.
Un spectacle d’une rare intelligence, profond et bouleversant, qui ne se prive pas pour autant d’humour. À voir absolument
Irène Sadowska Guillon
Zoom de Gilles Granouillet, mise en scène François Rancillac
au Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie
du 23 septembre au 25 octobre 2009
réservations 01 43 74 99 61
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Lansman. D’autres textes de Gilles Granouillet sont publiés aux Éditions Actes Sud Papiers.