Figaro divorce
Figaro divorce d’ Ödön von Horvath, mise en scène de Jacques Lassalle.
Von Horvath, né en 1901 à Fiume en Croatie fut élevé – son père était diplomate- un peu partout (Belgrade, Budapest, Bratsilava, puis Munich) pour enfin résider à Berlin; il y écrit ses deux comédies populaires les plus célèbres, Casimir et Caroline, que l’on ne cesse de jouer encore , et Légendes de la forêt viennoise qui reçut le prix Kleist. Von Horvath est alors désormais un auteur consacré mais les nazis prennent le pouvoir en 33 et ses oeuvres vont être interdites en Allemagne.
Et il sera sommé de partir en 36, ce qui ne l’empêchera pas de continuer à écrire, notamment Figaro divorce , Don Juan revient de guerre et deux de ses meilleurs romans : Jeunesse sans Dieu et Un fils de notre temps. Il pense émigrer aux Etats-Unis mais, en passant par Paris, il va voir Blanche-Neige de Walt Disney au Théâtre Marigny et , sur Les Champs-Elysées,, reçoit une branche de platane emportée par la tempête qui va le tuer.
Ainsi meurt en 38, l’un des meilleurs dramaturges du 20 ème siècle qui écrivit quelque vingt pièces et trois romans qui sont autant de charges vigoureuses contre la médiocrité et le manque de courage des petit-bourgeois, dans une époque où l’Allemagne s’apprête à vivre des heures cauchemardesques qu’au moins, grâce à une méchante branche de platane, von Horvath n’aura pas totalement connues.
Ce Figaro divorce est une sorte de prolongement de la célèbre pièce de Beaumarchais. Figaro et Suzanne ont fini par se marier mais l’heure est à la Révolution, et ils vont accompagner le Comte et la Comtesse Almaviva qui ont été obligés de quitter leur pays. Mais on ne se refait pas quand on est aristocrate, et, confrontés aux dures réalités de la vie quotidienne, le couple n’est plus en mesure de faire face à cet exil contraint. Quant à Figaro, il reprend son ancien métier et ouvre un salon de coiffure pour hommes et femmes dans une petite ville de province qui marche assez bien mais où évidemment Suzanne ne trouve pas son compte à coiffer ces petites bourgeoises, elle qui a vécu avec des aristocrates. Exaspérée par cette existence médiocre, elle demande le divorce et s’en va.
Quant à Figaro, une fois passées les violences de la Révolution, toujours aussi cynique et sans grand scrupule, il décide de revenir dans son pays et obtient le poste convoité d’administrateur du château: » Une seule solution: il faut choisir. L’honnêteté ou la débrouillardise. Moi, j’ai choisi.. » Quant à Amalviva, son épouse est décédée et , lui, vieilli, mal en point, couvert de dettes, il rentre avec Suzanne qui retrouve Figaro malgré la lettre d’insultes qu’elle lui a envoyée. Les temps ont décidément bien changé, et, comme Le Mariage de Figaro le laissait déjà percevoir, ce sont les valets qui ont désormais pris le pouvoir…
Figaro divorce est , bien entendu, comme une sorte de métaphore, où Von Horvath, comme le souligne justement Jacques Lassalle, célèbre le siècle des Lumières, celui où fut créé cet incroyable et magnifique Mariage de Figaro, avant que ses personnages ne soient comme lui, contraints à l’exil et à la survie , dans une Europe en train de sombrer dans la tourmente inventée par les nazis. Comme Von Horvath ne manque pas d’humour, on retrouve aussi Chérubin, en énorme patron de bar de nuit; Suzanne est, elle, serveuse, peut-être même serveuse montante comme on dit. Bref, c’est toute une société qui se détraque, sans aucune chance de salut ; ce que rendent bien les dialogues , très ciselés, bien servis par la traduction d’Henri Christophe et de Louis Le Goeffic, et qui sont admirables de vérité. L’écriture de von Horvath souvent complexe et la construction même de la pièce , avec ses courtes séquences, font souvent penser à celles d’un film. C’est dire que Figaro divorce n’est pas simple à mettre en scène, de par le nombre de personnages et d’ endroits où se déroule l’action.
Jacques Lassalle a confié le soin à sa scénographe Géraldine Allier d’imaginer un plateau tournant avec trois décors différents, ce qui n’était sans doute pas la bonne solution, parce que cela finit par donner un peu le tournis et ne rend pas service au texte. Et Jacques Lassalle n’a sans doute trouvé le bon rythme pour cette pièce qui dure quand même plus de deux heures et demi, encore cassées ici par une entracte.Il aurait fallu donner un rythme plus soutenu, plus conforme aux géniales séquences imaginées par von Horvath. D’autant plus que l’éclairage est très limité,ce qui contribue à plomber inutilement l’ensemble.
Alors qu’il y a souvent de très belles images qui auraient méritées d’être mieux accompagnées. Mais, là où Lassalle, comme plus souvent ,excelle, c’est dans la direction d’acteurs, surtout dans le seconde partie; le quatuor Bruno Raffaelli/ Almaviva, Florence Viala/ Suzanne, Michel Vuillermoz / Figaro et Catherine Sauval/ La Comtesse fait preuve d’excellence. Et Serge Bagdassarian dans Chérubin est étonnant de vérité. Alors à voir? Oui, si l’on veut bien oublier une mise en scène qui manque singulièrement de rythme, et des lumières indigentes , et si l’on a envie découvrir un texte dont le dialogue reste d’une étonnante fraîcheur.
Philippe du Vignal
Comédie-Française, Salle Richelieu , reprise du spectacle de 2008 jusqu’au 7 février 2010 ( en alternance)